À la rédaction, on a l’habitude de côtoyer des professions atypiques ou méconnues. Au tour de Rémi Rossi, art thérapeute à Bordeaux, de nous en dire plus sur son quotidien.
Bon nombre de ses patients sont en souffrance, physique ou psychologique. Il permet à chacun de reprendre la parole, pour libérer les peurs qui l’animent, et mettre des mots sur une réalité parfois dure à accepter.
Le tout se fait dans la bienveillance et surtout, le Beau. Non pas le Beau d’une oeuvre d’art réussie, mais plutôt dans le Beau d’une relation de l’un à l’autre. Beau dans le sens d’un cheminement, d’une avancée. Le poète et compositeur finlandais Elmer Diktonius ne disait-il pas que « Pour vivre, une oeuvre d’art n’a pas besoin ni de beauté ni de laideur. Elle a besoin de vie. » ? Rémi Rossi nous le confirme !
Rémi Rossi, vous êtes art thérapeute à Bordeaux. En quoi consiste votre métier ?
“L’art thérapie est une forme de thérapie qui utilise le processus créatif, en particulier l’expression artistique, comme un moyen de favoriser la convalescence, de soulager la vie psychique, d’accompagner vers un mieux-être. Concrètement, je propose au participant d’exprimer ses pensées, ses émotions, désirs conscients et inconscients de manière non-verbale. Pour cela, un cadre sécurisant est nécessaire. »
On va tordre le cou au premier préjugé : pourquoi aller voir un art thérapeute ?
“On consulte un art thérapeute pour plein de raisons :
- Exprimer ce qu’on ne pourra jamais exprimer avec les mots
- Ressentir un apaisement, une libération psychique,
- Recréer du désir,
- Trouver des solutions créatives aux difficultés que l’on traverse,
- Donner du sens à sa vie,
- (Re)gagner confiance en soi
En fait, j’active un processus de subjectivation. Qu’est-ce que la subjectivation ? C’est l’inverse de l’objectivation où l’on devient objet. On redevient sujet. En résumé, on apprend qui l’on est de nouveau. On identifie ses sentiments, ses fonctionnements, ses émotions profondes. La grosse question serait donc plutôt, pourquoi ne pas aller voir un art thérapeute ?”
Rémi Rossi, tout le monde n’a pas forcément la fibre artistique : comment fait-on dans ce cas ?
“Il faut savoir que l’absence de technique n’est pas un frein, bien au contraire. Les personnes qui ne sont pas artistes peuvent parfaitement en faire. Se tromper est essentiel pour amorcer un travail. On n’est pas là pour faire des œuvres d’art. L’important c’est davantage le processus que la finalité.”
Je n’aime pas peindre quand je suis triste. Que me proposez-vous ?
“Ne le faites pas tout simplement ! L’art thérapeute ne sait pas à votre place. Il vous proposera alors probablement de faire quelque chose qui vous amuse. Si vous détestez cela, alors il ne vous obligera pas. Vous ferez autre chose, voilà tout !”
Rémi Rossi, art thérapeute à Bordeaux, auprès de quel public intervenez-vous (tranches d’âge)? Quelles sont les pathologies auprès desquelles vous travaillez ? Dans quelles structures ?
“Je travaille auprès de jeunes personnes de 10 à 20 ans, intégrés en Instituts Médico Professionnels, Instituts Médicaux Éducatifs, SESSAD (service d’éducation spécialisée à domicile). Je travaille aussi avec des adultes en hôpital de jour, souvent en phase palliative spécifique. Ils ne sont pas encore en phase palliative terminale. Cette phase est déclarée quand on essaie les dernières solutions : les médecins ne sont alors pas certains de l’issue de la maladie. C’est dans ce contexte que les patients sont rencontrés.
Ces deux publics sont très différents, et très intéressants. Ils ont pourtant un tronc commun : le sujet de l’inconscient.
Freud disait que nous avons tous une part consciente, et une part inconsciente (désirs…). L’art thérapie parle à la partie inconsciente. Nous partons du principe que le processus créatif active forcément l’inconscient, quels que soient l’âge et la pathologie.
Dans la psychanalyse (que j’ai étudiée), le thérapeute s’adresse à la part inconsciente invisible de l’autre. Gardez à l’esprit que l’inconscient, en psychologie, n’a pas d’âge.
On aborde donc la séance de la même manière, si le participant a 10 ans ou 88 ans. Évidemment, chaque rencontre est unique, et la séance pourra ensuite prendre des formes très variées.”
Comment canalisez-vous des enfants présentant des troubles du comportement ? Quel est votre approche ?
“Ce qui est important de mettre en avant, c’est que l’art thérapie est toujours une invitation. Si la personne ne veut pas, on ne fait pas. Il n’est pas question de canaliser, ce qui est le rôle d’un éducateur ou d’un policier.
Bizarrement, les enfants avec des troubles du comportement comme le TDAH (trouble avec déficit de l’attention et hyperactivité) par exemple, peuvent se montrer particulièrement calmes et appliqués en séance d’art thérapie. Si le professionnel incarne bien sa fonction, la canalisation viendra du participant lui-même. J’impulse une dynamique de calme et de créativité. C’est à lui de s’en saisir.”
Rémi Rossi, quels sont vos supports ?
“Je sors des Beaux Arts et je suis compositeur inscrit à la SACEM. Mes deux médias de prédilection sont donc la musique et la peinture. Les arts plastiques vont de la peinture à la sculpture en passant par le collage. Je suis guitariste et claviériste.
J’utilise le Makey Makey, un objet qui s’utilise avec la musique assistée par ordinateur. C’est un controleur électronique qui utilise de petits connecteurs, qui se greffent comme des pinces à linge, à n’importe quel objet conducteur. En se greffant à l’objet, il émet un son. En bref, vous le branchez à une banane, tapez sur la banane : le déclencheur envoie un message à l’ordinateur qui le traduit en ce que vous voulez, par exemple des notes de musiques.
C’est un levier qui permet des séances très intéressantes. En effet, cette technique libère le participant de la représentation qu’il a de la musique traditionnelle. C’est plus facile de taper sur une banane que sur un piano. »
Comment les enfants et les adolescents réagissent-ils à l’art-thérapie ? Vous prennent-ils au sérieux tout de suite ? Adhérent-ils directement ?
“Souvent, la première séance peut être difficile. Parce qu’ils arrivent plein d’idées reçues. Ils ont des représentations négatives, ils pensent que ça va être une épreuve ou un cours. Le regard change la plupart du temps à la fin de la première séance. Les jeunes que je suis ont toujours voulu revenir.
Parfois, ils n’adhèrent pas tout de suite, ils sont méfiants. Ils me mettent au défi “Montre si tu sais dessiner”. Je leur montre un de mes plus beaux dessins. Je capture leur attention par le biais de la fascination ou de la projection.
Dans mes séances, tout le monde participe. Même les pros. Si la directrice des lieux passe voir ce qui se passe, elle doit participer. Personne n’observe sans rien dire. Ça serait le meilleur moyen de bloquer la créativité.”
Nous avons vu que la musicothérapie que pratique Katia Coatanea a des effets sur la production d’hormones, notamment celles liées au bien-être. Qu’en est-il de l’art-thérapie ?
“Au niveau de la définition, la musicothérapie est une spécialisation de l’art thérapie. Le témoignage de Katia va aussi pour l’art thérapie. Quand on est en processus créatif, le cortisol diminue, donc le stress diminue. L’endorphine et la dopamine génèrent bien-être et joie ».
Précisons qu’un rapport de l’OMS, paru en 2019, reconnaît les bienfaits de l’art thérapie.
« Je ne suis pas médecin, mais je me suis renseigné (j’ai d’ailleurs fait une vidéo sur l’origine de l’art). L’art des hommes préhistoriques (à savoir, les peintures sur les parois des grottes) est antérieur aux premières traces retrouvées de l’écriture et des mathématiques. Si l’art n’avait pas une fonction bénéfique, elle n’aurait pas perduré comme ça dans le temps. Ça nous laisse penser que l’art a un caractère fondamental.”
Imaginez que vous avez un passionné d’arts devant vous. Comment amorcez-vous le travail thérapeutique ?
“Exactement de la même manière que s’il n’avait pas de technique ! Au contraire, sa technique peut être une armure pour ne pas prendre sa parole en main. Il peut par exemple choisir de ne dessiner que ce qu’il sait déjà parfaitement reproduire. L’important sera alors de faire sortir le participant de sa zone de confort. Le travail est ici, parfois, plus difficile. C’est déstabilisant pour le participant sur le moment, mais à long terme, c’est très bénéfique.
Pendant ma formation, on a appris à manipuler le Dispositif. C’est un outil volontairement très secret. Il permet d’entrer dans un processus créatif sans production artistique. Pour faire court, cela permet de ressentir le bien-être lié à l’art sans ne rien produire.”
Rémi Rossi, art thérapeute à Bordeaux, en quoi votre spécialité aide-t-elle les personnes en fin de vie ?
On pense à une visée spirituelle (se préparer à la perte / séparation d’avec ses proches / affronter sa propre mort…), mais aussi à une visée plus thérapeutique (soulager les symptômes de la maladie, contrer les effets secondaires des médicaments, compléter les médications)…
“Tout cela est exact. La seule chose que je rajouterais est que l’idée de l’art thérapie, c’est d’apprendre à faire avec. Faire avec le deuil, la souffrance, les regrets. On ne cherche plus à tout résoudre, à tout solutionner, mais à accepter. À voir sa maladie différemment. On prend la parole différemment. Quand on sort de la séance, on peut se reconstruire parce qu’on a pu prendre la parole et être écouté véritablement.”
Quelle est la plus touchante consultation que vous ayez menée ?
“Bien sûr, nous sommes humains et certains ressentis nous dépassent. Je me rappelle ma première séance en IMP, avec des jeunes que j’ai beaucoup revus par la suite. J’étais anxieux, plein de doutes, et le jour-là, j’ai réalisé que je n’avais pas fait tout ça pour rien. J’ai compris que j’étais dans mon élément.”
Des échecs dont vous voudriez nous parler ?
« Est-ce que rater est vraiment un échec ? Quand on écrit un texte à la main, on va forcément raturer. Mais si le plan est bien préparé, on ne peut pas considérer ça comme un échec. Ce mot ne m’est jamais venu en tête. Pas d’échecs. En revanche, j’ai eu des petits ratés, par exemple quand le patient n’est pas très disponible.
Il m’est déjà arrivé qu’à une séance de groupe, personne n’avait voulu venir. Je me suis retrouvé devant une salle d’attente vide ».
Rémi Rossi, art thérapeute à Bordeaux, comment et pourquoi devient-on art-thérapeute ? Quels sont les cursus pour se diriger dans cette voie ?
Il y a entre 4 000 et 5 000 art thérapeutes en France. Le métier est-il réglementé ? Comment trouver le bon professionnel ?
“C’est un sujet tendu en vérité, car il y a encore un flou dans la définition légale de l’art-thérapie. Il y a encore des écoles en France ou à l’étranger, qui vous délivrent un diplôme en carton, après 2 semaines de formation à distance. En termes d’enseignement, ça ne vaut pas grand chose, même s’il y a des titres pompeux.
On retiendra donc 2 voies valables :
- Les écoles qui délivrent le titre d’Art-thérapeute RNCP
- Une université qui délivrent des diplômes universitaires d’art-thérapie.
Vous êtes intéressés par un tel suivi ? Demandez les diplômes au professionnel que vous consultez !
Le stage d’immersion, la compréhension des clés de l’art thérapie, les connaissances transversales sont essentiels. Si on n’a pas ça, il devient difficile d’exercer dans de bonnes conditions et d’apporter une aide efficace à la personne qui consulte.
Chaque art thérapeute a un cheminement différent. Le leitmotiv récurrent est l’attrait pour la relation à l’Autre et l’attrait pour l’art. Si on déteste l’art ou qu’on déteste les gens, on ne peut pas être art-thérapeute. J’ai été artiste, au sens administratif du terme. J’ai aussi été soignant. Grâce à cela, j’ai concilié les compétences acquises dans ces deux passions. L’art thérapie a vraiment été une révélation pour moi. Si on veut une société plus belle, la bienveillance et l’art sont deux choses sont essentielles. Cet accès au monde est illimité, c’est ce qui fait tout son pouvoir, tout son attrait.”
Rémi Rossi, savez-vous comment les autres pays pratiquent l’art-thérapie ?
“Honnêtement, je n’en sais rien. Le sommet de l’art thérapie a lieu à la fin du mois d’avril 2023. J’ai hâte. La Belgique et le Canada ont l’air très en avance sur la France. J’en saurai plus à la fin du mois ! En revanche, je sais qu’il y a un code de déontologie à échelle européenne.”
Quelle est la consultation la plus atypique que vous ayez faite ?
“Un jour, un jeune décrit comme atteint de grands troubles psychotiques, m’a offert mon portrait en plein milieu de la séance. Si je pouvais le décrire, ce serait un mélange entre un grand brûlé qui vient de marcher sur un Lego et le Cri de Munch. Il était très content de me l’offrir.”
Arts. Le mot est vaste. Est-ce que vous utilisez uniquement des supports peinture, collage et musique ou est-ce que vous sortez de votre zone de confort à vous pour des horizons que vous maîtrisez moins : poésie, danse…
“J’essaie l’écriture en ce moment ! On tente notamment Les cadavres Exquis. Vous connaissez le concept ? Le premier participant écrit un premier mot, plie la feuille, le second note la suite, plie la feuille, le troisième écrit ce qu’il a envie. Parfois (souvent), ça n’a pas de sens. Mais ça parle directement à l’inconscient. On aborde l’écriture de manière décomplexée. Cela crée une poésie très intéresssante, le potentiel est énorme. Certains poèmes ont été écrits ainsi.
Quoi qu’il arrive, je ne propose que ce que je maîtrise. Je ne maîtrise pas la danse, donc je passe mon tour !”
Rémi Rossi, art thérapeute à Bordeaux : Dites-nous, sans dévoiler vos secrets, quelles sont vos techniques pour doper la créativité des participants ?
“Le plaisir, le jeu sont la clé de tout. Ils permettent de mieux apprendre, d’avoir des expériences positives. Le jeu est à prendre très au sérieux. Je veux que mes patients s’éclatent en art thérapie, une forme d’amusement intense. Je veux que les pupilles soient dilatées. En découle un certain bien-être chez les participants : c’est exactement ce que je recherche.”
Ôtez-moi d’un doute : l’art-thérapie, c’est bien féminin ?? #redactriceencarton 🙂
“Oui, c’est effectivement féminin. Précisez qu’actuellement, je n’ai que des consœurs !!”
Question Rebellissime qui sonne la fin de l’interview et votre délivrance : Quel-le est votre rebelle préféré-e ?
“Le musicien Thom Yorke, chanteur et musicien dans le groupe de rock Radiohead.
Tout est rebelle en lui. Il fait peau neuve à chaque album, il a une voix qui fait penser à celle d’un extra terrestre ! Il incarne la fonction fondamentale de l’artiste, un miroir sans tain de notre société, un miroir qu’on peut traverser pour explorer d’autres horizons. C’est, à mon sens, l’artiste rebelle parfait !”
Comment conclure alors que tout est dit ? Peut-être en disant que l’art thérapie est une discipline douce, parfaite pour apaiser les tourments et guérir les maux de l’âme. Cerise sur le gâteau, elle a des répercussions positives sur les maladies organiques et certains symptômes liés au stress et au mal-être. Que du bon en ce qui nous concerne !
Rebellissime reste à la disposition de ses lecteurs pour faire connaître ces professions nouvelles, méconnues, mais qui apportent une réelle valeur ajoutée aux soins médicaux.
Cette interview vous a plu ? Retrouvez Rémi Rossi, art thérapeute à Bordeaux sur sa chaîne YouTube !
NDLR : Rémi nous alerte qu’Art-thérapie s’écrit en réalité avec un tiret du 6… On en a corrigé une ou deux. Mais on a laissé volontairement les fautes à certains endroits pour des raisons de référencement SEO…