Paris, Place de Clichy Librairie de Paris. En ce mercredi 5 octobre 2023, le grand public découvre J’étais un enfant, d’Arnaud Gallais. La librairie s’étend sur deux étages. L’émotion est palpable. Les lieux sont bondés. Des clients, qui étaient là par hasard, mais pas seulement. La grande majorité semble concernée, de près ou de loin, par la maltraitance d’enfants, les viols, l’inceste. On entend, dans la foule, un éclat de rire suivi de : “On est pas là pour pleurer !”. On comprend, dans son intonation, que cet homme, en réalité, dit cela pour ne pas pleurer.
Les interventions de l’auteur sont ponctuées d’applaudissements sincères.
Car oui, c’est la thématique de ce témoignage poignant. Arnaud Gallais parle, à cœur ouvert et sans tabous, des agressions, des viols, dont il a été victime quand il était enfant. Par ces mots, “j’étais un enfant”, il déculpabilise les 160 000 enfants victimes chaque année en France.
Nous avions récemment mis en avant Mon P’tit Loup, de Nicolas Puluhen. Ce témoignage le rejoint et le complète, puisqu’il dénonce de l’inceste, mais aussi des viols au sein de l’Église catholique. L’objectif de l’auteur : “rendre à l’enfant qu’[il] étai[t], sa dignité”.
Profitons de ce témoignage poignant de vérité pour répondre à des questions récurrentes, que posent souvent nos témoins :
- Pourquoi une telle omerta autour des situations de maltraitance ?
- Pourquoi, parfois, l’enfant victime semble collaborer avec son agresseur ?
Il est temps d’aborder la dissociation, décrite à merveille par l’auteur, et de s’interroger sur ce silence, sans lequel aucune maltraitance ne serait possible.
J’étais un enfant, d’Arnaud Gallais : l’occasion de comprendre le silence qui règne autour des maltraitances
Le début du témoignage d’Arnaud Gallais est précieux pour les familles concernées par l’inceste. Depuis le début de notre enquête, nos témoins ont presque tous un point commun : l’enfant victime d’inceste qu’ils défendent, semble collaborer, de manière active ou passive avec son agresseur. Certains ne comprennent pas. Il est temps d’expliquer.
L’omerta des institutions : un point qui dérange, soulevé par J’étais un enfant, d’Arnaud Gallais
Arnaud Gallais n’est pas issu d’un milieu modeste. Son père est directeur commercial. Il est important de le préciser, car les apparences sont plus faciles à sauver dans ce contexte.
Les maltraitances seraient-elles facilitées par un cadre social aisé ?
On pense notamment à Gilles Belzons, ex-président du club de Rugby à Narbonne, qui s’est vu confier la garde de son fils par la justice, alors même qu’une enquête pour des faits d’inceste étaient en cours. France Bleu a couvert toute l’affaire et a pu interviewer cet homme, qui fait volontiers mention de son amitié avec le préfet. Dans toutes les têtes, la même question, que personne n’ose formuler : le caractère prestigieux, si l’on peut dire, de ce contact haut placé, a-t-il un lien avec la décision rendue par le juge ? Comment justifier une telle décision quand on sait que ces institutions doivent œuvrer pour le bien-être supérieur de l’enfant ?
Force est de constater, encore une fois, avec le livre d’Arnaud Gallais, qu’une condition sociale supérieure ne protège pas des abus. Au contraire, il semblerait qu’ils soient facilités.
Ce n’est pas la seule association d’idées qui nous vient, à la lecture de ses propos.
Quand les autorités font la sourde oreille aux plaintes des enfants
Les institutions n’aiment pas les scandales, qui entachent leur image et les plongent dans des procédures judiciaires aussi longues que coûteuses. Pour éviter cela, certains professionnels passent sous silence les allégations de viols, d’agressions sexuelles ou physiques.
C’est le cas, dans ce livre, avec la “lourde hiérarchie de l’église” (chapitre 17), mais aussi avec le médecin de famille (chapitre 5). Arnaud Gallais précise que ce professionnel lui est venu en aide, lui a sauvé la vie en le recommandant à un psychiatre compétent. Pour autant, il n’a jamais dénoncé officiellement tout ce qu’il constatait en venant le soigner.
Peut-être est-il temps de comprendre que l’inceste touche toutes les couches de la société, quel que soit le niveau social du foyer. Ces familles notables sont, de plus, beaucoup moins suivies par les services sociaux que les ménages plus précaires. La détection des maltraitances paraît donc encore plus difficile dans ce contexte.
Une autre institution tourne les yeux : on la retrouve au chapitre 18, lorsque, adulte, Arnaud Gallais tente d’alerter une fédération d’associations de protection de l’enfance. Il est accusé de tenter d’”hystériser” la thématique des violences sexuelles faites aux mineurs. Cette ancienne victime de viols venait pourtant de raconter son histoire. Mais problème : cette dernière implique la responsabilité des services sociaux. Cet homme, qui qualifie, ce jour-là, Arnaud d’”hystérique”, devient, par la suite, président de ladite fédération. On pourrait facilement en déduire qu’il avait adopté le bon discours, la bonne ligne de conduite.
La pression familiale, ce “huis clos mortifère” qui alourdit le silence
Arnaud Gallais relate une scène de maltraitance physique, dont son père est auteur. Il se réfugie chez sa tante et son oncle, en compagnie de sa mère et de ses sœurs. Son oncle le somme alors de ne pas montrer ses blessures à sa mère “qui souffre déjà beaucoup”.
Ce jeune adolescent de 13 ans se retrouve ainsi en position de protéger sa mère, ce qui n’est pas sécurisant du tout et constitue une inversion des rôles.
Mettre en mots les violences qu’il subit, dire la vérité, c’est être responsable du mal-être, de la détresse de sa mère. Un fardeau très lourd n’est-ce pas ? Aucun enfant ne prendrait un tel risque.
D’autre part, cette partie de la famille lui apporte de la sécurité. La trahir ou pire, la décevoir, est inenvisageable.
Il arrive parfois que la victime subisse des pressions et qu’elle choisisse le camp de son ennemi pour survivre. Cela nous amène au point suivant.
Les mécanismes de survie psychique dans un contexte d’agression, exposés dans J’étais un enfant d’Arnaud Gallais
Les psychiatres disent que les enfants victimes dissocient. Cette dissociation peut concerner leur agresseur ou leur propre personne.
La dissociation : ce disjoncteur qui évite à notre cerveau de “sauter”
Les enfants qui dissocient ont, par exemple, un papa gentil et un papa méchant. Dans son esprit, ces deux personnes ne sont pas du tout les mêmes, elles n’ont aucun rapport. Comment, dans le cas contraire, pourrait-il se construire ? Le gamin protège le papa gentil, mais doit pour cela, faire abstraction du papa méchant. Il ne ment pas. Il a besoin d’être l’enfant de quelqu’un de bien et fait, pour cela, disparaître ces affreux moments de sa mémoire.
Le petit peut aussi réagir autrement, en dissociant sa propre personnalité. Il y a alors un enfant “sage” et un autre enfant qu’on pourrait qualifier “en crise perpétuelle”. Les deux personnalités apparaissent au gré des événements, de manière plus ou moins prévisible.
L’enfant doit donc, pour une raison ou une autre, nier sa souffrance. Il enterre, il enfouit tous ses souvenirs. La porte est ouverte à l’amnésie traumatique. Les flashbacks ressortent, nous l’entendons souvent, entre trente et cinquante ans. Les personnes qui le vivent en sont très impactées et peuvent s’effondrer.
Exemple concret pour mieux comprendre la dissociation
Nous avions rédigé un article sur le chirurgien de Jonzac, Joël Le Scouarnec, accusé de viols sur plusieurs centaines de mineurs. Les investigations sont en cours. Les victimes témoignent dans les médias. Une grande majorité d’entre elles n’a pas révélé les faits, tout simplement parce qu’ils ont été occultés par le cerveau. Le chirurgien rédigeait des carnets, qui contenaient l’identité complète des victimes, la date des agressions et leur nature. Les enquêteurs les ont fait lire aux victimes, qui s’en sont rappelées, brusquement.
C’est exactement ce que décrit Arnaud Gallais dans son chapitre 12, lorsque les scènes traumatiques d’inceste lui reviennent, à l’âge de 25 ans, pendant une séance chez son psy.
Il est donc erroné de considérer que l’enfant prend volontairement parti pour son agresseur.
Le cerveau met bien souvent en place des mécanismes de survie qu’on ne comprend pas forcément, mais qui ont une explication logique.
Pourquoi la rédaction Rebellissime a eu un coup de cœur pour J’étais un enfant d’Arnaud Gallais ?
Pourquoi mettre J’étais un enfant, d’Arnaud Gallais en valeur ? Parce qu’outre l’authenticité de ce qu’il relate, son livre est avant tout un message d’espoir. Tout n’est pas fini. Ces souffrances peuvent être transformées en force et venir en aide à d’autres. Cela permet de donner du sens à ce qu’il a vécu, et de réinjecter cette énergie en plein de choses positives. Une manière astucieuse de survivre intérieurement ?
C’est surtout son combat que l’auteur décrit ici. C’est ce message d’espoir que nous voulons porter aujourd’hui, aux enfants victimes d’hier et à ceux de demain.
Au nom de la rédaction Rebellissime, merci Arnaud, de porter la parole de ces gamins, les adultes de demain. Aujourd’hui, et malgré toutes vos blessures, vous vous en êtes sorti et vous battez pour les droits des enfants. Une belle revanche, que tous ceux présents en ce 5 octobre ont pu constater.
Le livre a été soutenu et préfacé par Monsieur le Juge Édouard Durand, qui a fait de la lutte contre les violences faites aux enfants, sa priorité. Il est aujourd’hui Co-Président de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants).
C’est à lui que revient la conclusion.
“Cher Arnaud, permettez-moi de vous dire très sincèrement, que vous êtes digne et que, sans aucun doute, vous n’avez jamais cessé de l’être.”
Édouard Durand, juge et co-président de la CIVIISE
Arnaud Gallais est President du Groupe d’Appui National Enfance Famille. / Fédération des acteurs de la solidarité