Maître Cerrada figure parmi les femmes et hommes de loi qui se battent pour venir à bout des failles des placements abusifs. Entretien Rebellissime 

On pourrait penser que le combat de Maître Christine Cerrada est vain. Ce n’est pas le cas. Vous connaissez probablement Maître Amas, le célèbre avocat médiatique de Marseille. Ces hommes et ces femmes sont loin d’être seuls. Il y a bien d’autres professionnels qui préfèrent rester discrets, mais œuvrent à la reconstruction d’un système plus sain. 

Des chiffres nous viennent de Frédéric Fabre, requérant de pouvoir près de l’ONU. En 2020, 71 000 enfants étaient placés abusivement. C’est tout de même 19 000 de moins que l’année 2019. Pourquoi ne suis-je pas en mesure de donner des chiffres plus récents ? Tout simplement parce que les institutions ont deux années de retard pour rendre leurs comptes… Ce n’est donc pas de la mauvaise volonté de ma part. 

On continue donc cette lutte pour celles et ceux qui souffrent d’un désenfantement injuste. Nous avons vu précédemment, avec Docteur Thierrée, qu’il s’agissait d’un traumatisme et que les séquelles psychologiques étaient bien là, tant chez les parents que chez l’enfant. 

La rédaction de Rebellissime avait encore des questions. Nous les avons posées à Maître Christine Cerrada, auteur du livre PLACEMENTS ABUSIFS D’ENFANTS UNE JUSTICE SOUS INFLUENCES qui a encore une fois le courage de s’exprimer. 

 

Portrait de Maître Cerrada
Maître Christine Cerrada répond à de nombreuses questions que se posent Rebellissime.

Maître Christine Cerrada, on sait que le fonctionnement de chaque ASE est plus ou moins soumise aux volontés des politiques en place dans le département. Le fonctionnement de Narbonne a attiré notre attention, notamment suite à l’affaire d’inceste qui met en cause l’ancien président du club de rugby, un notable de la ville.

Ce dernier s’est vu confier la garde de son fils malgré l’instruction en cours. Comment expliquer un cas bien concret comme celui-là ? Pouvez-vous nous expliquer ce type de décisions assez fréquentes (encore plus dans cette partie de la France selon les témoignages que nous avons en off) ?

« Ce genre d’affaires est le cadeau empoisonné fait par l’importation en France d’un syndrome pseudo scientifique, à savoir le SAP, théorie d’un psychiatre américain demi-fou et demi-délinquant qui a théorisé une prétendue aliénation des enfants par leur mère, qui les pousserait à inventer un inceste commis par le père pour écarter celui-ci de la vie des enfants, par vengeance. Ce SAP est dénoncé comme un instrument d’invisibilisation des violences faites aux enfants, tant par de nombreux professionnels que par la CIIVISE.

Mais cette théorie de l’aliénation parentale a fait beaucoup de dégâts, puisqu’elle est un prisme de lecture des dossiers par les juridictions. Concrètement, quand il y a une séparation conjugale et que l’inceste paternel est dévoilé par les enfants, les juges attribuent au conflit conjugal les révélations des enfants relayées par la mère.

Ils considèrent qu’elle les instrumentalise, et même si le terme « SAP » est de moins en moins donné, celui « d’emprise » qui est utilisé revient au même. La mère n’a que très rarement des preuves absolument parfaites de ce que révèle l’enfant, et les juges vont sous-estimer tous les types de preuve qu’elle détient, la parole des enfants étant en outre en France, d’un très faible poids.

Dès lors, le placement inversé, c’est à dire la remise de l’enfant au père agresseur est souvent décidé par les tribunaux, achevant par là même la destruction de l’enfant qui a la double peine, l’inceste et la privation de son parent protecteur. C’est épouvantable et c’est le lot de milliers d’enfants et de mères. »

Que recommandez-vous aux familles dans cette situation, et à vos confrères qui nous lisent ?

« La preuve de ce qui est rapporté par l’enfant doit être la priorité absolue. Il y a des moyens, qu’il m’est difficile d’expliquer ici, pour tenter de se la procurer. Ces moyens sont directement liés aux progrès de la technologie … Si ces preuves, qui sont admissibles au pénal, ne sont pas possibles, faire examiner physiquement et psychologiquement l’enfant par des professionnels reconnus et spécialisés est une absolue nécessité.

J’ai récemment obtenu une excellente décision de relaxe de la Cour d’appel de PARIS considérant que ma cliente avait légitimement estimé au vu des éléments médicaux dont elle disposait, que son enfant courait un danger imminent s’il était remis au père en hébergement. Du fait que sa croyance était légitime, elle disposait d’un fait justificatif et par conséquent le délit de non représentation d’enfant n’était pas constitué. »

Sarah Thierrée avançait l’idée qu’il était psychologiquement difficile de se remettre en question lorsqu’on a prêté serment pour une institution et qu’on lui a consacré sa vie, sa carrière. Pensez-vous que c’est la seule raison des dysfonctionnements ? Certains de vos collègues évoquent une mauvaise formation des magistrats et dénoncent la toute-puissance des services sociaux. Voyez-vous une autre faille majeure à souligner ?

« Oui, en ce qui concerne les services sociaux, ainsi que je l’ai exposé dans mon ouvrage qui vient de sortir PLACEMENTS D’ENFANTS UNE JUSTICE SOUS INFLUENCES (MICHALON) je vois une logique de rentabilité financière des mesures menées.

Pour ce qui est des magistrats, ils sont sous l’influence de leur partenaire habituel de travail (ça crée des liens de travailler ensemble !). Ils leur font confiance. En outre les magistrats ont peur de retrouver une affaire dans la presse s’ils sont passés à côté d’une maltraitance, raison pour laquelle ils ouvrent le parapluie socio-judiciaire le plus grand qu’il soit !« 

Maître Christine Cerrada émet l’idée que peut-être, cette surprotection institutionnelle serait en quelque sorte un parapluie…

Maître Christine Cerrada, j’ai pu observer, au cours de mon enquête, que de nombreux faits étaient passés sous le tapis. Le procureur ne poursuit pas, rien n’est jugé et par conséquent, on peut dire sans mentir qu’il ne s’est rien passé.

Dans les faits, essayez un peu de porter plainte contre l’ASE… On fera tout au commissariat local pour vous en dissuader. Le procureur, encore une fois, ne donne pas suite. Cela ressemble à des consignes, un mode opératoire. Confirmez-vous mes observations ? Avez-vous un exemple précis à citer, sans forcément nommer les protagonistes ? 

« Tout le monde semble d’accord pour s’occuper de protéger les enfants des violences sexuelles, par exemple. Et tout le monde sait que les violences sexuelles ne laissent pas de trace, dans 90 pour cent des cas. Or les magistrats n’agissent que s’ils ont des preuves matérielles … Sachant qu’ils n’en auront pas ! De ce fait la volonté des magistrats peut être questionnée.

On frôle l’absurde. Quant à porter plainte contre l’ASE, les parents hésitent à le faire quand la mesure est en cours du fait des représailles. Quand la mesure est finie, ils sont en général en stress post traumatique. Ils doivent panser leurs blessures et celles des enfants, et ont d’autres sujets à penser que régler leurs comptes. Sans compte que faire une procédure a un coût. C’est dommage, j’incite les parents à ne pas laisser tomber ! L’actualité est en ce moment pleine d’affaires de ce genre, et nos Cabinets aussi.« 

Au vu des nombreux dysfonctionnements observés pendant cette enquête, nous nous demandons si un tel système est viable. Les professionnels n’en peuvent plus, ils deviennent maltraitants par faute de moyens et en raison du défaut de formation. Parfois, les enfants vivent en foyer des événements bien pires qu’à leur domicile. Pourquoi ne peut-on pas invoquer les droits élémentaires des enfants alors même qu’ils ne sont pas respectés en institution ?

« Il n’y a pas un manque de moyens. C’est plutôt une mauvaise utilisation des moyens. Il faut arrêter de dire que l’argent manque ! En revanche le manque de formation, les prétendus Bac + 3, très nombreux, où en fait, on a fait valider un diplôme d’animateur pour avoir une équivalence … il y a beaucoup à dire ! Assez souvent, ces  « éducateurs » voire « éducateurs spécialisés » font peur à juste titre aux parents ! Je ne parle pas de tous les intervenants, évidemment, mais on me signale des interventions assez curieuses, où l’incompétence interpelle.

Oui, le ruissellement des moyens financiers ne va pas jusqu’au travailleur social du bout de la chaîne, mais lui aussi a une responsabilité quand il écrit n’importe quoi dans les rapports sociaux, bien payé ou pas !! »

Nous avons mis en évidence des chiffres, publics. Ils parlent de 9 milliards d’euros alloués à l’ASE chaque année. Pour 300 000 enfant suivis ou placés. Nous sommes conscients que certains établissements, certaines MECS (Maison d’enfants à caractère social) sont plus coûteux que d’autres. Pour autant, cela n’explique pas les conditions désastreuses dans lesquelles sont accueillis les enfants placés. Une AEMO (Action Éducative en Milieu Ouvert), sauf erreur de notre part, induit que l’enfant est à la charge totale des parents.

Donc hormis une visite mensuelle de l’éducateur, il ne coûte rien. Il en va de même pour les gamins parqués dans des MECS dévastées. Où l’argent passe-t-il ? Il est mal géré, la Cour des comptes a dit que les comptes de l’ASE son opaques.

Maître Amas avançait l’idée que les 9 milliards d’euros attribués à l’ASE étaient uniquement destinés aux hébergements. Est-ce que vous nous confirmez ? Pouvez-vous nous donner les chiffres exacts sur l’entretien et les dépenses liées aux embauches de professionnels ?

« Je n’ai pas de chiffres exacts, ceux que je consulte prouve que les mesures sont une manne financière telle, que les rapports d’activité des gros acteurs sociaux privés habilités ressemblent à des rapports d’activité de sociétés commerciales ! Ils y écrivent leurs craintes de ne pas avoir la même dotation que l’an dernier car le chiffre de mesures a baissé légèrement … on a l’impression de lire les commentaires des bilans des sociétés anonymes commerciales. »

Créer un organisme qui gère les fonds publics de manière indépendante : qu’en pense Maître Christine Cerrada ?

Une entité indépendante qui gérerait ces fonds à échelle nationale ne serait-elle pas la solution pour mieux gérer

« Ce serait déjà mieux, la protection de l’enfance est une institution sans régulateur ni contrôle sérieux, mais elle est un bassin d’emplois, et parfois je me demande si ceci n’explique pas cela. J’ai approfondi le sujet dans mon livre, j’y renvoie. »

Enfin, nous avons entendu parler du concept juridique de “perte de chances”. Comment procéder pour obtenir une réparation pour son enfant placé abusivement ? Que recommandez-vous aux parents ?

« Je leur recommande de faire tous les recours possibles, y compris aller devant la Cour européenne des droits de l’homme, pour ce faire ils n’ont pas besoin d’aller jusqu’en cassation, cela a été jugé. »

On termine par notre question préférée : Maître Christine Cerrada, quel-le est votre rebelle préféré-e ?

« Mon héros absolu est Jean Moulin, le Résistant mort pour notre liberté.«