Cher Connard de Virginie Despentes met en scène deux interlocuteurs, tous deux originaires de Nancy et sa banlieue. Un secteur géographique que l’auteure connaît bien, puisqu’elle en est originaire. L’échange se déroule via Instagram, pendant le confinement, dont de nombreux Français ont souffert. Ce réseau social, l’auteure tient visiblement à le dénoncer… Mais pas seulement. 

Cher Connard de Virginie Despentes : un début sur les chapeaux de roue

Ce roman est un échange. Oscar, écrivain, polytoxicomane en plein sevrage, et accusé il y a peu de harcèlement sexuel au travail, lance les hostilités. Rebecca, féministe, 20 ans de consommation d’héroïne à son actif et actrice, répond à son message. Ils se connaissaient dans le passé (Oscar est le frère d’une amie de Rebecca). Aigri, seul, et en sevrage de drogue, Oscar la qualifie de « sale », « la peau épaisse ». Il n’en faut pas plus à Rebecca, à travers laquelle on retrouve le franc-parler de Virginie Despentes, pour le défoncer verbalement.

« Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant »

Rebecca, dans Cher Connard de Virginie Despentes

Vous nous direz, une introduction qui captive, c’est le propre d’un bon roman, d’un bon scénario. Nous ne sommes pas déçus ! On continue !

L’essence du livre : retracer la société telle qu’elle est, sans langue de bois

Oui, ce livre est une ode au féminisme, mais pas que. Il est aussi un cri contre la psychologie sociale qui entoure les réseaux sociaux, un coup de gueule contre le cyberharcèlement. Comme à son habitude, Virginie Despentes met en avant des faits de société avec un langage cru. C’est d’ailleurs ça qu’on aime tous !

On y parle des amours toxiques, mais aussi de l’addiction, un sujet qui concerne les deux protagonistes, et de tous ces sujets qui nous concernent tous, à un moment ou à un autre de nos vies. Le livre aborde aussi de sujets plus tabous. Ligne éditoriale oblige. Les mécanismes psychologiques, les comportements de chacun sont étudiés, décortiqués, analysés : encore une fois, c’est avec plaisir qu’on retrouve la griffe de Virginie Despentes.

Cher connard de Virginie Despentes est aussi une confession, celle de femmes qui se livrent

Rebecca explique notamment que le plus dur, quand on vieillit, est que « les mecs pas terribles pensent qu’ils sont en droit de tenter leur chance ». Avec elle, on ne s’ennuie pas, c’est le moins que l’on puisse dire !

Cette femme travaille dans le monde du cinéma. Elle raconte les recrutements, plus faciles quand on est dans la fleur de l’âge « c’est aussi ma jeunesse qu’on embauchait ». Elle raconte son point de vue à elle, qui a subi le harcèlement et le management toxique. Deux mondes s’affrontent alors. Bouffée d’empathie pour chaque camp, avec tout de même une pointe de condescendance pour Oscar. Les messages de ce dernier sonnent comme un « au secours », une envie d’être réhabilité auprès de la gent féminine. La réponse ne se fait pas attendre.

La Rebelle Attitude de Rebecca, dans Cher Connard de Virginie Despentes : on adore !

« Aucune chance que je mette en colère mon bon public féministe pour défendre un crétin de ton acabit. »

Virginie Despentes

La lutte des classes caractéristique des ouvrages de Virginie Despentes refait surface… On pense notamment à Nadine et Manu, dans Baise-moi, qui méprisent profondément ces gens friqués, qu’elles singent puis finissent par abattre de plusieurs balles.

La conversation (par messageries Insta interposées) dérive sur Zoé, une jeune influenceuse féministe, ancienne attachée de presse et victime d’Oscar. Virginie Despentes met le doigt sur une différence générationnelle : celle de parler de ses problèmes. Le féminisme est devenu très à la mode, les jeunes femmes ne s’en privent pas. Avant, l’heure était plutôt au silence, au secret. Ce n’est plus le cas maintenant.

Cher Connard de Virginie Despentes met en avant le féminisme et fustige les réseaux sociaux
Gare aux réseaux sociaux et au patriarcat : sur un ton authentique et sans langue de bois, Cher Connard de Virginie Despentes nous met en garde.

Le féminisme et la génération perdue d’Instagram incarnés par Zoé

Zoé incarne ces jeunes femmes qui disent tout haut ce qu’elles ont subi. Elle semble être à l’origine du mouvement #metoo, ou du moins, en est une fervente activiste. On retrouve le point de vue de l’agresseur : « Ce que Zoé allait appeler une agression, c’est que je lui avais fait une cour un peu assidue ».

Elle prend la parole, pleine de revendications féministes, avec cette absence de filtres qui fait encore une fois penser au personnage de Manu. On l’entend notamment répéter les propos d’une amie « Une b***, ça ne se suce pas, ça se sectionne ». L’idée d’un « complot féminin » émerge : « ce que nous appelons amour n’est qu’une fraude perpétrée par le sexe féminin ».

Un questionnement sur les relations hommes-femmes d’aujourd’hui

Le dialogue entre Oscar et Rebecca reprend. L’homme ne comprend pas que les femmes, qui semblent tant aimer les machos et la virilité, s’offusquent lorsqu’on tente de les séduire. Un point de vue qu’on peut comprendre, qui paraît logique. Et que Virginie Despentes met en lumière dans ce livre. Peut-être veut-elle souligner cette ambivalence ambiante qui fait que, dans le domaine de la séduction, personne ne sait plus sur quel pied danser.

L’évolution du féminisme à travers le temps

On prend conscience de l’évolution du féminisme, « chiant » d’après Rebecca dans les années 80-90, mais qui s’est renouvelé pour prendre davantage de sens. Elle traduit l’évolution de sa pensée, qui reflète probablement bon nombre d’entre nous « il y a encore 5 ans, je n’aurais pas lu 10 lignes de ses déclarations ». Leur mouvement s’est aujourd’hui renforcé et nous y prêtons, malgré nous, attention. Force est de constater que tout cela n’est pas complètement erroné.

Le tout, sur fond de thématiques sociales

Les problèmes sociaux qui mènent à la dépression et à l’addiction sont abordés, grâce à la narration de séances aux Narcotiques Anonymes. Rebecca note par exemple l’importance de prendre des drogues légales (médicaments, antidépresseurs…) pour être un bon citoyen. Son autocritique reflète ce que pensent bon nombre de personnes des drogués « Je suis défectueuse […] Je suis un mauvais soldat ». Elle prend le temps d’expliquer ce que ressentent les drogués « Quand on se défonce, c’est qu’on ne veut plus entendre parler de soi ni des autres. » La drogue, selon Rebecca, est de la « dissidence à bon compte ».

Les psychiatres alertent en effet sur ce point : les addictions n’étaient pas forcément plus importantes pendant le confinement, qui a obligé bon nombre de toxicomanes à se sevrer, mais les addictions sont devenues plus importantes par après.

La lutte des classes et le quotidien des classes populaires retracés par Cher Connard, de Virginie Despentes

On passe ensuite au fonctionnement du riche, qui, d’après le personnage, a besoin de l’envie du pauvre pour se sentir pleinement heureux. Lutte des classes, opposition entre deux mondes qui sont liés, sans avoir rien à voir.

Puis, sans transition, on explore le ressenti des mères de détenus et plus généralement, de ces femmes, qui cultivent leur « détresse » comme une « plante verte ». Leurs mauvais choix, leurs vies compliquées poussent leurs fils entre les barreaux. Tout est logique, expliqué, à travers des dialogues et des anecdotes.

On passe au rap, à cette revanche qu’aurait pris le peuple africain sur les personnes qui les ont réduits en esclavage dans le passé.

L’avis de la rédaction

Bref, en lisant Cher Connard de Virginie Despentes, vous profiterez d’un regard décomplexé et complet sur la société actuelle, celle des années 2022 – 2023. On ne vous spoile pas la fin du livre : n’hésitez pas à le lire, il est palpitant, passionnant, captivant.

Comme tous les ouvrages de cette auteure si on regarde bien. On pense notamment au roman Les Jolies Choses, qui a par la suite été interprété au cinéma par Marion Cotillard, et qui narre l’histoire de deux jumelles que tout oppose. Ici, Oscar et Rebecca se comprennent, les messages de l’un se reflètent dans les réponses de l’autre, mais paradoxalement, ils se confrontent et s’opposent constamment. Cela crée une opposition, deux points de vue radicalement différents, que seul internet a été en mesure de relier.

Le confinement et le comportement qu’il a entraîné chez bon nombre d’entre nous (procrastination, irritabilité, solitude, culpabilité face aux professionnels encore en activité, apeurés et dépourvus de masques…) sont aussi abordés. Comment passer à côté ?

Le pivot de Cher Connard de Virginie Despentes

Zoé est atteinte de la COVID-19. Elle échange avec Rebecca. La discussion se passe à travers une porte. Le ton est différent, pour bien démarquer les deux personnages (Zoé a une trentaine d’année, Rebecca, probablement la cinquantaine), mais dans les deux discours, l’ambiance est empreinte de féminisme et de force. Elles le montrent chacune à leur manière : une façon de mettre en valeur les différentes réactions des femmes face au patriarcat.

Oscar prend mal leur rencontre, qu’il considère comme une trahison. On perçoit sa rancœur à travers ses tirades.

Comment cet échange se terminera-t-il ? On en a assez dit comme ça. N’hésitez pas à lire cet ouvrage plein d’enseignements. Tout est dit sur un ton léger, mais on sent la recherche, la réflexion de Virginie Despentes sur le monde qui l’entoure et plus particulièrement les réseaux sociaux… Courez l’acheter : vous ne serez pas déçu ! On hésite à qualifier Cher Connard de pamphlet des temps modernes… Donnez-nous votre avis !

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