Docteur Eugénie Izard est pédopsychiatre à Toulouse. Docteur Françoise Fericelli est pédopsychiatre en Haute-Savoie. Leur spécialité ? La prise en charge d’enfants maltraités. 

A priori, elles n’auraient jamais dû se croiser, hormis à un congrès médical. Et pourtant…

Bien qu’éloignées géographiquement, elles sont désormais unies par un même combat et victimes d’un même système. Ensemble, elles ont créé un Collectif de Médecins, le Collectif Médecins Stop Violences, qui réunit une soixantaine de médecins qui luttent contre les violences intrafamiliales et contre les violences institutionnelles.

Les violences institutionnelles, les Dr Izard et Fericelli les connaissent. Elles en sont d’ailleurs victimes. Certaines entités étatiques ne veulent pas que leur image ne soit entachée et pour cause : le Conseil de l’Ordre des Médecins est aujourd’hui sous la rampe des projecteurs. 

On résume les grandes lignes de l’affaire

Ces deux professionnelles ont deux points communs. Commençons par le premier. Les patients les estiment toutes deux à 5 étoiles sur Google (c’est suffisamment rare pour le souligner). Elles sont donc extrêmement appréciées de leur patientèle. 

Deuxième point commun : elles sont accusées par le Conseil de l’Ordre des Médecins d’immixtion dans les affaires de famille (en vertu de l’article R 4127-51 du Code de la santé publique). Leur tort ? Avoir dénoncé des maltraitances infantiles dont elles avaient connaissance. 

Petit détail : le père de la patiente de Docteur Izard est médecin. Le père du patient du Dr Fericelli ne l’est pas, mais il est condamné pour des violences conjugales et n’exerce plus l’autorité parentale. Pour les deux médecins, le cauchemar commence….

Serment d’Hippocrate : qu’en est-il ?

Bien conscients que nous n’irions jamais jusqu’à la fac de médecine, nous n’avions jusqu’à alors jamais lu le Serment d’Hippocrate, socle de la déontologie médicale. Que dit-il déjà ? “Dans quelque maison que je rentre, j’y rentrerai pour l’utilité des malades me préservant de tout méfait volontaire ou corrupteur”. Ou encore “Je m’abstiendrai de tout mal, et de toute injusticeet  « Je respecterai toutes les personnes… J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. »

C’est bon à savoir pour la suite puisque le Conseil de l’Ordre des médecins est chargé, en France, de faire respecter la déontologie médicale.

Le Dr Izard a été condamnée par ce même Conseil de l’Ordre à 3 mois d’interdiction d’exercice de la médecine. Le Conseil d’État a annulé cette décision en avril 2022 et renvoyé à juger sur l’immixtion dans les affaires de famille à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins.

Pour autant, le Conseil de l’Ordre des Médecins réordonne sa suspension. Ne marcherait-on pas sur la tête ?

 “Il résulte des observations qui précèdent que les signalements opérés par le Dr Izard auprès du procureur et du Président du conseil général n’ont pas été constitutifs de fautes disciplinaires.”

Première décision de la chambre disciplinaire nationale

En d’autres termes, le docteur Izard n’a rien à se reprocher… Alors pourquoi l’ordre des médecins la condamne-t-il deux fois ?

Problème : il en va de même pour le docteur Fericelli. Les faits sont assez marquants. Pour rappel, elle avait signalé en 2016 et 2018 le cas d’un de ses petits patients en souffrance du fait de violences conjugales et de maltraitances. Dans cette affaire, un enfant est mort puisque le frère du patient est décédé par suicide à l’âge de 10 ans.

C’est d’une violence inouïe pour l’entourage, mais aussi pour le soignant, dont la peine n’est, pour ainsi dire, jamais prise en compte. 

Des médecins accusés malgré leur “bonne foi”

Nous avons interviewé ces médecins, qui ne comprennent plus les décisions prises en haut-lieu. Que se passe-t-il ? Où l’intérêt supérieur de l’enfant est-il passé ? 

Les mails échangés entre le Dr Izard et la mère de l’enfant ont été utilisés par le conseil de l’ordre alors qu’ils ont été obtenus par des moyens particulièrement déloyaux et utilisés en contrevenant au respect de la vie privée (respect de la correspondance privée). Curieux, si l’on considère que l’ordre des médecins garantit la déontologie de nos soignants…

La petite se plaignait de violences psychologiques et physiques. Tout ce qu’elle a fait, elle l’a fait dans l’intérêt supérieur de sa patiente : “je n’ai finalement qu’un seul regret : celui d’avoir échoué à protéger cette enfant”. “La justice de l’époque a été influencée par l’intervention du CDOM 31”, estime-t-elle. Tout son travail a été “discrédité”. 

La plaidoirie d’un médecin, une “très belle personne” selon ses patients

Dans sa plaidoirie, le docteur Izard précise aussi ce qu’implique le fait de s’occuper d’enfants maltraités, violés, des adolescentes suicidaires parce qu’elles ont vécu l’inceste. “Pouvez-vous imaginer ce qu’est, accompagner un enfant de 3 ou 5 ans, toutes les nuits, parce qu’il a des reviviscences. Pouvez-vous vous représenter ce qu’est d’accompagner des enfants terrorisés. […] Comprenez-vous ce qu’on ressent, quand on doit abandonner cet enfant, parce que la justice ne les a pas crus ?”

Elle appuie les propos de nos précédents interlocuteurs, qui dénoncent la remise de l’enfant à leur agresseur. Alors même qu’ils se plaignaient d’inceste. On parle parfois d’”enfants allaités.”

“Avez-vous la moindre idée de ce monde sordide, dans lequel nous vivons ?” 

Docteur Izard Eugénie. 

Nous avons décidé de donner la parole à ces médecins, qui visiblement, en ont assez de se taire. 

Regards croisés d’une profession en souffrance 

Pour plus de dynamisme, nous allons retranscrire les propos de ces professionnelles comme dans une conversation. Elles répondent ce qu’elles ont envie, quand elles en ont envie !

Le Conseil d’État n’est-il pas supérieur au Conseil de l’Ordre des Médecins ? Comment expliquer que ce dernier soit passé outre sa décision ? Il est pourtant reconnu dans un document officiel que vous n’aviez pas enfreint la loi ?

« Le conseil d’État est l’instance de cassation de la juridiction ordinale, il s’agit donc en effet d’une juridiction qui lui est supérieure. 

Il est en effet étrange de constater que le Conseil d’État a, par deux fois, récemment cassé des condamnations par l’ordre de médecins de deux pédopsychiatres différents (dont celle du Dr IZARD) qui avaient signalé des maltraitances à des Juges des Enfants et de voir qu’aujourd’hui, il est justement reproché au Dr FERICELLI le contenu d’un signalement au Juge des enfants, écrit d’ailleurs sur la recommandation écrite… du Conseil de l’ordre lui-même !

Étrange également qu’il soit reproché au Dr IZARD d’avoir écrit au Président du conseil départemental au sujet de l’enfant qu’elle suivait pour la signaler, alors même qu’il s’agit de l’autorité administrative désignée par la loi comme responsable de la protection de l’enfance dans chaque département ! »

Comment les avocats des docteurs Fericelli et Izard ont-ils procédé ?
On se demande : comment peuvent faire les docteurs Fericelli et Izard ?

Comment vos avocats vous défendent-ils ? Quelle est leur stratégie ? Le point de loi qu’ils lèvent, ou bien la faille ?

« Les juridictions de l’ordre des médecins appliquent les articles réglementaires du code de la Santé publique, les avocats défendent donc les médecins selon ces articles.

Or ces articles ne passent jamais devant les assemblées, ils sont la copie exacte du code de déontologie médicale écrit par l’ordre des médecins et dont la majorité date de 1948.

En d’autres termes l’ordre des médecins écrit les lois et les applique ! Il y a déjà là structurellement une grave confusion du pouvoir législatif et  du pourvoir judiciaire.

Outre cette première anomalie de taille, il faut savoir que la juridiction ordinale est une juridiction administrative d’exception qui comporte des règles propres, notamment une absence de prescription, la possibilité de condamner sur des éléments qui ne sont pas évoqués par les plaignants. 

Le CNOM est juge et partie : n’y a-t-il pas un problème ?

De plus, l’ordre est aussi très souvent juge et partie, c’est-à-dire qu’il peut, dans une même affaire, poursuivre un médecin et le juger.  

La défense des médecins par les avocats n’est donc pas facile, nos avocats ont souligné à maintes reprises ces aberrations. »

Par exemple, dans le cas du Dr IZARD, c’est le conseil départemental de l’ordre qui l’a poursuivie devant le Conseil régional puis devant le Conseil national. Ce sont ces entités qui l’ont successivement jugée. Or toutes ces instances ont des membres communs. Le conseil départemental de l’ordre l’a poursuivie devant le Conseil régional, puis le national devait la juger. Ensuite, le conseil national et le conseil départemental étaient parties contre elle devant le Conseil d’État.

Docteur Fericelli dénonce les décisions incompréhensible du Conseil de l'Ordre des Médecins
Docteur Françoise Fercelli ne comprend pas, elle non plus, les décisions du Conseil de l’Ordre des Médecins.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Aujourd’hui elle a de nouveau été jugée par le Conseil national et nous sommes donc en droit de nous demander avec quelle impartialité, dans ces conditions de proximité et de confusion.

Dans le cas du Dr FERICELLI, c’est le père violent qui la poursuit depuis 5 ans devant le Conseil de l’Ordre, alors même qu’il a été condamné par la justice de la République pour violences, qu’il n’exerce plus l’autorité parentale et qu’il n’a plus le droit de recevoir ses enfants depuis le décès de son dernier fils. 

Le Conseil départemental de l’Ordre des Médecins a estimé qu’elle n’avait pas fait de faute déontologique, mais le conseil régional et le Conseil national l’ont condamnée  à un avertissement au motif d’immixtion dans les affaires de famille.

On est bien loin du devoir de protection des plus vulnérables prôné par le serment d’Hippocrate puisque les efforts de protection de l’enfant (par ailleurs en situation de handicap) effectués par le médecin ont été sanctionnés par le Conseil de l’Ordre.

Vous avez été accusées d’immixtion dans les affaires de famille, mais si vous n’aviez rien fait et qu’un drame était survenu, on vous aurait aussi accusées… cette fois, de n’avoir rien fait. Pourquoi pas de non-assistance à personne en danger ? À quoi ce système à double contrainte* est-il dû ? Par quoi est-il causé, selon vous ?

*Pour rappel, un système de double contrainte, c’est lorsqu’un tiers (toxique) vous donne une solution. Si vous choisissez l’option A, c’est une erreur, vous serez sanctionné ou puni. Si vous vous comportez d’une autre manière, vous le serez aussi. Appliqué aux enfants et, dans une moindre mesure, aux adultes, ce système peut “rendre fou” ou mener à des addictions. 

Comprendre les enjeux de cette double-contrainte

« Le médecin est en effet pris dans un étau : signaler et il risque une condamnation ordinale / ne pas signaler et il peut être poursuivi pour non-assistance à personne en danger.

Ce système d’injonctions paradoxales faites aux médecins, dénoncé notamment par la CIIVISE  et des syndicats médicaux, est lié à des articles du code de déontologie obsolètes (la majeure partie date de 1948) qui s’inscrivent en contradiction avec les lois de protection de l’enfance. 

Autre problème : le manque de connaissances des médecins du Conseil de l’Ordre

Il y a aussi une méconnaissance de la part de l’ordre des médecins du Conseil de l’Ordre, en ce qui concerne les problématiques de violences intrafamiliales et de maltraitances faites aux enfants. »

Docteurs Fericelli et Izard nous alertent
Les docteurs Fericelli et Izard nous alertent sur la chasse aux sorcières dont font l’objet certains pédopsychiatres.

« Cette méconnaissance apparaît particulièrement dans la situation de la famille suivie par le Dr FERICELLI : les violences conjugales étaient anciennes et reconnues par la justice, les enfants ont été reconnus comme étant en danger par de nombreux services sociaux et magistrats depuis 2016, le père n’exerce même plus l’autorité parentale par décision de justice, c’est-à-dire que ce n’est plus à lui de choisir les médecins de ses enfants ! Un des enfants de la fratrie est même décédé par suicide à l’âge de 10 ans. Or le premier facteur de risque de décès par suicide avant 12 ans sont les maltraitances, notamment sexuelles.

Et lors de l’audience devant le Conseil de l’Ordre, il a été demandé au Dr FERICELLI comment elle aurait « en partie constaté » les violences intrafamiliales. Elle a répondu en détaillant les différents types de violences (physiques, psychologiques et sexuelles) telles que définies par l’OMS (Organisation mondiale de la santé).

Les juges connaissaient-ils même l’existence des violences psychologiques, qui relèvent pourtant de l’observation clinique du pédopsychiatre et ont un effet désastreux sur la santé mentale et physique des enfants? Le docteur Fericelli a par ailleurs expliqué avoir constaté dans son bureau les violences psychologiques du père sur la mère et sur l’enfant (insultes et menaces graves). Ceci n’a pas été entendu par la chambre ordinale.

Ce qu’en pensent les professionnels

On est en droit de se demander si la chambre ordinale, pourtant constituée en majorité de médecins juges, connaissait cette définition de l’OMS ni même l’existence des violences psychologiques, qui relèvent pourtant de l’observation clinique du pédopsychiatre et ont un effet désastreux sur la santé mentale et physique des enfants.

L’absence de médecin juge qui soit de la même spécialité que le médecin mis en cause est aussi un énorme problème de ces juridictions de l’ordre des médecins. »

Comment s’en sortir ? 

« La seule manière est de faire appel de ces décisions auprès du Conseil d’État. En cas de confirmation des sanctions par le Conseil d’État, il est possible de saisir la Cour Européenne des Droits de l’homme (CEDH). Toutes ces procédures sont évidemment très coûteuses et ne sont que partiellement couvertes par nos responsabilités civiles professionnelles.

Mais plus fondamentalement, il faut faire changer la loi, car il n’est pas possible qu’un médecin ne soit pas protégé lorsqu’il vient en aide à un enfant maltraité. Il n’est pas possible d’apeurer toute la population médicale avec de telles sanctions et la conséquence que des enfants maltraités ne soient plus aidés et signalés. Nous avons des propositions précises qui figurent dans la pétition du collectif de Médecins Stop Violences que nous avons co fondé en 2021. » 

Le Conseil de l’Ordre des Médecins n’est-il pas un comité de médecins qui veillent à ce que l’ensemble de la profession se conduise de manière éthique ? Sont-ils soumis aux mêmes lois et au même serment que vous ?

« Le Conseil de l’Ordre des Médecins est une institution créée en 1941, puis reprise par le Général de Gaulle à la libération. Sa première mission a été de répertorier les médecins juifs interdits d’exercer par un décret du gouvernement de Vichy. 

Les cotisations des médecins financent entièrement l’Ordre Des Médecins, ces cotisations sont OBLIGATOIRES et fixées par l’ordre lui-même. Aucun médecin ne peut exercer sans être inscrit à l’ordre. Il s’agit donc d’un organisme privé qui exerce des missions de service public. 

Le budget annuel de l’ordre est de 97 millions d’euros par an. Un rapport de la Cour des Comptes (2019) relève des anomalies, notamment une gestion opaque et un traitement des plaintes peu satisfaisant. »

En quoi les décisions de l’ordre des médecins vous concernant peuvent-elles nuire à vos patients ?

« L’expérience montre que les condamnations des médecins sont fréquemment instrumentalisées par le parent violent dans le cadre des procédures de protection des enfants. Le parent violent ne manquera pas de produire la condamnation auprès du Juge des Enfants, du juge aux affaires familiales afin de discréditer la parole du médecin qui cherche à protéger l’enfant. En cela, l’ordre des médecins a une grosse responsabilité en condamnant un médecin protecteur. 

Au-delà du préjudice porté au médecin, le préjudice risque d’être énorme pour les enfants concernés et pour la détection des enfants maltraités en général. »

Pour ces deux professionnelles et les médecins du collectif Médecins Stop Violences, la loi doit changer, il faut une obligation de signalement pour les médecins clairement inscrite dans la loi. Une protection vis-à-vis des poursuites devant l’ordre est également préconisée par la CIIVISE. Une pétition est en ligne. Il est temps également que ce code de déontologie médicale soit sérieusement révisé et actualisé. Le post LinkedIn du Docteur Fericelli a ému de nombreux Français… Il enregistre plus de 150 000 vues à ce jour !