Christine Cerrada est avocate référente pour l’association Enfance au Cœur. Début mars 2023, elle publie un livre d’alerte qui fait l’effet d’un coup de poing. Découvrez Placement abusifs d’enfants : une justice sous influences. Une très belle conclusion pour notre enquête sur les dysfonctionnements de l’ASE.

D’après Frédéric Fabre, requérant de pouvoir devant l’ONU, 90 000 enfants seraient placés abusivement en France (voir rapport OHCHR 2022). 

Pour faire le lien entre l’ouvrage de Christine Cerrada et notre enquête

Rappelez-vous : l’un de nos précédents articles s’appuie entre autres sur ce document. Les propos de Frédéric Fabre sont d’ailleurs confirmés par Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales en février 2012 : “50% des placements pourraient être évités”. Le rapport Naves Cathala, paru en 2000, appuie ces chiffres pour le moins étonnants. 

Les dysfonctionnements ne s’arrêtent pas là

En off, une source fiable nous parle de 9 000 enfants placés à Paris… Et de seulement 1/3 de PPE signés. Qu’est-ce que le PPE (défini par l’article L223-1-1 du Code de la Santé et de l’Action Sociale et des Familles) ? C’est tout simplement le Projet Personnalisé de l’Enfant. En gros, le document permet de fixer des objectifs et de tout faire pour que l’enfant finisse par rentrer à son domicile. Sans points à améliorer, sans axes à travailler, comment évoluer et envisager un retour ? C’est impossible et complètement en dehors du cadre, non-réglementaire. Mais comme ce n’est pas illégal, il n’y a aucune sanction. Donc pourquoi s’en priver ? 

Maître Christine Cerrada confirme-t-elle ces dysfonctionnements sur lesquels nos lecteurs nous alertent depuis des mois ? Quelle est la teneur de ses révélations ? On vous en dit plus tout de suite !

Christine Cerrada se fait le porte-parole des professions en souffrance

Avocats, médecins, enseignants, requérants de l’ONU, psychiatres, psychologues, éducateurs, associations, familles d’accueil… On ne compte plus les professionnels qui se plaignent de ce système défaillant. « 40% des SDF sont passés par l’ASE« , rappelle l’avocate. 

La question sous-jacente posée par le livre de maître Cerrada est la suivante : y a-t-il une réelle intention de nuire ou bien s’agit-il simplement d’une profonde méconnaissance des mécanismes qui régissent les relations au sein d’une famille ? 

Dès les premières pages du livre, on peut lire ces mots : “Je me refuse à aider une Justice dont je vois de si près les errements”. 

Placements abusifs d’enfants, de maître Christine Cerrada : une introduction qui appuie chacune de nos observations

Jessica Stephan, Frédéric Fabre, Edwige Garcia, Jessica Stephan, Docteur Trinquart, Docteur Fericelli… Ces professionnels s’accordent sur un point : le système marche sur la tête. 

Non mais sans blagues : 90 000 placements abusifs chaque année !

Tous nous disaient que parfois, malgré les bons soins et tout l’amour du monde apporté à un enfant, ce dernier est placé. Difficile à croire, et pourtant… C’est notamment le cas dans les situations de violences conjugales. Pire, ça se produit parfois lorsque le parent dénonce des faits d’inceste ou des maltraitances de la part de son conjoint ou ex. L’enfant est alors placé, sous couvert d’aliénation parentale, en foyer ou (pire ?), chez le parent agresseur. 

« Vous aimez votre enfant. Il est heureux chez vous. Pourtant, demain, vous serez peut-être le parent d’un enfant placé. »

Placements abusifs d’enfants : une justice sous influences (couverture)

Avocats et parents, les témoignages, tous bouleversants, affluent à notre rédaction. Nous parlions de Marie et sa maman Anne, dont nous publierons prochainement le témoignage. C’est leur vie quotidienne, leur enfer. 

Lire ce livre nous paraît être une belle conclusion à notre enquête auprès de ces familles déchirées. Nos bases sont bonnes, nous voilà rassurées 🙂 Continuons !

Dysfonctionnements de l’ASE : une sombre histoire de fric ?

On passe à la rentabilité d’un placement. Les subventions (9 milliards par an rappelons-le) sont principalement allouées à des organismes privés, des associations. Christine Cerrada précise que certains d’entre eux ont le “monopole” des placements, et ce, sur plusieurs départements. Cette exclusivité leur permet de fixer les prix qu’ils veulent. Les Fossoyeurs révélait un système comparable avec les EHPAD. Maître Cerrada n’aurait-elle pas publié l’équivalent, mais cette fois pour l’ASE ? Triste constat… Une gestion curieuse des fonds publics, dans un des pays les plus fiscalisés au monde !

Était-ce ainsi que Marianne concevait la Justice ? Certains avocats comme Maître Christine Cerrada décident en tous cas de ne plus se taire.

2 situations qui préoccupent Maître Christine Cerrada

Nous n’allons bien entendu pas répéter le livre tout au long de l’article. Nous en présenterons seulement deux exemples, que Maître Cerrada évoque avec pudeur et humour. En faisant le parallèle avec les témoignages parus sur Rebellissime, vous comprendrez que ces histoires malheureuses ne sont pas anecdotiques. Elles sont, plutôt, la partie immergée d’un iceberg qui commence à se dévoiler.

Mme C. : du CNED à l’ASE

Malgré une expertise psychiatrique très favorable, les deux fillettes de Mme C. sont placées. Le motif ? Le retrait de l’école pour phobie scolaire diagnostiquée de l’aînée. Leur relation serait trop “fusionnelle”. Les enfants seraient privés de contacts avec l’extérieur, et ce, en dépit de leurs multiples goûters avec des amis et activités extrascolaires. Ces gamines sont en danger. Point, à la ligne. 

Maître Christine Cerrada précise que, dans ce dossier, une note “à retirer du dossier” a été oubliée par la greffière. Elle mentionnait la décision du magistrat de placer immédiatement les enfants à la sortie de l’audience… Tout le contraire de la justice, où deux points de vue (ici, l’ASE et les parents) s’opposent et où un tiers (le juge), tranche en faveur de l’un ou de l’autre. Les cartes étaient déjà tirées. La messe était dite pour cette famille. 

Les enfants vont mal (forcément, avez-vous seulement idée de ce qu’est un foyer de l’enfance ?! Un mélange de détresse et de violences. Dur quand on n’a jamais connu autre chose qu’un foyer aimant…). Pourtant, le placement perdure. Mme C. a sa fille en larmes au téléphone tous les soirs.

Ah oui. On oubliait… les petites ont eu tellement peur de l’intervention des services sociaux qu’elles en ont oublié leurs tables de multiplication. N’est-ce pas là la preuve qu’elles sont gravement maltraitées, qui plus est, en retard dans leur apprentissage ? Allez hop, c’est parti : Ordonnance de Placement Provisoire…

Mme R. : la douleur d’une mère désenfantée pour toujours

Mme R. est assistante sociale. Son fils a deux ans. Le pédiatre lui diagnostique un hématome anal au retour de chez son père. Ce dernier a subi des violences sexuelles dans son enfance, ce qui est souvent le cas chez les pédophiles. Le petit refuse de retirer sa couche. Devant tant de signes d’alerte, Mme R. porte plainte. Son ex conjoint est placé en garde-à-vue. L’homme a des relations : c’est un homme d’affaires. Le substitut du procureur lève la garde-à-vue très rapidement : classement sans suite. Mme R. sent que son fils va mal. Le père, en l’absence de preuves et de jugement, bénéficie toujours d’un droit d’hébergement. Elle fuit le pays pour protéger son fils. Elle est incarcérée après deux ans de cavale. 

Le petit est remis à son père. Il grandit et tente de se construire à ses côtés, sombre dans la drogue. Il meurt à l’âge de 18 ans, finalement placé à l’ASE par ce père qui le voulait tant, lors d’un séjour organisé par l’association qui en avait la charge… Précision qui rejoint cette notion de rentabilité abordée en amont : le séjour était facturé 10€ la journée. “Cela amputera à peine les 289€ par jour [perçus par l’association]”, conclut maître Christine Cerrada. 

Vous trouverez en page 191 du livre, un chapitre sur le syndrome d’aliénation parentale, qui nous a été décrit par le docteur Fericelli. Et de nombreux autres préoccupations similaires aux nôtres. Voici le lien pour acheter le livre de Maître Cerrada. On vous le recommande vivement. 

Notre conclusion après lecture : des dysfonctionnements destructeurs, tout un système à revoir…

Les dysfonctionnements surgissent à longueur de pages, rien qu’en introduction : 

  • “Absence fréquente des greffiers pour laisser une trace contradictoire des débats”,
  • “rapports sociaux […] tout-puissants”,
  • Déscolarisation des enfants,
  • “Suppression des audiences préalables”,
  • Expertises fallacieuses.

Des aberrations juridiques : qu’en est-il des droits des parents ?

D’après ce que nous avons entendu, il arrive même que certains parents ne soient prévenus de l’audience de placement provisoire que 48h à l’avance. Comment peuvent-ils dès lors, préparer leur défense, contacter un avocat et obtenir un rendez-vous ? C’est pratiquement impossible. 

En off, on nous parle aussi d’un problème très concret et facilement vérifiable : un juge prend une décision, une ordonnance de placement provisoire ou octroie la garde d’un mineur à son agresseur. Cela arrive souvent, nous avons, rappelons-le, le témoignage de Gladys Riffard et celui de Marina, soutenu par Edwige Garcia, requérante de pouvoir pour l’ONU. 

Les dysfonctionnements des voies de recours

Donc le juge accorde la garde du petit au parent agresseur. Vous êtes un bon citoyen : vous faites appel. Appel rejeté. Vous passez à la Cour de Cassation. C’est là que le bât blesse. Enfin, si vous avez peu de moyens, car la justice à deux vitesses n’est pas un mythe. Il faut compter entre 4 et 6 mois pour que votre demande d’aide juridictionnelle pour la Cour de Cassation soit accordée. La procédure coûte plusieurs milliers d’euros.

Si on compte les délais d’appel et le temps que l’audience à la Cour de Cassation soit fixée… L’échéance du jugement d’un an émis par le Juge des enfants ou le JAF est arrivée. Eh oui, un an est passé… La Cour de Cassation ne tranche rien du tout, retour à la case départ. 

Edwige Garcia nous alertait d’ailleurs sur le fait qu’une loi permettait de saisir la CEDH (Cours Européenne des droits de l’Homme). Cette dernière constatait le caractère “ingérable” de ce recours, en raison de la longueur des délais d’examen du pourvoi (cf G.M. c. France du 9 décembre 2021, requête n°25075/18). 

Février 2023. La France sort une loi de son chapeau : L’article 1012 du Code de Procédure Civile dit que le président peut fixer la date de l’audience quand il le souhaite, donc dans les plus brefs délais. Il peut aussi faire traîner, voire débouter et orienter vers une médiation… Encore une fois, c’est un retour à la case départ… 

Pour finir…

Nous contactons Maître Christine Cerrada dès publication de cet article. Un regard croisé de nos deux positions pourrait s’avérer riche en enseignements… On poursuit cet article dans les semaines à venir. Ne ratez pas le rendez-vous !

Nous ne manquerons pas non plus d’échanger sur le sujet lors de notre interview de la députée PS Isabelle Santiago. Elle a déposé au mois de février sur le Bureau de l’Assemblée nationale la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants.