Malgré ses efforts pour rester discrète, l’Éducation Nationale fait parler d’elle depuis plusieurs années. Et pas forcément élogieusement.  Baisse du niveau, système de notation, professionnels de l’éducation précarisés… Comme vous, Rebellissime s’inquiète et ouvre le débat.

Le système de notation change, le niveau baisse et la gestion des effectifs est difficile à comprendre. Prenons l’exemple des AESH, Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap, autrefois appelés AVS, Assistants de Vie Scolaire. Ils sont en nombre insuffisant. Pour autant, l’Éducation Nationale licencie ses AESH pour des motifs parfois futiles.

C’est ce dont témoigne celle que nous appellerons Sabrina. Sur les conseils de son avocat, cette ancienne AESH préfère garder l’anonymat mais elle accepte toutefois de nous parler de son expérience.

Les délais d’obtention d’une AESH sont compris entre 6 et 9 mois à compter de l’acceptation du dossier par la MDPH (Maison Départementale pour les Personnes Handicapées). L’accord pour une AESH est bien souvent de 3 ou 5 ans. Il faut donc déduire au minimum 6 mois de présence aux côtés de l’enfant. Les délais MDPH sont déjà de plusieurs mois. Il faut que les enseignants et les parents composent avec un enfant qui présente de fortes difficultés pendant plus d’un an. C’est énorme et très long.

Un enfant qui a besoin d’une présence constante à ses côtés et n’arrive pas à se concentrer à l’école vit des moments difficiles. Ses troubles du comportement s’accentuent, le professeur est dépassé et fatigué. Les parents, eux, sont excédés des rendez-vous à répétition avec l’équipe éducative démunie. Tout est mis en place pour décourager ces enfants « pas comme les autres ».

Quelles sont les contradictions de l’Éducation Nationale à l’aube de 2023 ?

Comment serait-il possible d’y faire face ?

Zoom sur ces dysfonctionnements qui altèrent la qualité de l’éducation délivrée à nos enfants.

Éducation Nationale : l’histoire d’un déclin

L’école telle qu’on la connait a été mise en place à la fin du XIXe siècle, sous Jules Ferry. C’est lui qui met en place un système de notation sur 10, qui s’étend alors de l’école primaire jusqu’au certificat d’études.

Les notes laissent la place à des bonhommes.

Quand les notes sur 10 sont transformées en bonhommes souriants…

Ces notes sur 10 sont devenues des notes sur 20, au grand dam des autres pays européens qui eux, notent par lettres ou de 1 à 6 (comme c’est le cas en Allemagne). La France a bien essayé les lettres, mais il est devenu coutume d’ajouter des +, ce qui donnait B++ et autres. Devant la complexité de ce nouveau dispositif, les professeurs et l’Éducation Nationale sont revenus à leurs notes sur 20 ou sur 10.

Ensuite, aux alentours des années 2014, ces mêmes professionnels se sont interrogés. Et si ces notes traumatisaient les enfants ? Et si, au-delà du fait qu’ils n’ont à l’évidence pas compris la leçon, ce 0/20 détruisait leur égo, leur confiance en eux ? Les équipes pédagogiques s’inquiètent et réduisent le système de notation habituel à néant.

Les petits de 2016 disent qu’ils ont bien réussi l’exercice et qu’ils ont « reçu une maîtresse contente ». Comprenez… Un tampon avec un bonhomme qui sourit. Si l’exercice n’est pas réussi, ils obtiennent un bonhomme qui arbore une mine mécontente. S’il y a des fautes, mais que dans l’ensemble, c’est juste, le bonhomme adopte un visage neutre.

Les anciens déplorent la baisse de niveau de l’éducation. Ils estiment qu’un bac actuel vaut le certificat d’études d’antan.  Qu’en est-il ?

Les problèmes posés par ces changements

Ce dispositif n’est pas dérangeant pour les petits de maternelle. Les apprentissages se confondent avec ce que les enfants apprennent à la maison. Il n’est pas rare que des mamans attentives proposent des ateliers écriture pour améliorer la motricité fine de leur enfant. C’est plus compliqué à l’école primaire.

En effet, les enfants commencent à apprendre des notions de mathématiques et de français bien particulières. Les parents veillent à ce que tout soit bien assimilé. Dans le système passé, ils pouvaient raisonnablement se baser sur les notes. « Tu as eu 6/20, on va revoir cette leçon ! ». Or, maintenant… Ils ont affaire à des gommettes vertes, oranges et rouges. Si l’on tente de se référer au système de notation antérieur, il faudrait diviser 20 par 3 :

  • Gommette verte = bonhomme content = 13/20 à 20/20
  • Gommette orange = bonhomme neutre = 6/20 à 13/20
  • Et gommette rouge = bonhomme mécontent = 0 à 6/20.

Or, vous conviendrez qu’il est complètement différent d’obtenir un 20/20 qu’un 13/20. La leçon n’est pas du tout maîtrisée de la même manière. Comment dès lors se repérer ?

De plus, il faut garder à l’esprit que l’échec fait partie de la vie. C’est une expérience, un apprentissage. Qu’a-t-on mal fait ? Comment faire mieux ? Nous apprenons beaucoup de nos erreurs. Faire croire aux enfants qu’ils n’échouent pas n’est pas bon pour leur développement. Il semblerait même que ça soit le contraire.

Comment cette génération va-t-elle réagir lorsqu’elle sera confrontée à des échecs inévitables au baccalauréat ? Ne serait-il pas pertinent de mettre aussi des vignettes souriantes à nos bacheliers ? Et de leur faire doucement comprendre qu’ils sont au rattrapage. Pourquoi ne pas les gratifier d’une « maîtresse pas très contente » ?

2023 : Quelle gestion des professionnels au sein de l’Éducation Nationale ?

Nous parlions de Sabrina, ancienne AESH. Sabrina a un diplôme d’Aide Médico Psychologique et est donc parfaitement formée à la prise en charge d’un public en situation de handicap. Elle a cessé cette activité au profit des plus jeunes et est intervenue pendant trois ans dans les écoles primaires.

AESH en péril: témoignage et mise en contexte

Cette jeune femme présente des évaluations annuelles élogieuses, faites par l’Éducation Nationale elle-même. Elle tombe enceinte courant de l’année 2021 et se voit remerciée. Le motif ? Une mauvaise qualité de travail selon eux… Alors même que ses évaluations sont excellentes et qu’il y a un manque criant d’AESH en France.

En effet, elles étaient 132 000 en France avant la rentrée 2022. Désormais, elles sont 136 000. Problème : il y a 430 000 élèves en situation de handicap en France, en 2022. C’est ce que souligne le journal quotidien 20 minutes.

Dans les faits, les AESH ne se voient « jamais » proposer de CDI. Elles ont des contrats à durée déterminée à temps partiel, 25h/semaine la plupart du temps. Soit un salaire inférieur à 800€. Humain et normal qu’elles foncent vers d’autres horizons dès qu’elles en ont l’occasion. Le travail n’est pas plus gratifié que si elles assuraient le service des repas à la cantine ou le périscolaire.

Le témoignage de Sabrina : des incohérences qui vont à l’encontre du bien-être de nos enfants

Nous échangeons longuement avec Sabrina. Elle explique avoir été confrontée à des enfants qui n’ont pas encore d’AESH attribuée. Ils sont livrés à eux-mêmes dans la classe et créent un désordre qui pénalise l’ensemble du groupe. Faute de moyens, les écoles se débrouillent comme elles peuvent. Parfois, elles placent les enfants dans le couloir ou dans des autres classes qui n’ont rien à voir avec leur niveau. En bref, les professeurs mettent le perturbateur là où il gênera le moins. Mais cela ne lui permet pas d’avoir une éducation. C’est de la garderie pour dépanner.

Avez-vous entendu parler de renvois similaires au sein de l’Éducation Nationale ou êtes-vous un cas isolé ?

Non je suis un cas isolé pour le moment.

Vous partagez vos 25h de travail hebdomadaire entre 2 élèves : est-ce suffisant pour qu’ils progressent ? Comment font-ils le reste du temps, lorsque vous n’êtes pas là ?

Généralement le temps passé avec les élèves dépend du temps accordé par la MDPH. C’est variable en fonction des enfants et de leurs troubles. Pour moi, ce n’était pas suffisant. La maîtresse devait se débrouiller seule avec cet élève et les 30 élèves qu’elle a à côté.

Comment devient-on AESH ?

Il faut avoir soit un diplôme d’AMP (aide médico psychologique) ou une expérience d’auxiliaire de vie ou le bac. C’est assez incompréhensible, car une expérience au contact d’un public handicapé est nécessaire. Or, le bac ne délivre aucune formation en matière de handicap.

Comment d’après vous, serait-il possible d’améliorer les choses ?

Déjà, communiquer avec les AESH, leur accorder davantage de poids serait un progrès. Il y a 3 ans, les AESH étaient sectorisées. Elles travaillaient aux alentours de leur domicile. Après, elles sont devenues mobiles. Chaque professionnelle peut avoir jusqu’à 5 enfants à charge. Comment s’en occuper correctement dans ces conditions ? C’est impossible.

Qu’est-ce qui, dans le système scolaire, à l’heure actuelle, porte préjudice au bon développement et à l’épanouissement des enfants ?

Le manque de personnel et de moyens, le manque de matériel. Surtout, l’absence de formation est à revoir. 60 heures de formation ne sont pas suffisantes pour s’occuper 25 heures par semaine d’enfants qui présentent un handicap. Pour compenser, l’Éducation Nationale a recours à des services civiques. En bref, ce sont des gamins de 18 ans, parfois sans diplômes qui prennent soin de ces petits aux besoins si particuliers. Leur bonne volonté n’est pas remise en cause. Simplement, il est nécessaire d’être formé pour travailler correctement avec de tels enfants.

De plus en plus d’enfants ont des besoins spécifiques. La crise n’en n’est donc qu’à ses débuts. Certains enfants sont en école classique, en ULIS la plupart du temps, alors qu’ils auraient besoin d’une prise en charge en IME. Aucun suivi n’est mis en place par l’académie. C’est d’ailleurs l’école qui se charge du suivi et du bon déroulement de l’accompagnement.

Sabrina, AESH pendant 3 ans

Le témoignage de Sabrina met en lumière certains dysfonctionnements. Nous tenions à aborder aussi le niveau descendant de l’enseignement français.

Baisse du niveau de l'orthographe à l'école.

Éducation Nationale et dégringolade de l’orthographe : croyance ou réalité ?

Dans Lettre d’une enfant de la guerre aux enfants de la crise, Evelyne Sullerot (sociologue), explique que ses enfants, dans leur vie professionnelle, ont été amenés à corriger des copies de bacheliers. Ils ont cessé de compter et de corriger les fautes tant elles étaient nombreuses. Pardon. Pas fautes. L’Académie Française juge que cela stigmatise. Nous dirons donc « erreurs ».

Pour autant, le problème est le même. Constat affligeant : les bacheliers font des erreurs d’orthographe et de grammaire incroyables. Les correcteurs reçoivent la consigne d’être « indulgents ».

Cette consigne revient aussi dans La Fabrique du Crétin, un livre d’alerte publié en 2005 par Jean-Paul Brighelli. Il explique que les médias de cette époque louaient notre système éducatif et ses résultats incroyables. Et qu’en réalité, les notes avaient, cette année-là, été lamentables. Les correcteurs avaient alors reçu l’ordre de renoter les copies, en faveur des étudiants. Une copie qui initialement, vaut 5/20 a été notée à 9 ou 10/20.

« On m’a accusé d’être obsessionnel parce que je signalais les fautes parfois énormes, laissées par les collègues dans les bulletins, à l’occasion des conseils de classe ».

De fait, à l’heure d’aujourd’hui, on retire 2 points par copie et ce, uniquement s’il y a plus de 10 erreurs d’orthographe, syntaxe et grammaire. Comment dès lors aborder des études universitaires… Le constat est bien triste.

Vous vous demandez ce qu’il en était dans les années 90 ? Eh bien sachez qu’en 1987, le nombre de fautes dans une copie du bac était de 10,9. En 2015, on passe à 14,7.

Tout ceci nous ramène à une citation récente de Bernard Pivot : « L’orthographe est une valeur devenue aléatoire, ornementale ». En bref, une décoration. La preuve du déclin de notre éducation ?