Sarah Thierrée est docteure en neurosciences, mais aussi psychologue. Comme nous, elle a constaté de nombreux abus dans un secteur : celui de l’expertise psychologique JAF (juge aux affaires familiales). Cette dernière est ordonnée par les tribunaux.
Pour mettre en évidence les dysfonctionnements, elle a conduit une étude exploratoire en étudiant le cas de 6 personnes, 5 femmes et 1 homme, tous victimes d’une ou plusieurs expertises psychologiques abusives, fallacieuses et erronées.
Ces expertises ont entraîné le placement de l’enfant ou une perte de la garde, au profit d’un autre parent, parfois soupçonné d’inceste. Il faut tout de même garder à l’esprit qu’une expertise psychologique a pour objectif d’éclairer le magistrat sur un point qu’il ne maîtrise pas : la psychologie d’un enfant ou d’une famille.
La méthode de Sarah Thierrée pour réaliser cette étude exploratoire
Le docteure Thierrée a choisi de réaliser des entretiens semi-directifs. Dans le premier temps de l’entretien, elle a posé des questions ouvertes aux parents qu’elle a rencontrés. Pour rappel, on répond par oui ou non à une question fermée, tandis qu’une question ouverte permet de développer. Par exemple :
« As-tu faim ? » (c’est une question fermée, la réponse ne peut être que oui ou non)
« Que voudrais-tu manger ? » (c’est une question ouverte, elle ouvre sur une réponse personnalisée et permet de développer).
On n’obtient pas la même réponse, on ne laisse pas la même latitude selon que l’on utilise l’un ou l’autre des types de questions. Une question ouverte permet de mieux s’exprimer et offre une liberté que la question fermée ne permet pas.
De plus, les questions fermées suggèrent plus facilement une réponse, ce qui peut créer des biais.
Le Docteure Thierrée précise que, spontanément, les six personnes ont raconté leur histoire dans l’ordre chronologique. Elle a simplement réalisé des relances quand elle ne comprenait pas quelque chose ou souhaitait davantage de détails.
Fait intéressant : cette chercheuse investie détecte chez les six personnes des éléments psychotraumatiques qui font suite aux expertises précédentes. Quel point commun y a-t-il entre tous ces parents ? Ils ne connaissent pas les rouages de la machine judiciaire française et surtout, ils ont des traits de caractère qui ne plaisent pas aux experts, bien souvent des pathologies « mal perçues » si l’on peut dire ainsi, ou même diagnostiquées à tort, sans éléments cliniques tangibles.
Les dysfonctionnements relevés dans l’expertise psychologique JAF française
Sarah Thierrée met plusieurs défaillances en évidence. Les premières sont d’origine humaine et psychologique. En effet, chacun d’entre nous a un cadre de référence. Ce sont les émotions, le passé, et les expériences vécues par chacun d’entre nous qui le composent.
Les experts, ces êtres humains
Cela met en évidence le fait que les experts ont des sentiments, des émotions que comme tout un chacun, ils ne peuvent pas maîtriser. Cela influence leur jugement. Ils peuvent éprouver de la sympathie pour l’une ou l’autre partie, ou au contraire, une aversion. La psychologue observe également que les prédictions erronées sont monnaie courante dans les rapports qu’elle a étudiés.
Elle précise pour autant que certaines expertises sont très qualitatives et reflètent la réalité. Il n’est donc pas question de généraliser, mais plutôt de mettre le doigt sur ces dysfonctionnements qui motivent chaque année de nombreuses plaintes.
Le risque de la surinterprétation dans une expertise psychologique JAF
Le professionnel peut surinterpréter, ou éprouver ce qu’on appelle une proximité fonctionnelle. En bref, si vous fonctionnez comme le psy, vous avez plus de chances de susciter sa sympathie. Il y a aussi le biais cognitif de corrélation illusoire, un des pièges dans lesquels tombent souvent les psychologues mal formés ou pas assez avertis. Qu’est-ce qu’une corrélation illusoire ? C’est quand on fait un lien qui paraît logique mais, en réalité, n’a aucun rapport avec la réalité. Exemple : Madame a perdu son père. Son projet professionnel va forcément échouer.
L’importance de se former
Tout cela n’est pas nécessairement conscient mais peut le devenir ; il est du devoir déontologique du psychologue de se former et d’effectuer une veille. Pour autant, rien ne l’y oblige, et encore une fois, rien ne peut l’empêcher d’être humain. Mais le professionnel en lui devrait avoir la distance nécessaire pour ne pas se laisser aller à de tels jugements qui n’ont pas leur place dans une expertise psychologique JAF.
QUID de la déontologie et des compétences du professionnel qui mène l’expertise psychologique JAF
Les problèmes peuvent aussi être d’ordre déontologique. Aucun cadre juridique n’encadre les expertises. Pour devenir expert auprès du JAF, il suffit de remplir un dossier de candidature. Ce sont des juristes qui font les sélections, alors même qu’ils n’ont aucune formation en psychologie. Comment dès lors, déterminer ceux qui connaissent leurs métiers ?
Dans ces expertises, on retrouve des jugements de valeur, des condamnations. Les échanges sont partiaux, le père par exemple, reçoit uniquement des éloges, tandis que la mère a une partie à charge, beaucoup plus longue. L’ennui est que les parents qui en sont victimes ne peuvent rien faire. Contrairement au corps médical, qui dépend du Conseil de l’Ordre, les psychologues ne sont soumis à aucun code de déontologie opposable, qui les oblige à faire preuve d’éthique.
C’est à leur bon vouloir… Quant aux médecins, le Conseil de l’Ordre a déclaré qu’il n’était pas compétent pour statuer sur les affaires judiciaires, et se dessaisit donc de ces importantes questions dans le cas des expertises.
Les rapports nationaux estiment que les placements abusifs en France concernent 50% des situations. Il semble préférable que les expertises n’aggravent pas ce chiffre alarmant !
Les dysfonctionnements judiciaires qui découlent de ces observations
Maître Bouguessa confirme les propos de Maître Stéphanie Ambiaux : les magistrats ont un gros problème qui s’appelle le manque de spécialisation. En effet, chacun d’entre eux, quelle que soit la juridiction où il exercera, suit un cursus de droit et s’oriente ensuite vers l’école de la magistrature. Point, à la ligne.
Or, problème, la psychologie et le relationnel avec des enfants, cela s’apprend.
On n’entre pas en relation de la même manière avec un enfant qu’avec un adulte. Certains juges disent tout de même à des enfants « tu mens », alors même que ces derniers relatent des faits d’inceste. Quelle négation de la parole de l’enfant, quels dégâts ! Ce n’est pas la première fois qu’on constate de tels faits !
L’autre souci majeur est le manque de moyens, qui occasionne un manque de temps. Chaque magistrat accorde entre 3 minutes et 1h20 à chaque dossier, selon les sociologues qui ont participé à l’étude Cairn. Comment, dans ces conditions, comprendre les enjeux de chaque couple, de chaque famille ?
Comment peut-on déterminer qu’une enfant est ou non agressée sexuellement par son père en trente minutes ? C’est absolument impossible. Et quand ces professionnels ont la chance que les enfants parlent, ils ne tiennent pas compte de leurs propos…
Parfois, les magistrats sont de bonne foi. Pressés par le temps, ils lisent uniquement les conclusions de l’expertise psychologique et ne regardent pas le développement et le déroulé de l’entretien. Ils se basent uniquement sur ces quelques lignes, bien souvent teintées de l’avis du professionnel.
Pot de terre contre pot de fer, le combat est pratiquement perdu d’avance…
Améliorer les process de l’expertise psychologique JAF : quelles solutions ?
Une proposition est faite pendant la visioconférence : celle de filmer les expertises. C’est Pascal Cussigh, avocat, qui en est à l’origine. Cela permettrait effectivement deux choses : d’une part, le magistrat pourrait, pas systématiquement, mais si besoin, consulter les vidéos. De plus, cela éviterait les dérives, comme les entretiens d’expertise qui durent dix minutes, ou pire, sans même rencontrer le parent. Nous supposons que les expertises étant payées au forfait, le professionnel est tout de même rémunéré comme si la prestation avait duré une heure ?
Nous en échangions récemment avec Maître Ambiaux, avocate au barreau de Thonon-les-Bains. Elle précise qu’une de ses clientes a fait l’objet d’une telle expertise psy.
Remettons dans le contexte (nous reviendrons sur cette affaire). Anne est la maman. Sa fille Marie lui fait des confidences, qui laissent présager le pire ; des attouchements, voire des viols sur la petite, par son père. Les signalements des médecins et de la maman sont classés sans suite et pour cause… Les expertises médico-légales n’ont eu lieu que 10 jours après l’audition Mélanie. Et cette avocate nous racontait donc que Gregory, le père de Marie, avait été expertisé à distance.
Les éléments de la gestuelle sont très importants, surtout dans ce contexte. La posture, l’environnement, le rapport et le lien entre le père et l’enfant ne peuvent pas être décodés de manière satisfaisante. Comment par exemple, détecter la peur de la petite fille ? On ne la voit pas à la caméra, elle joue quelque part dans la maison et n’assiste donc pas à l’entretien…
Il serait aussi possible de mettre en place un colloque d’experts, plusieurs professionnels qui se réunissent pour débattre d’une situation et en échanger.
Enfin, il serait pertinent d’étoffer la palette d’outils à la disposition de ces experts. Cela permettrait de s’appuyer sur des éléments fiables et objectifs. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il existe bien des échelles, mais elles sont peu nombreuses et pas assez perfectionnées.
Expertise psychologique JAF : notre interrogation
Au vu de certains abus, nous ne pouvons enfin que nous interroger, comme nous l’avons déjà fait, sur la rentabilité de ces procédés d’expertise psychologique au JAF. En effet, ce sont les juges qui désignent l’expert de leur choix. Comment savoir s’il n’existe pas une sorte de partenariat moral ou économique ? Le juge orienterait, consciemment ou non, les justiciables vers un expert précis, qui correspond à son raisonnement.
À moins qu’il n’y ait des avantages financiers, ce qui serait, à notre sens, le pire manquement déontologique qui puisse être ?
Nous creusons dans cette direction et poursuivons ce dossier de presse qui, décidément, n’en finit plus !
Bonjour,
Ayant moi-même fait les frais d’une expertise judiciaire jaf hallucinante, je confirme que le JAF suit à la lettre l’interprétation ou la surinterprétation de l’expert. Par exemple, l’expert me demande si j’ai quelqu’un dans ma vie, je réponds que non et que cela ne m’intéresse pas, que je vis bien le fait d’être seul (à 50 ans). Résultat : il est écrit dans le rapport que j’ai un problème avec la gent féminine. J’ai eu droit à un rapport à charge alors que madame a eu des éloges. Je ne parle même pas du test de Rorschach (interpréter des taches d’encre sur un bout de carton) où mes réponses ont été considérées comme incorrectes mais celle de madame toutes correctes ! Il y a aussi des propos mis dans le rapport qui ne sont pas les miens. Comment se retourner contre un expert dans ce cas ?
Merci pour votre témoignage. Au regard des nombreux témoignages que nous recevons, le chemin des parents faisant l’objet d’une expertise problématique les entraîne sur le un long et délicat combat dans la garde de leur(s) enfant(s). Le mieux est de s’adresser à des associations qui pourront vous orienter vers des professionnels pouvant vous défendre. Nous travaillons sur de prochains articles à ce sujet. Tenons-nous informés !