Handicap et douleur sont deux mots bien souvent corrélés. Or, manifester sa souffrance n’est pas toujours possible.

1 Français sur 6 est atteint d’un handicap. Certains d’entre eux sont autistes, présentent de troubles moteurs ou intellectuels qui les empêchent de parler ou d’écrire. Les médecins disent de ces patients qu’ils sont « dyscommunicants ». D’après le docteur Bénédicte Gendrault, pédiatre et médecin ressource de CoActis Santé, ces personnes « perçoivent la douleur mais l’expriment de manière atypique ». Seule une bonne observation du comportement et des mimiques faciales permet de comprendre que cet homme ou cette femme souffre.

L’empathie n’est ici pas suffisante. Le soignant ou le proche ne peut pas se baser uniquement sur son propre ressenti pour déterminer le degré de douleur vécu par autrui. Nous avons tous un seuil de tolérance à la douleur qui nous est propre. De plus, certaines pathologies nous rendent plus durs encore à la douleur. Nous pensons par exemple aux troubles autistiques et aux pathologies mentales qui, lors des crises, décuplent les forces.

Comment déterminer la douleur d’un malade aphasique avec fiabilité ?

Comment savoir si, cette fois, ses troubles du comportement ne sont pas causés par la douleur ?

Décryptons cette problématique qui a été trop longtemps négligée : la souffrance de ceux qui ne peuvent pas ou plus verbaliser leurs maux.

Handicap et douleur : quand pouvoir parler et comprendre est une chance

Habituellement, nous exprimons notre souffrance. Les mots, les cris et les larmes font partie des outils verbaux et non-verbaux habituels. Il arrive que parfois, les troubles soient tels qu’il devient impossible de communiquer et même de comprendre ce qui nous arrive.

Mieux appréhender la douleur change la donne

La douleur est un signal d’alerte du corps ou l’expression d’un mal-être. Nous, personnes mobiles et saines d’esprit, en sommes conscientes. Pour autant, les conséquences sont graves lorsqu’on n’est pas suffisamment armé ou stable mentalement pour affronter la douleur.

Lorsque vous avez mangé trop de chocolat, vous avez une crise de foie. Rationnel, votre cerveau fait le lien entre les deux événements et vous vous dites « Si j’avais mangé moins de chocolat, j’aurais eu moins mal au ventre. La prochaine fois, j’en mangerai moins ! ». Et vous attendez que ça passe.

Ne pas comprendre une douleur entraîne de la panique

Au contraire, une personne qui ressent une douleur vive mais ne l’explique pas, a peur. Elle angoisse, quand elle ne panique pas franchement. Les troubles psychosomatiques ne sont pas une invention des temps modernes. La médecine chinoise l’a démontré maintes fois : le corps et l’esprit sont liés. Ne dit-on pas d’ailleurs une « mal-a-dit », « maladie » ?

Il est donc important, pour apaiser une douleur, de soigner déjà l’âme et l’esprit. Adoptez une posture calme, ne laissez pas transparaître votre inquiétude. Restez souriant, détendu, rassurant, apaisant. Parlez avec une voix douce, amicale et chaleureuse. Une fois ce climat instauré, il est possible de se pencher sur la douleur physique à proprement parler et de l’identifier.

À noter : il est fondamental de prendre le temps d’expliquer ce qu’il se passe, avec des mots simples pour rassurer le sujet.

Les mécanismes mis en place par les personnes qui n’arrivent pas à communiquer

Les petits de 1 à 3 ans par exemple, se sentent entièrement submergés par la douleur. Ils n’ont pas mal à la jambe, ils ont mal dans tout leur être. La pédiatre Françoise Dolto remarquait d’ailleurs que les enfants grands brûlés se masturbaient afin de libérer l’endorphine, l’hormone du bien-être, et soulager momentanément la douleur. C’est ainsi qu’elle détectait les pics de souffrance et pouvait y remédier.

Les adultes, lorsqu’ils n’ont pas la capacité de parler, expriment leur douleur de manière différente. Comment la comprendre et ainsi, la soulager ? C’est la question que se posent de nombreux professionnels, mal préparés à cela.

Quels outils pour mieux gérer le handicap et la douleur ?

C’est pour mieux accompagner son fils, atteint d’un trouble autistique que Pauline D’Orgeval a fondé l’association CoActis. « L’idée est d’apporter des solutions concrètes », de coconstruire le protocole avec les personnes concernées. La loi du 4 mars 2002 reconnaît la prise en charge de la douleur est un « droit fondamental » du malade.

Malgré les évolutions législatives, les personnes dyscommunicantes ne sont pas suffisamment accompagnées pour traiter la douleur. Les soignants n’ont pas les ressources nécessaires pour y faire face.

Il existe deux outils dont les proches et les soignants ne peuvent pas se passer. SantéBD et HandiConnect.fr sont deux ressources qui leur permettent de détecter rapidement la douleur chez la personne dépendante dont ils s’occupent.

Handicap et douleur : que dit la loi ?

« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toutes circonstances prévenue, prise en compte et traitée ». C’est la loi. Mais qu’est-ce qu’une douleur exactement ?

En 2020, l’International Association for Study of Pain la définissait comme suit : « Expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ».

Douleur et handicap : que dit la science ?

Le corps n’oublie jamais une grosse douleur. Lorsqu’on les stimule à nouveau, les terminaisons nerveuses qui ont déjà souffert réagissent. Elles génèrent une cascade d’émotions, mais surtout, libèrent des substances bien spécifiques dont l’organisme se souvient.

Il est possible d’anticiper la douleur, de la ressentir avant même qu’elle n’arrive. La douleur est pourtant authentique et occasionne une réelle souffrance.

Ne pas parler ne signifie pas que l’on ne souffre pas. L’absence de communication ne signifie en aucun cas que le patient n’a pas besoin d’être traité.

« Il est des douleurs, qui ne pleurent qu’à l’intérieur »

C’est sur cette belle citation que le docteur Djéa Saravane, spécialiste des TSA et de la prise en charge de la douleur fait son entrée. Les personnes qui présentent un handicap dyscommunicant souffrent d’un manque d’évaluations qualitatives de leur douleur.

Cela entraîne des troubles anxieux, la dépression, l’agressivité, l’automutilation… Il est donc urgent de s’en soucier.

Comment discerner la douleur de la dépression, l’anxiété et autres troubles ? L’émotion, nous l’avons vu, est un facteur aggravant parfois même déclencheur. Les troubles du comportement ne sont pour autant pas forcément liés à un handicap.

Certaines personnes manifestent la douleur de manière atypique. À cela s’ajoute un manque de formation. C’est une des raisons pour laquelle sa prise en charge laisse encore à désirer. Enfin, et c’est le plus triste, certains professionnels pensent encore à l’heure actuelle que les malades de l’autisme n’ont pas mal. Nous savons aujourd’hui que c’est faux. Ils la ressentent parfois avec une plus grande intensité mais qu’ils n’ont pas la faculté de l’exprimer verbalement comme nous le ferions.

En bref, ils ne peuvent pas quantifier et décrire la douleur. Le diagnostic est alors retardé. Seule une observation minutieuse des proches et des soignants permet de l’identifier. Le comportement et le langage corporel seront de précieux indicateurs.

Comment détecter la douleur chez le patient dyscommunicant ?

13 critères, comportements et symptômes très précis sont à observer si vous suspectez une douleur.

  • Mâcher ou mordre ses vêtements,
  • Émettre des vocalisations (gémissements, cris…),
  • Faire des grimaces, froncer les sourcils, présenter des TOCS qu’on n’avait pas avant,
  • S’automutiler,
  • Manger constamment quelque chose, que ce soit comestible, alimentaire ou non,
  • Changer brusquement de comportement,
  • Anorexie ou boulimie inhabituelles,
  • Devenir irritable,
  • Grincer des dents,
  • Se tapoter la gorge,
  • Se mettre en colère et développer un trouble de l’opposition,
  • Mal dormir,
  • Être prostré.

Si vous remarquez un ou plusieurs de ces signes chez une personne dont vous vous occupez, il est préférable d’accentuer l’observation pour relever toute anomalie et de l’emmener consulter un médecin. Il faut rechercher une maladie organique dans les plus brefs délais.

Les signes de la douleur atypique

Il arrive que certains sujets présentent une manifestation atypique de la douleur. Le malade se met parfois à rire de manière incontrôlée, ou à sourire sans que ça ne soit naturel.

Il est aussi possible qu’il crie sans raisons, devienne agressif envers vous, alors même qu’il vous connaît très bien, ou plonge dans une forte léthargie. Ces symptômes doivent donc être pris en compte dans un examen clinique de base.

Comment quantifier la douleur ?

Il y a deux échelles différentes qui permettent d’objectiver la douleur chez un malade qui ne communique pas et ce, quel que soit son âge.

L’ESDDA : l’échelle de la douleur des patients qui présentent un spectre autistique

L’Échelle Simplifiée d’évaluation de la Douleur chez la personne Dyscommunicante avec trouble du spectre de l’Autisme est composée de 6 items qui permettent de déterminer avec précision si le sujet souffre ou ne souffre pas. Les soignants et les non-soignants peuvent y recourir sur les patients âgés de plus de 2 ans car elle est très simple à utiliser.

Le NCCPC (également appelé GED-DI)

Le Non Communicating Children’s Pain Check-List est utilisable à partir de 3 ans, sur tous les patients qui ne peuvent ni parler ni écrire.

Face à la douleur, il est important d’associer le traitement médicamenteux à une action non-médicamenteuse.

Mieux comprendre handicap et douleur : quels sont les outils à notre disposition ?

Nous évoquions deux outils très pertinents pour les proches de patients qui présentent un handicap. Lesquels sont-ils ? Comment les utiliser ?

SantéBD : principe et fonctionnement

SantéBD est un dispositif qui permet d’ « accéder à la santé pour tous ». Ces petites histoires, racontées sous forme de bandes dessinées, décrivent des situations de santé, de douleur, que l’on n’arrive pas toujours à expliquer. Montrer ces illustrations au médecin accélère le diagnostic et la prise en charge.

Les explications vont même plus loin. Elles sont proposées aux personnes qui ne parlent pas le français.

Créez votre compte et montez votre dossier avec les images mises à votre disposition.

En quoi HandiConnect.fr peut-il être utile ?

HandiConnect, ce sont tout d’abord des fiches qui rappellent les bases de chaque handicap. En d’autres termes, vous pouvez en quelques clics, savoir l’essentiel sur la démence sénile ou bien sur la maladie de Parkinson. Ainsi, vous pouvez agir et prendre la mesure des enjeux et difficultés liées au diagnostic.

Il est aussi possible de se former et ainsi, obtenir des qualifications qui vous permettent ensuite de prendre soin de votre proche au quotidien.

Rappelons que 80% des handicaps sont invisibles et que 20% des 12 millions de personnes handicapées ne bénéficient pas d’un suivi médical approprié. La question de la prise en charge de la douleur pour ce public est donc un enjeu de taille. Nous vieillissons. Jamais l’espérance de vie n’a été aussi élevée. Le nombre de patients Alzheimer ne cesse de croître. Plus que jamais, il est essentiel de prendre en compte le ressenti de ces personnes, qui sont de plus en plus nombreuses.

Malgré le fait qu’à l’aube de 2023, nous constations une si mauvaise information et une prise en charge si légère de la douleur, l’optimisme est de mise. Grâce à de nouvelles techniques, certains profils peuvent communiquer via une synthèse vocale commandée par les pupilles. Un bijou de technologie qui permettrait à de nombreuses pathologies de retrouver le simple plaisir d’échanger, de partager, de parler et surtout, d’exprimer leur douleur. Croisons les doigts pour que dans les années à venir, ces dispositifs soient démocratisés et accessibles au plus grand nombre.

Pour plus d’informations, consultez la conférence de presse CoActis du 24 novembre 2022 dans son intégralité !