Mères désenfantées : le témoignage choc de Jessica Stephan (AFVF)

Nous échangeons avec Jessica Stephan au sujet des mères désenfantées. Notre équipe en profite pour lui poser quelques questions exclusives. Par acquit de conscience, nous lui soumettons des questions plus récurrentes, afin de comparer la position des différents intervenants. Nous nous assurons ainsi que nous ne sommes pas les seuls à avoir ces doutes, et que nous ne concentrons pas nos contenus sur un même point de vue.

Karl Zéro parle de « pédoland » lorsqu’il évoque la France. Qu’en est-il en réalité ? On demande l’avis de ceux qui consacrent leur vie à protéger celle des autres.

Interview de Jessica Stephan sur les mères désenfantées et le SAP

Tout est maintenant clair comme de l’eau de roche en ce qui concerne le syndrome d’aliénation parentale : au bout de 3 articles, il est temps, mais c’est vraiment l’heure de tirer la sonnette d’alarme. Rappelons les chiffres de l’article précédent : 90 000 enfants placés abusivement chaque année, bien souvent pour ce motif.

Terminons comme promis l’interview de Jessica Stephan. Ses réponses valent le détour.

Jessica Stephan, quel est votre poste au sein de l’association AFVF ?

« Je suis référente parcours pour l’Association AFVF (Association des Familles de Victimes de Féminicides), j’accompagne des victimes de violences intra-familiales dans leur(s) parcours, ainsi que les familles de victimes de féminicide. Je suis également formatrice et consultante auprès des professionnels de la prise en charge de ces victimes ».

Depuis la parution de nos articles sur Marc Melki et les violences conjugales, nous recevons de nombreux témoignages et pièces (jugements, copies d’informations préoccupantes, rapports d’experts) qui mettent en avant un même mécanisme. Des enfants victimes (d’agressions sexuelles, voire de viols) sont confiés à leur parent agresseur et ce, malgré des certificats médicaux qui attestent desdites agressions.

Tout d’abord, est-ce que vous nous confirmez que ces situations de mères désenfantées existent ?

« Je vous confirme, hélas, que je rencontre aussi ces situations et le volume est d’ailleurs de plus en plus inquiétant.

Il y a un tel déni sociétal et un tel niveau d’indifférence à traiter ces problématiques. La CIIVISE nous parle de 3 enfants par classe impactés par des violences sexuelles. On parle de 160 000 enfants victimes/an, souvent au domicile, dans la sphère familiale. C’est colossal !

Cependant, en justice comme en protection de l’enfance, le système peine à prendre en charge ces enfants. »

Avez-vous un exemple précis en tête, sans citer de nom évidemment ?

« J’ai des dizaines d’exemples en tête !

Syndrome d’aliénation parentale : l’histoire de Virginie

Je peux vous parler de Virginie*(prénom modifié) qui a emmené sa fille de 7 ans consulter un pédopsychiatre suite aux révélations de sa fille. Cette dernière accusait son père de violences et d’attouchements sexuels. Le pédopsychiatre constate alors sur l’enfant un psychotraumatisme complexe : l’enfant est mutique, en proie à des reviviscences …Le médecin émet alors un signalement au procureur de la république et organise la prise en charge de cet enfant par un autre psychiatre à qui l’enfant se confie aussi.

La maman et des professionnels ont permis à cet enfant de libérer sa parole en utilisant une petite peluche.

Ainsi l’enfant parvient à confirmer ses dires auprès des forces de l’ordre en audition Mélanie*, et devant le juge pour enfant. En vain.

Le père s’opposera aux soins.

Le juge des enfants ordonne une AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert) qui conclue à un syndrome d’aliénation parentale, la mère ayant un lien «trop protecteur» et «fusionnel» avec l’enfant.

L’enfant s’est totalement refermée, n’a plus confiance aux adultes censés la protéger !

La fondation en charge de l’AEMOH (Action Educative en Milieu Ouvert avec Hébergement) reproche continuellement à la maman de vouloir protéger sa fille. C’est au détour d’une balade en vélo, malgré la promesse des éducateurs de ne pas forcer l’enfant à voir son père, que cette petite fille sera emmenée contre sa volonté, sans adieux à sa maman, adieux à son école, ses amis, sa famille, sa vie. Elle a été emmenée à plus de 600 km, placée chez son père. Plus personne n’a accès à cette enfant.

Mères désenfantées : vient ensuite l’histoire de Céline

Je peux vous parler aussi de Céline (prénom modifié) qui a subi des viols conjugaux. Elle venait d’accoucher de leur fils et était en plein post-partum. Leur fils était en co-dodo quand son conjoint l’a violée. Elle était tellement traumatisée qu’il a quitté le domicile de lui-même au bout de 5 ans et demi. Elle se pensait sauvée.

Jusqu’au jour où pendant le confinement, son fils de 5 ans lui dit que son papa se tenait devant lui « son zizi dans la main » (et l’enfant mimera les va-et-vient). Elle file chez les gendarmes, et c’est l’engrenage….Son garçon sera placé en foyer pour « conflit parental ». Il y sera placé près de 2 ans. La maman n’aura plus le droit d’évoquer cela avec son fils, le foyer coupera progressivement tous les liens. Ce petit garçon a agressé sexuellement d’autres petits garçons à l’école l’année dernière. L’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) a demandé la garde exclusive en faveur du père, le retrait de l’exercice de l’autorité parentale à la mère. La procédure pénale pour les viols est en cours d’instruction… La maman est totalement coupée de son petit garçon. »

« Je constate dans ma pratique que plus le parent protecteur cherche à protéger son enfant et à s’entourer de professionnels formés, plus la justice se retourne contre lui. C’est sans fin ! »

Jessica Stephan

Comment expliquer qu’un juge prenne le risque de laisser un enfant chez un homme (ou une femme) soupçonné de viol ?

« Les juges sont très imprégnés de l’idéologie du Syndrome d’Aliénation Parentale, aussi appelé SAP. Le SAP ne repose sur aucun fondement scientifique. De plus, une note d’information qui vise à proscrire son usage dans les tribunaux français est en vigueur depuis 2018 dans la DACS (Direction des Affaires Civiles et du Sceau). En vain.

Malgré les nombreuses recommandations : ONU, GREVIO, CIIVISE….Les juges continuent de revendiquer leur indépendance et balayent d’un revers de main les travaux scientifiques internationaux.

La formation aux spécificités des violences intra-familiales est indispensable pour corriger ces croyances. Les magistrats, comme tous les professionnels de la prise en charge de victime, doivent être formés :

  • Aux notions de contrôle coercitif,
  • De psychotrauma,
  • À la différence entre conflit/violences,
  • Au profil criminologique de l’auteur,
  • En victimologie…

La création des cours dédiés va, je l’espère, aller dans ce sens. »

 

Les mères désenfantées luttent seules ou en collectifs.
Jessica Stephan accompagne les mères désenfantées dans leur quotidien.

Mères désenfantées et Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP) : pourquoi il y a autant de classements sans suite ?

Est-ce plutôt une volonté politique ou est-ce dû au fait que les lois françaises ne sont plus adaptées à la pédocriminalité actuelle ? Tout de même, un certificat médical avec ITT, c’est un élément suffisamment choquant ? Comment expliquer ce laxisme, alors même qu’on place des enfants sans preuves ? 

« C’est un peu des deux : en mai 2022, une dépêche ministérielle incitait les magistrats à classer sans suite les affaires jugées trop anciennes ou pour lesquelles aucune enquête n’a été menée. Ce n’est pas une nouveauté, cela arrive régulièrement d’apurer les stocks de cette façon. En décembre 2021, l’apurement consistait aux affaires des mineurs » explique Jessica.

Précisons pour appuyer ses propos que M. Collet (CEDIF) en faisait déjà mention en 2017, dans son article Classé sans suite. Le rapport sénatorial Haenel tirait déjà la sonnette d’alarme en 1997, devant le nombre élevé de classements sans suite. Que dire aujourd’hui ?

Quelles sont les solutions alternatives en cas de classement sans suite ?

Seul recours pour les victimes qui en ont les moyens, saisir le juge d’instruction pour avoir une vraie enquête. Là encore, le risque d’embouteillage est présent.

Si vous lisez le rapport des états généraux de la justice, il évoque l’état de délabrement dans lequel l’institution judiciaire se trouve.

Je constate par ailleurs très régulièrement que les dossiers ne sont pas étudiés en amont des jugements, faute de temps et parfois de motivation.

A mon sens, l’arsenal législatif est assez dense, perfectible. Je constate dans ma pratique que non seulement les lois ne sont pas toujours appliquées, mais quand elles le sont l’impunité des agresseurs va quand même bon train. Des peines ubuesques, les médias en font mention tous les jours.

Xavier Collet, président du CEDIF confirme ses propos : « les moyens d’enquêtes et de poursuites existent, là encore cela ne relève pas des moyens, mais de la motivation. »

Mères désenfantées : problématique du syndrome d’aliénation parentale

Les violences intra-familiales sont clairement minimisées, en particulier dans les jugements en pédocriminalité. Les prisons sont pleines, l’incarcération ne limite pas la récidive. Il y a un travail de fond à faire pour trouver des solutions pérennes qui puissent à la fois rendre justice aux victimes et être dissuasives pour les auteurs. Il va falloir être créatif pour trouver des peines alternatives suffisantes pour enrayer ce fléau des violences. Le retrait de l’exercice de l’autorité parentale aux parents violents en est une. C’est le projet de loi qu’Isabelle Santiago porte à la commission le 1er février prochain. »

Enfin, notre dernière question porte sur les budgets. L’ASE et le système judiciaire en manquent soi-disant cruellement, c’est ce que nous démontrions dans notre article précédent sur la rentabilité des enfants placés.  

Comment vérifier si les fonds sont correctement utilisés ? Où et vers qui peut-on s’orienter ?

« Je vous rejoins sur l’opacité des budgets, il est très difficile pour les citoyens de se faire un avis. D’autant que chaque département est autonome dans sa gestion de l’ASE et des structures avoisinantes. On ne peut pas généraliser, même sur l’AEMO. Je travaille au niveau national et ce n’est pas du tout les mêmes pratiques, ni le même niveau de formation d’un territoire à l’autre.

En octobre 2022, des missions de contrôle ont été annoncées par Charlotte Caubel, Secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, ainsi que la formation sur 3 ans de 300 personnes pour rendre les contrôles plus efficaces.

J’espère que les promesses seront tenues. »

Nous remercions, pour finir, cette professionnelle. Son témoignage franc sur ces thématiques si sensibles (les mères désenfantées, les violences conjugales et ce soi-disant syndrome d’aliénation parentale) est peut-être le ver qui rentre dans la pomme. 

Le début d’une remise en question plus générale.

L’espoir fait vivre, on y croit…

La semaine intense est terminée, on relâche un peu la pression et on vous annonce un prochain article sur la table ronde qui évoquait l’éventuelle dépénalisation du cannabis en France ! Qu’en est-il ? Ne ratez pas nos prochains articles.

*Audition Mélanie/ J.O Assemblée nationale : Pour faciliter l'audition du mineur victime, ont été créés des espaces spécifiques dénommés « salles Mélanie », spécialement aménagés et équipés, offrant un cadre adapté au recueil de la parole. Ils sont organisés et composés de mobilier, de jouets et de matériels pédagogiques facilitant le confort, la mise en confiance et par conséquent l'expression de l'enfant. Au sein de l'office central pour la répression des violences aux personnes par exemple, les activités de loisirs peuvent être proposées à l'enfant mais plutôt en guise d'accueil et de mise en confiance. Au moment de l'audition et pour ne pas le distraire de son propos, toute activité annexe est limitée au maximum (l'enfant a néanmoins accès à tous les outils lui permettant d'expliciter ou d'illustrer son propos par le dessin). Depuis leur création en 1991, la mise en place de « salles Mélanie » varie selon les secteurs. Leur financement provient de plusieurs sources : services de police et de gendarmerie mais également associations (« La voix de l'enfant », « La mouette ») voire communes. Ces salles sont installées soit au sein de structures hospitalières soit dans des commissariats de police ou des brigades de gendarmerie. En sécurité publique, il existe actuellement 29 « salles Mélanie » et 7 sont en projet. Les policiers peuvent également bénéficier de l'accès à 71 « salles Mélanie » installées hors de leurs locaux (généralement au sein de structures hospitalières). De plus, certains commissariats disposent d'un système de visio-confrontation lié à une « salle Mélanie » située en établissement hospitalier.