Le choix de mourir dignement. La loi Leonetti est très difficile à affronter. De quoi s’agit-il concrètement ?

En fait, cette législation autorise (oblige ?) les équipes soignantes à cesser d’alimenter et d’hydrater leur patient en fin de vie. Cela dure jusqu’à ce que les organes vitaux cessent de fonctionner et que la mort du patient s’ensuive. Jean Leonetti, le député à l’origine de cette loi, précise que la nourriture et l’hydratation artificielles sont assimilées à un « traitement » et que justement, les soins palliatifs signent l’arrêt de tout traitement.

Les soins, eux, ne sont pas stoppés. Le malade a toujours un accès régulier à la morphine et au Valium afin de soulager ses souffrances. Pour autant, on le laisse mourir de faim et de soif, sciemment, exprès.

C’est difficile pour les soignants, qui appliquent les consignes du médecin ; mais que dire des proches, qui assistent à la dénutrition et à la déshydratation progressive de leur mère, père, grand-mère ou grand-père ? Que dire de ceux qui voient, heure après heure, le visage s’émacier, les tempes et les joues se creuser ?

Loi Leonetti : euthanasier sans le dire ?

Ces personnes qui décident, ces législateurs, ont-ils déjà vu un être vivant souffrir ? Pas d’un bobo à la jambe, mais la vraie souffrance. La vraie peur. Quand on sait qu’on va mourir. Que c’est l’heure. Peu de monde a le courage d’affronter cela. Voir le patient terrorisé qui s’étouffe pendant des heures. La patiente qui se tord et hurle de douleur lorsqu’elle n’est pas sédatée par la morphine. Tout cela est émotionnellement très éprouvant.

Quand on sait qu’une injection de potassium stoppe l’activité cardiaque sans occasionner de douleurs… Les interrogations fusent.

Pourquoi n’a-t-on pas le courage de sauter le pas, comme l’ont fait la Suisse et la Belgique ?

Qu’en est-il dans ces pays ?

Pourquoi la France préfère-t-elle laisser crever de faim et de soif ses vieux et ses malades, de toutes manières condamnés ?

Trop d’humanité tue l’humanité. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Ces personnes savent-elles que le décès peut prendre jusqu’à deux semaines ? C’est long deux semaines sans boire et sans manger.

Parfois, on a de la chance. Le patient n’est plus en mesure de s’exprimer. Il montre sa douleur par des comportements que les soignants savent interpréter. On augmente un peu les médicaments, il se rendort et ça passe.

D’autres patients sont conscients. Ils comprennent ce qui leur arrive malgré leur état clinique et la maladie.

Comment affronter leur regard et leur dire que, par peur de finir en prison, nous ne les aiderons pas à apaiser leurs souffrances ? Comment assumer cette lâcheté, nous qui sommes censés être là pour les accompagner au mieux ?

Cette loi pose une sérieuse question, basée sur du bien concret.

Qu’est-ce que l’euthanasie ? Définition

L’étymologie du mot « euthanasie » vient en réalité du grec ancien. Il signifie « mort douce ». Le Larousse la définit comme suit « Acte d’un médecin qui provoque la mort d’un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie ».

L’omission est-elle un acte ? Décider et ordonner à toute une équipe de stopper l’hydratation et l’alimentation : n’est-ce pas là un acte ?

Halte à l’hypocrisie…

Peut-être le Larousse n’est-il pas assez précis ? Voyons une autre définition. Du Petit Robert par exemple.

« Mort douce et sans souffrance survenant naturellement ou par une intervention thérapeutique ».

La loi Leonetti dans les faits

Effectivement, le patient ne semble pas souffrir car en soins palliatifs, il est sédaté au maximum. Son ventre ne grogne pas comme ça serait le cas pour une personne en bonne santé qui ne mange pas pendant une semaine. Lorsque ce processus a démarré, il est absolument contre-indiqué et contraire au bien-être du patient de lui redonner quoi que ce soit par empathie ou compassion. Il ne faut plus lui donner ni à manger ni même 10 cc d’eau sur la langue sous peine réactiver les reins et tous les autres organes.

Le seul liquide autorisé est une solution à base de bicarbonate de sodium qui diminue la mauvaise haleine liée au jeûne. Les soignants font ce soin (une éponge imbibée glissée dans la bouche du malade) toutes les deux heures en moyenne. Cela lui évite aussi d’avoir la bouche trop sèche, et que ça ne soit trop désagréable. Nous le répétons, on parle de 3, 4 ou 10 jours sans boire ni manger. Le patient, même inconscient, tête l’éponge. Réflexe ou a-t-il quand même soif ?

Si vous craquez et que vous lui redonnez quelque chose, vous prolongez son agonie. Alors que fait-on ?

Une AMP témoigne qu’à la suite de cette erreur, une des patientes de son unité a survécu un mois et demi.

Mais pour une personne dotée d’empathie, d’un minimum d’humanité, voir un de ses pairs mettre des jours, des semaines à mourir et à souffrir est tout simplement intolérable, incompréhensible. Un véritable dilemme moral, philosophique, éthique sur lequel nous reviendrons la semaine prochaine.

Loi Leonetti : comment les experts justifient-ils cette décision ?

Il existe un raisonnement médical tout à fait cohérent et logique qui justifie cette loi Leonetti. Le SFAP l’explique très bien. La pose de sonde pour alimenter artificiellement comporte des risques, qui peuvent occasionner des souffrances supplémentaires chez le patient. De plus, en vieillissant et lorsqu’on arrive en fin de vie, on ne ressent plus ni la faim ni la soif telles qu’on les connaît.

Ne plus manger et ne plus boire limite par ailleurs les changes des protections sur des patients parfois douloureux. Les arguments ne manquent pas.

Pour autant, une question morale subsiste : pourquoi, alors que nous les savons condamnés, alors qu’un colloque de médecins a décidé d’arrêter l’alimentation et l’hydratation, n’allons-nous pas au bout de notre démarche et ne garantissons-nous pas leur confort jusqu’au bout ? Les animaux ont ce droit. Pourquoi pas nos anciens ?

Faut-il rappeler que dans les faits, même le meilleur des EHPAD ne peut pas mobiliser un soignant par personne en fin de vie. Ils viennent régulièrement… selon les effectifs disponibles. Bon nombre de décès survient dans la nuit. Quand ils sont à 2 ou 3 professionnels pour 80 résidents. La plupart du temps et malgré la meilleure volonté du monde, le patient meurt seul, face à ses angoisses.

S’il meurt sereinement du cœur, pendant son sommeil, tout va bien. C’est tout de suite moins drôle s’il s’étouffe pendant 3 heures.

Comment gère-t-on la fin de vie chez nos voisins ?

Le suicide assisté est autorisé ou à minima, dépénalisé dans certains pays frontaliers de la France. Quelle est leur position ? En quoi les protocoles consistent-ils ? Qu’en est-il de l’euthanasie ? Nous avons fait quelques recherches.

En Belgique

La Belgique a dépénalisé l’euthanasie depuis 2002, donc il y a un peu plus de 20 ans. Elle n’est pas un droit mais un souhait du patient que le médecin est libre de prendre ou non en compte. En bref, ce n’est pas parce qu’un patient demande l’euthanasie qu’elle sera pratiquée. Pour accéder à cette fin de vie, la Belgique exige que :

  • Aucun traitement ne soigne le mal dont il souffre,
  • Le patient soit en état de formuler son souhait,
  • Sa souffrance justifie le recours à un tel accompagnement.

Son état mental et l’absence de contrainte extérieure sont aussi des critères pris en considération par les médecins.

À noter : les mineurs peuvent également être euthanasiés.

En Suisse

2022, l’autorisation de se suicider et d’être accompagné pour cela est votée pour la troisième fois consécutive en Suisse. Dans ce pays, il existe des cliniques spécialisées dans la fin de vie. Les malades règlent ce qu’ils ont à régler, ils prennent rendez-vous et décident de la date de leur décès. Ils rencontrent au préalable des psychologues, des médecins, et valident la procédure.

Mais contrairement à la Belgique, la mort assistée est devenue un droit. C’est légal, à condition que le malade s’injecte lui-même la dose létale et que l’accompagnant n’ait aucun intérêt personnel. C’est la limite à ne pas franchir, et elle est tout à fait légitime.

Ce sont les associations qui gèrent les demandes de suicide assisté. Certaines comme Dignitas acceptent les candidatures étrangères.

La seule limite d’espace est que les malades n’ont pas le droit de se suicider dans un lieu public. Dans certains cantons, les personnes âgées dont la santé est précaires y ont accès et ce, même si elles n’ont pas de pathologies incurables.

L’euthanasie à proprement parler est, elle, encore interdite.

En Allemagne

En 2022, l’Allemagne a osé ses 300 premiers suicides assistés. La pratique est autorisée légalement depuis 2020. C’est désormais effectif. Lors de son arrêt du 26 février 2020, le Président de la Cour Andreas Vosskuhle prononçait ces mots « Ce droit inclut la liberté de mettre fin à ses jours, de chercher de l’aide auprès de tiers à cette fin et, dans la mesure où elle est offerte, d’y recourir ».

Certains couples ont d’ailleurs choisi de partir ensemble, sans que cela ne pose de problème.

Le pays refuse pour l’instant la possibilité d’euthanasier en raison des actions commises pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Donc si on résume, seuls 4 pays de l’union européenne ont rendu légale l’euthanasie active :

  • L’Espagne,
  • Le Luxembourg,
  • Les Pays-Bas,
  • La Beglique.

Premières conclusions sur la Loi Leonetti

Personne ne semble prêt à prendre le risque de dépénaliser l’euthanasie. Pourtant, le suicide assisté n’est pas possible lorsque le patient n’est plus en état de s’administrer lui-même la dose létale.

Cette solution a toutefois un avantage : il a le droit de mourir dignement, avant que son état ne soit trop dégradé. Les malades se savent condamnés sur une courte échéance et font ce choix.

Vous doutez encore du bienfondé de cette demande ?

Passez un peu de temps aux côtés d’un patient concerné par la loi n°2016-87 et proposée par Jean Leonetti. Si vous l’aimez, c’est encore mieux, l’expérience vous convaincra d’autant plus facilement. Au bout de 6 ou 12 heures, vous aurez faim, comme toute personne en bonne santé. Vous aurez soif. Logique. Et à chaque bouchée, vous vous rappelez que lui, juste à côté, n’a plus ce droit. À quelques pas de son lit, on sert le repas. Mais lui n’y a plus le droit. Le médecin a décidé.

Entre humanité et euthanasie, la limite est dans certains cas très fine.

N’est-il pas réellement temps de revoir notre position arriérée sur l’euthanasie ?

L’article suivant donne l’avis des soignants au sujet de l’accompagnement à la fin de vie et de cette loi Leonetti. Ne ratez pas le troisième volet de cette réflexion, qui évoquera les questions morales et éthiques qui en en découlent.