Se relever et gagner contre la maltraitance infantile
La maltraitance infantile, ce n’est pas uniquement chez les autres. Les violences ordinaires et récurrentes font parfois davantage de dégâts que les coups les plus vicieux. Ce fait concerne en fait 50 000 enfants en France, chaque année.
Avant de poursuivre, petit point historique et médical. Les victimes de la guerre et de la maltraitance développent parfois ce qu’on appelle un État de Stress Post-Traumatique. Les symptômes les plus fréquents sont les insomnies, l’irritabilité, les réactions exagérées ou encore l’agressivité. Les addictions sont aussi très fréquentes. Tout aussi concernés, les enfants développent souvent des troubles du comportement, de l’énurésie, des crises de panique. Fréquemment, ils reproduisent les scènes de violences auxquelles ils ont assisté ou dont ils ont été victimes.
Nous échangerons avec le Dr Judith Trinquart, Médecin légiste, Addictologue, Santé Publique, Psychiatre, membre du CA Amicale du Nid et secrétaire générale de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, que nous avons déjà mentionnée. Elle nous répond et nous éclaire sur les conséquences d’un placement abusif et celles d’un non-placement lorsque c’est nécessaire.
Maltraitance infantile : quel processus de guérison ?
Plusieurs écoles se disputent le marché de la victimologie. Toutes se rejoignent sur les points que nous allons évoquer
Permettre aux enfants de parler de leur passé grâce à un suivi psy adapté
Il paraît indispensable de contacter un CMPP, un centre médico-psycho-pédagogique. S’ils sont informés de la situation, les professionnels détecteront d’autant plus facilement les souffrances et les troubles dont souffre l’enfant. Faut-il rappeler qu’en raison de leurs conséquences durables et ineffaçables, les violences conjugales sont légalement considérées comme de la maltraitance ?
Dans les cas les plus graves, un placement peut être demandé. Il est essentiel de donner aux enfants les soins appropriés et de leur permettre de parler afin qu’ils ne développent pas de troubles plus importants par la suite.
Pour éviter cela, il peut être pertinent de consulter des spécialistes de la problématique : TDAH, enfant surdoué, troubles autistiques ou encore inceste. Les psychiatres avec une spécialité demandent bien souvent des dépassements d’honoraires. Pour autant, cela peut vraiment aider et apporter une réponse pertinente.
Maltraitances infantiles : quels soins contre les états de stress posttraumatiques ?
Les psychothérapeutes proposent plusieurs catégories de soins pour aller mieux à la suite de ces histoires de vie compliquées.
L’EMDR pour digérer les violences conjugales et l’inceste
L’EMDR, acronyme de Eye Movement Desentitization and Reprocessing. En fait, le thérapeute travaille sur la programmation du cerveau à des événements traumatiques passés. De petits battements sont effectués par le psychologue sur son patient. Cela peut aussi être des sons rythmiques, envoyés dans un casque audio, posé sur ses oreilles. Ce dernier évoque et verbalise les souvenirs les plus douloureux. Cette méthode marche dans environ 7 cas sur 10.
L’hypnose pour contrer les conséquences des maltraitances infantiles
L’hypnose travaille pour sa part sur l’inconscient. Elle peut aider des comportements addictifs ou de la boulimie qui fait suite à un ESPT. L’hypnose est en fait un saut dans l’inconscient, un message passé par le praticien à votre inconscient. Il écoute votre problématique et accède à ces zones du cerveau que l’on ne contrôle pas. Ils modifient les informations qui nous paraissent vraies, comme par exemple « le tabac n’est pas agréable, il nuit à votre santé, et vous fait dépenser beaucoup d’argent »…
Il n’est pas nécessaire de parler pendant une séance d’hypnose. Le patient reste maître de chacun de ses gestes.
Psychothérapie
La psychothérapie est un travail mené par le patient avec l’accompagnement du psychologue. Le but ici est de mettre en mots les souvenirs traumatiques et de se décharger des excès d’émotions. Certains thérapeutes vous aideront en vous identifiant en tant que victime et en expliquant les mécanismes qui mènent à accepter les violences. Ainsi, vous avez de meilleures chances à l’avenir, de ne pas répéter ce schéma.
Parfois, les thérapies ne suffisent plus. Les médecins choisissent alors de prescrire des médicaments, antidépresseurs ou calmants, qui apaisent provisoirement les troubles anxieux et autres manifestations liées à l’état de stress post-traumatique. Pour éviter cela, il est préférable de ne pas attendre que les troubles apparaissent ou s’installent, mais plutôt de consulter rapidement après la mise en sécurité.
Prévenir l’apparition d’un ESPT, qui fait souvent suite aux violences
En effet il existe différentes sortes de stress post traumatiques. Certains surviennent tout de suite. D’autres mettent du temps à se déclencher, et deviennent chroniques s’ils ne sont pas traités. Des maladies psychiatriques peuvent se déclarer à la suite de cela. Pour cette raison, nous suggérons à toutes les femmes ayant subi des violences de se tourner vers un spécialiste. Mieux vaut faire 5 ou 10 séances en amont et vérifier que tout va bien que de devoir suivre une thérapie de plusieurs années.
Maltraitance infantile en France 2023 : l’interview de Docteur Trinquart
Quelles sont les conséquences d’un placement sur le plan affectif ? Sur le plan du lien ?
« Un enfant est placé lorsque surviennent de grandes difficultés familiales et environnementales. Les instances tutélaires familiales ne peuvent plus subvenir à son éducation et à sa croissance dans de bonnes conditions. Il est difficile pour des professionnels de santé et du secteur social de décider d’un placement, sachant que pour un enfant il est essentiel d’avoir un bon environnement familial et que c’est la priorité. »
Napoléon et ses enseignements : un héritage qu’il est temps d’actualiser pour protéger les enfants
« La société française a hérité du Code Napoléonien et de la tradition chrétienne qui veulent que perdurent une société patriarcale avec la toute-puissance du père et de la famille.
C’est pour cela qu’autant de professionnels hésitent à placer, car nous avons la notion de la famille bienveillante et protectrice. Cette notion de la famille sacrée est tellement forte que beaucoup hésitent à placer, même lorsque les violences sont flagrantes. »
Le signe qu’il faut placer : l’avis de Docteur Trinquart sur la maltraitance infantile en France
« Malgré tout, lorsque l’environnement familial devient toxique (violences conjugales, inceste, viols, pédocriminalité) il devient urgent d’extraire l’enfant pour le protéger des violences éminentes.
L’enfant, protégé au sein des structures sociales, pourra vivre une éducation structurante et étayante. »
Oui mais… Problème : il y a une défaillance étatique et systémique
« Ceci tant que la structure sociale de substitution soit fonctionnelle. Et c’est là que le bât blesse. Car à l’heure actuelle nos structures de substitution sont carencées et dysfonctionnelles. Elles n’arrivent plus à pallier aux familles déstructurées.
La fonction étatique manque gravement à son devoir. Devoir envers tous les enfants maltraités.
Si la structure de substitution fonctionnait normalement, il n’y aurait pas de répercussion pour l’enfant. Malheureusement, à l’heure actuelle, nous manquons de professionnels-elles, nous manquons de services, de structures. L’ensemble du système est en déshérence, et se trouve débordé. Les professionnels-elles du soin et du social crient au secours. »
Maltraitance infantile : les conséquences de ces défaillances sur les enfants
« Sans système compétent, les enfants victimes ne peuvent être correctement pris en charge. Un enfant bien pris en charge ne souffrira pas de séquelles. La problématique n’est pas d’être extrait de sa famille. La problématique est d’avoir un bon système social fonctionnant correctement, ce qui n’est plus le cas au jour d’aujourd’hui. »
Qu’en est-il des conséquences psychologiques d’un placement lorsque des maltraitances infantiles sont constatées ?
« Il faut arrêter avec ce vieux système Napoléonien et chrétien patriarcal. Un enfant maltraité dans sa famille sera toujours mieux en dehors de sa famille que dans sa famille. Nous avons une vieille tradition française qui veut que l’enfant doit être gardé en intrafamilial. Cette tradition est extrêmement perverse. Cela nuit grandement à la santé physique et psychique de l’enfant. »
Comment font les autres civilisations ?
« Nous devrions prendre exemple sur la société israélienne dans laquelle l’enfant est élevé par la communauté. L’enfant n’est pas le bien parental, mais le sujet de la société et de la communauté. »
Et nous… Nous appartenons au père !
« Dans notre communauté, l’enfant appartient d’abord au père, puis à la famille. Quand un enfant se sent maltraité et persécuté au sein de sa famille, il n’a un droit d’expression qu’à partir de 11 ans. Il n’existe pas juridiquement avant. Donc de très nombreux enfants maltraités dans leur famille n’ont pas le droit de s’exprimer auparavant. La Justice ne leur donne pas le droit à la parole, ce qui est scandaleux, car les violences conjugales et intrafamiliales commencent lorsque les enfants ont un très jeune âge.
Toutes ces violences, ce psycho-trauma engendrent un ESPT (État de Stress Post Traumatique) avec une mémoire traumatique, de graves séquelles sur le plan physique et psychologique. Le site memoiretraumatique.org détaille avec précision la symptomatologie consécutive à ce type de violences graves. »
Maltraitances infantiles : quelles répercussions lors d’une séparation avec un mère aimante ?
« Les répercussions de ce type sont extrêmement graves. Nous en avons l’exemple tous les jours. Pour cela, consulter les sites memoiretraumatique.org et stopviolencesmedecins, qui, précisons-le, une bibliothèque de ressources très intéressante. »
Maltraitance infantile : comment expliquer à un enfant que la justice ne le protège pas, malgré ce qu’il a déjà vécu ?
Un témoin nous parle de son petit garçon violé par son père, avec plusieurs jours d’ITT et certificat médical à l’appui. La garde revient au père incestueux. Que fait-on dans ces cas-là ?
« Il est très difficile d’expliquer à un enfant que la Justice ne le protège pas. Comme il est très difficile d’expliquer à un adulte que la Justice ne le protège pas. La Justice n’est pas juste. Elle est là pour maintenir l’ordre pas pour être juste.
Petite, à l’âge de 07 ans, mon père m’a dit : « Tu sais, si je veux, je peux te kidnapper, c’est la loi de 1970, tu es mon objet ». Voilà j’étais soumise petite enfant à une loi inique à mon géniteur. Je me suis dise c’est quoi ces adultes à la con ? C’est quoi ces adultes qui décident pour moi de me soumettre à un père violent avec leurs lois débiles ?
La Justice n’est pas juste, elle est inique et inégale, et c’est cela la plus grande injustice, et c’est cela que nous devons apprendre à nos enfants, malheureusement. »
Quelles sont les conséquences de l’inceste sur un enfant : quelles répercussions psychologiques, psychiatriques, à court ou long terme ?
« Les conséquences sont extrêmement graves, c’est une destruction totale. Cela engendre un ESPT (Etat de Stress Post Traumatique) chronique, avec une dissociation physique et psychique, la construction d’une mémoire traumatique, une tendance aux addictions, à la réexposition aux violences. Plus le risque de se voir exposé-e à de graves maladies chroniques (auto-immunes, cancers, handicaps,…).
Les sujets victimes d’inceste vont être exposés à des symptômes psychiatriques tels que de la dépression chronique, des états-limites, de la schizophrénie, des troubles dissociatifs graves, des états délirants,…Leur vie adolescente et adulte va être grevée par tout un tas de symptômes psychiatriques envahissants qui va les exposer à de très gros handicaps sociaux. »
Comment parler à un enfant victime de viols et/ou de violences ? Que peut-on lui dire pour ne pas aggraver les choses ?
Il faut lui expliquer surtout que rien n’est de sa faute.
Déculpabiliser l’enfant victime de maltraitance infantile
« La plupart des victimes d’inceste, de pédocriminalité et de viols, se sentent honteuses et coupables. Elles pensent que ce qui est arrivé est de leur faute. Il faut les réassurer, leur dire qu’elles ne sont pour rien dans cette situation, et que le seul responsable est l’agresseur.
Souvent l’agresseur a profité d’une situation dans laquelle la victime était en situation de défaut : en train de piquer dans le bocal à bonbons, dans le pot de confitures, en train de voler les fringues de sa mère, de tricher avec les devoirs de sa sœur,….Le fait de profiter d’une situation de défaut renforce le pouvoir de l’agresseur, comme une situation de chantage. »
Attention à l’emprise, bien présente sur les enfants
« Cela est comme une situation d’emprise, comme l’auteur de violences conjugales. Il faut expliquer ce mécanisme à l’enfant, pour le démonter, et lui dire que c’est lui la victime, et l’agresseur le responsable. C’est extrêmement important, parce que la plupart des enfants victimes gardent cette honte et cette culpabilité toute leur vie. »
Susciter la confiance de l’enfant
« Donc assurer l’enfant, le mettre dans une situation de confiance, lui faire savoir qu’il y a des adultes derrière lui, qu’il n’y a pas que des prédateurs dans la vie, lui expliquer les mécanismes du système de soins et de la Justice, en lui disant aussi qu’il peut y avoir des carences et des dysfonctionnements, et que s’il-elle peut être déçu-e ou désappointé-e, il ne faut pas se décourager et continuer à avancer avec les ressources qu’on lui propose. »
Quel est le profil des auteurs d’inceste ?
« Profil : Bah comme pour les agresseurs de violences conjugales : des hommes majoritairement qui ont eux-mêmes été victimes de violences, sexuelles pour la plupart du temps. Ce n’est pas une excuse, c’est une explication. »
Comment reprérer de tels comportements ?
« Pour les repérer, ce sont des agresseurs qui commencent souvent par agresser de jeunes victimes, leurs sœurs, leurs frères ou leurs petit-es camarades d’école ou d’environnement. »
Qu’est ce qui doit mettre la puce à l’oreille d’une mère ?
« On a beaucoup de mal à les faire reconnaître. Quand on a un jeune agresseur, l’environnement familial, social et judiciaire est surtout focalisé sur la victime, et pas du tout sur l’agresseur pour lequel on s’intéresse surtout au judiciaire et pas du tout à la prévention de la récidive.
Alors que là on doit se poser la question de qu’est ce qui à amené ce jeune à ce comportement ? Qui est-ce qui l’a agressé ? Quel est l’agresseur dans l’entourage ? Comment prévenir la récidive ? Quels sont les soins à proposer et y en a-t-il ? »
Maltraitance infantile : quelles associations recommandez-vous pour les victimes ?
« Beaucoup.
- Collectif Féministe Contre Le Viol (violences sexuelles)
- Amicale du Nid (prostitution)
- Mémoire Traumatique et Victimologie (toutes violences)
- GAMS (Groupement Abolition Mutilation Sexuelles)
- CIDFF. UMJ (Unité Médico-Judiciaires)
- UNAVI (Unité Aide aux Victimes) une par département. »
« La responsabilité n’en revient pas aux professionnels du secteur social. La responsabilité en revient à l’Etat qui n’assume ni ses fonctions financières ni ses fonctions en matière de recrutement. »
Docteur Judith Trinquart
je m’interroge sur le focus « inceste » ou » famille ».
la maltraitance a lieu autant à l’école ou sur les lieux sensés accueillir et protéger les enfants.
La maltraitance est une attitude individuelle pouvant s’exprimer en tout lieu ( ce pourrait être une cheffe de service ASE qui prostitue une de ses protégées, par exemple)
mais toujours ce focus « famille » et « inceste » a se questionner sur les motivations.
Ensuite, parler permet il de guérir ? ou est ce simplement un acte cathartique qui donne accès à un sentiment agréable éphémère ? et aux sauveurs d’attirer leurs proies ?
Les femmes qui témoignent avoir « guéri » leur viol par exemple me semblent dénoncer surtout l’incapacité de la psychiatrie.
Que faire avec les charges émotionnelles transgénérationnelles ? en parler, raconter l’histoire inconnue d’un aïeul ?
Enfin que dire à propos du ESPT ?
certains sauveurs vendaient « l’attachement » comme un témoin de la bonne/mauvaise attitude éducative,
les mêmes d’ailleurs qui accusaient l’enfant de ne pas savoir « accueillir » leurs bons soins.
Il semblerait en fait que la notion (discutable) ‘attachement n’ai rien à voir avec la qualité du modèle éducatif….
Lira t on bientôt que la notion « ESPT » n’a rien a voir avec l’attitude éducative ?
Bonjour Lubia !
Je vais tenter de vous répondre rapidement. Nous traiterons vos questions plus en profondeur : pourquoi pas un nouvel article ? Tout d’abord, merci pour votre remarque pertinente. En effet, comme le dit le docteur Judith Trinquard, les foyers se transforment en « bordels à ciel ouvert ». Effectivement, il y a des foyers et familles d’accueil où se passent des viols. Quant au proxénétisme d’éducateurs – chefs de service, je n’en n’ai jamais entendu parler, mais si vous avez des preuves et un avocat, nous on en parle volontiers !
Enfin, pour ce qui est de l’attachement, il est vrai que le curseur est difficile à placer. Si on s’attache trop, attention au SAP, placement. Si on ne montre pas assez son amour, on est de mauvais parents. Et que dire des familles d’accueil qui n’ont pas le droit de s’attacher ?! Impossible quand on est humain et qu’on vit au quotidien avec des gosses !
Parler fait certes du bien, il permet à la victime de déculpabiliser et comprendre que l’enfant qu’elle était n’est en rien coupable. Effectivement, ça n’efface pas tout.
L’ESPT se transmet (parfois) de générations en générations. Je ne suis pas du tout spécialiste du sujet. Mais je sais que les phobies se retrouvent chez les parents – enfants, ou alors des répétitions de l’histoire (placement au même âge, inceste qui se répète…). C’est aussi en cela que sert une thérapie. Elle permet d’alerter sur les mécanismes des agresseurs, et de demander réparation à la justice… qui ne le fait pas toujours, faute de preuves.
J’espère avoir répondu à vos questions. Je me tiens disponible. Très belle journée à vous !