Après les EHPAD, ce sont les maltraitances dans les crèches qui occupent le devant de la scène. La rédaction de Rebellissime décrypte le rapport de l’IGAS
Tout commence le 22 juin 2022. À Lyon, Lisa, une enfant âgée de 11 mois décède après son admission à l’hôpital. Elle sort de la crèche. Le bal est ouvert par un enquête de l’IGAS : c’est le point de départ d’un scandale national.
L’employée qui s’occupait de Lisa, admettra, lors de son audition, avoir “aspergé puis fait ingérer un produit [type Destop] à la petite fille”. Elle est mise en examen pour homicide involontaire.
Première question : comment asperger un bébé de produit caustique et l’obliger à en boire peut-il être involontaire ? On apprend dans La Dépêche que Myriam J. s’était exprimée. Ses dires pourraient permettre au juge de requalifier les faits, et de l’accuser d’homicide volontaire.
En février 2022, donc un peu plus tôt dans l’année, le fils de Nicolas Havette, photographe, était retrouvé seul dans la rue. La crèche qui devait le surveiller ne l’avait pas vu sortir. Normal, il est tellement petit. Deux ans, pensez-vous… Une négligence incroyable dénoncée dans la presse et sur les réseaux sociaux.
Cette même année, l’Inspection Générale des Affaires Sociale (IGAS) diligente une enquête. Les conclusions sont édifiantes : vous n’avez pas pu passer à côté, tout le pays en parle. Nous avons consulté ce rapport, composé d’un tome 1 et d’un tome 2. La rédaction de Rebellissime s’est penché sur ces 300 pages, qui mettent en avant des informations pour le moins édifiantes.
Que disent ces documents ?
À quoi nos tout-petits sont-ils exposés lorsqu’on travaille et qu’on les croit en sécurité ?
3 – 2- 1, c’est parti pour une longue nuit de lecture…
Maltraitances dans les crèches : 16 000 structures passées au crible
2 000 témoignages de maltraitances ont été recueillis. Pour parvenir à ce résultat, ce ne sont pas moins de 5 275 directeurs, 12 545 salariés et 27 671 parents qui ont pris le temps de répondre à des questionnaires, tous anonymes.
Ensuite, les chercheurs ont visité 36 crèches et auditionné plus de 300 professionnels.
Premier constat : des conditions d’accueil “disparates”
Il s’avère que les dysfonctionnements, les négligences et les violences sont monnaie courante. Vous allez le voir, les maltraitances dans les crèches ne sont pas anecdotiques. Cela passe des violences verbales aux fausses promesses (l’exemple de la crèche bilingue qui ne l’est pas illustre parfaitement). On parle aussi de bébés laissés seuls dans le dortoir, qui ne mangent pas de la journée. Le manque de personnel explique que parfois, la couche n’est pas changée entre l’arrivée du petit et son départ. On estime à 10 000 le nombre de professionnels manquants.
Comme c’est le cas pour les établissements destinés aux personnes dépendantes, certaines crèches sont très qualitatives. D’autres, en revanche, ont des méthodes discutables et des conditions d’accueil inadmissibles. L’idée n’est donc pas de généraliser, mais d’alerter sur ce qui se passe dans certaines d’entre elles.
À la rédaction, on aime rentrer dans les détails, même s’ils ne sont pas super joyeux….
Des consignes qui vont à l’encontre du bien-être des enfants
Le rapport de l’IGAS parle de professionnels qui donnent moins à boire aux enfants, afin de limiter la quantité d’urine et donc, les changes. Ces femmes (la plupart des auxiliaires de puériculture et CAP Petite Enfance sont des femmes) parlent de pressions hiérarchiques. L’objectif ? Limiter l’usage des couches et des gants de toilette jetables. Une logique de rentabilité dont nous avons déjà entendu parler dans le livre choc Les Fossoyeurs, de Victor Castanet.
Page 25 du Tome 1, on voit aussi que la “motricité libre peut être entravée” par les professionnels. En d’autres termes, les petits de 18 mois n’ont pas le droit de courir. Or, il faut remettre les choses dans leur contexte. Un enfant de 18 mois court et grimpe. À 24 mois, il saute. Une crèche est censée avoir les équipements et les infrastructures nécessaires pour qu’il puisse le faire en toute sécurité. Cela nous amène au point suivant.
Des locaux inadaptés à leur jeune âge
Malgré la qualité de certaines structures, d’autres sont dans “un état de vétusté et de dégradation parfois avancé, ne disposent pas du matériel adéquat pour les enfants, et ne sont pas construits de façon à assurer une prévention suffisante des nuisances (bruit, chaleur, lumière…).” (page 15, tome 2)
« Pas de dortoirs, les lits sont dans les salles y compris chez les bébés».
« Les 2 dortoirs (grands et bébés) sont petits au point que les professionnelles ont du mal à s’installer auprès des enfants pour les aider à s’endormir et au point que si le nombre de « grands » est supérieur au nombre de lits disponibles dans le dortoir qui leur est dédié, certains sont obligés de repasser dans le dortoir des bébés et, donc, dans des lits à barreaux. » (page 16 du Tome 2).
« Ancienne crèche qui résonne énormément, un niveau sonore important en particulier au moment des repas chez les bébés, et plus encore chez les moyens et grands » (page 19 du Tome 2)
« Des grandes pièces avec beaucoup de fenêtres ce qui amplifie considérablement la nuisance sonore et des plafonds hauts. Demande faite pour des panneaux acoustiques mais trop onéreux. » (Page 19 du Tome 2)
« Salle de changes sans fenêtres pour aération » (Tome 2, page 21)
Heureusement, il y a d’autres remarques beaucoup plus élogieuses.
« Bâtiment neuf inauguré en 2020. Expression bois très importante -bâtiment passif, bien pensé (acoustique – déplacements efficients au sein de la structure – espace bien défini et en nombre suffisant, lumière naturelle, espaces verts ombragés en extérieur) » (Pages 16 et 17 du Tome 2).
Maltraitances dans les crèches : des humiliations difficiles à justifier
Les témoignages anonymes s’enchaînent. On entend parler de bébés et petits (rappelons que la crèche, c’est jusqu’à 3 ans…) à qui on reproche d’avoir “des parents trop riches”. “Tu chouines pour rien”, “tu pues”, “t’es comme ta mère” (page 28 du tome 1). Un autre employé raconte avoir vu une directrice forcer un enfant à manger. Il a fini par vomir le repas.
On ajoute le témoignage d’un professionnel en page 30 du tome 2 : « Concernant la qualité alimentaire les enfants mangent des repas insipides et très peu variés. L’éveil gustatif n’est qu’une belle valeur défendue par les professionnelles mais n’est pas au rendez-vous dans les assiettes. Les manques réguliers dans les commandes et les quantités insuffisantes demandent une gestion permanente »
Les salariés dénoncent aussi en page 46 du tome 2 ; « critiquer la nourriture devant l’enfant, que l’on forcera à terminer » ; « mélanger tous les aliments dans l’assiette » seraient, selon eux, des pratiques habituelles.
« C’est des couches pas changées, c’est des biberons pas donnés, c’est le fait de récupérer son enfant à 16h30, on a bien vu qu’il n’a pas mangé de la journée. Le fait de dormir très mal. Le jour où on l’a retiré, il n’y a plus eu un seul cauchemar »
Nicolas Havette, pour FranceTV Info
Une maltraitance institutionnelle qui incite les auteurs à demander des évolutions légales
La maltraitance est aussi institutionnelle. Un bébé de 4 mois qui passe 40 heures hebdomadaires dans une crèche n’a pas le calme et l’attention qui sont nécessaires à son âge. Il est en outre sur stimulé par la frénésie des employées, qui tente de gérer ce flot ininterrompu d’enfants (certains parlent de “changer les couches à la chaîne), et par ses amis créchons, qui vaquent à leurs occupations dans les différentes salles de jeux. L’enquête de l’IGAS
D’autres enfants ne peuvent tout simplement pas faire leur sieste, parce que le dortoir n’est pas assez grand. Pourquoi, dans ce cas, accepter autant d’enfants ? Ah oui… On oublie. Business is business ! La loi n’encadre-t-elle pas cela ? Eh bien non ! La page 5 du Tome 1 nous apprend que les tailles de groupe ne sont pas encadrées. Il y a bien des chiffres, mais ce ne sont pas des paliers infranchissables, des seuils légaux. À l’heure actuelle, ils constituent plutôt une information, que le directeur de la crèche est libre de suivre ou non.
“L’activité marchande dans le secteur de la petite enfance soulève les mêmes enjeux et les mêmes risques que dans le secteur des personnes âgées, et appelle le même type de réponses.”
Rapport IGAS de 2022, tome 1, page 7
Maltraitances dans les crèches : que propose l’IGAS ?
Nous avons constaté… très bien. Que propose-t-on pour éviter de nouveaux drames ?
Une meilleure prise en charge du handicap
Tout d’abord, l’IGAS préconise la venue d’AVS dans les crèches. En effet, les professionnels doivent prendre soin des enfants handicapés. Or, ils ont entre 5 et 7 enfants à leur charge. Si une auxiliaire de puériculture est occupée avec un enfant, sa collègue gère les 13 autres. Pas le choix. Ces salariées se plaignent aussi de ne pas être formées correctement, ce qui nuit à la prise en charge des enfants.
« Les professionnels sont souvent livrés à eux-mêmes lors de l’accueil d’enfants en situation de handicap » (Tome 2, page 26)
Les parents renchérissent : « Je trouve que ma fille est accueillie de manière très chaleureuse. Malheureusement, j’aurais aimé un personnel d’avantage formé ou avoir la possibilité d’avoir une référence en permanence avec ma fille. A 18 mois elle n’a aucune motricité et je pense qu’elle n’est pas assez stimulée par les équipes. Comme elle ne se plaint pas, ils ont tendance à la laisser sur un tapis et à s’occuper des autres enfants qui sont eux en demande. » (Tome 2, page 27)
Lutter contre les maltraitances dans les crèches grâce à la communication
Les médecins font une observation intéressante, qui reflète bien le tabou qui entoure le monde de la petite enfance. Pour être précis, ce n’est pas la petite enfance en elle-même qui est taboue, mais les sentiments négatifs qu’un adulte a légitimement le droit d’exprimer. Ils intériorisent, ne peuvent pas le verbaliser “ça ne se fait pas”. Leur sentiment négatif enfle, gonfle et, comme un autocuiseur, explose. Il n’y aucun espace où en échanger. C’est la porte ouverte aux dérives et aux maltraitances dans les crèches.
“Les cris, le bruit, la violence, les morsures, qui font partie intégrante de ce type d’accueil et du quotidien des professionnels, et peuvent susciter de nombreuses émotions négatives chez les adultes en situation d’accueil, semblent largement passées sous silence.”
Rapport IGAS 2022, Tome 1, page 28
On ne parle alors pas de maltraitances, mais de “douces violences”, remarquent les auteurs… Quelle différence ? La douce violence n’est accompagnée d’aucun sentiment de haine ! Qu’on se le dise. On en parlera aussi au bébé à l’occasion. Il sera content de le savoir.
La PMI et la CAF veillent au grain
Le Code de la Santé Publique (article R. 2324-30-II, alinéa 4) précise qu’un protocole de signalement de la maltraitance doit être adjoint au règlement de la crèche. C’est à la PMI de contrôler que ce soit bien le cas (page 29 du Tome 1).
Les chercheurs conseillent de s’intéresser plus particulièrement à deux types d’établissements :
- Les établissements qui fonctionnent sur les fonds publics et à qui les dotations ne sont pas renouvelées ou insuffisantes,
- Les micro-crèches, qui sont le théâtre de nombreux abus. (page 16 du Tome 2)
Enfin, et c’est probablement la base, ils proposent d’améliorer les conditions de travail de ces professionnels de la petite enfance, démunis et désemparés devant des charges de travail toujours plus lourdes (page 29 du tome 1).
Pourquoi ne pas demander des qualifications plus importantes ? Les évaluations doivent devenir la norme, et surtout, chaque intervenant doit bénéficier d’un apprentissage continu. De tels manquements, de telles défaillances et négligences seront peut-être ainsi, à l’avenir, évités !