Mon P’tit Loup est un livre entre drame et poésie. Nicolas Puluhen donne la parole à ces victimes d’inceste devenues grandes, ce public dont nous parlons depuis maintenant plusieurs mois. Victime de tels faits dans l’enfance, l’auteur sait parfaitement de quoi il parle.
Que deviennent les enfants violés lorsqu’ils grandissent ? Quels sont les enjeux, les conséquences de ces crimes qui, rappelons-le, concernent un enfant par classe en 2023 ? C’est tout l’objet de cet article.
Les docteures Sarah Thierrée et Judith Trinquard alertaient à ce sujet. Les victimes d’inceste sont plus susceptibles que d’autres de développer des addictions et des troubles psychiatriques à l’âge adulte. L’auteur, Nicolas Puluhen choisit de lever le voile sur ce tabou, et de l’aborder en toute transparence. Il raconte son besoin de consommer de l’alcool et de la cocaïne. Il décrit aussi finement la réaction de ses proches lorsqu’il a essayé de livrer son terrible secret, lors d’une soirée entre amis.
Les premiers l’ignorent, font comme s’ils n’avaient rien entendu. Les autres ont peur, ils craignent que celui qui fût jadis une victime, ne reproduise à son tour les violences qu’il a subies. Ils sont gênés, et détournent le regard, font la sourde oreille, rendant les cris de l’enfant inaudibles. Le malaise s’accentue.
Non, nous n’allons pas spoiler Mon P’tit Loup de Nicolas Puluhen. Nous allons simplement mener quelques observations, pour faire un lien entre son récit et notre enquête.
Mon P’tit Loup raconte sa vie dévastée par une enfance bafouée
Entre psychiatrie et addictions, Nicolas Puluhen se débat constamment, en proie à des démons qui hantent sa mémoire et son sommeil. La musique devient un outil, un essentiel pour ne pas se retrouver seul face à lui-même, face à ses souvenirs. Katia Coatanea nous le disait : la musique entraîne une libération de toutes les hormones du bien-être. Ces hormones, dans leurs effets, entraînent une sensation similaire à celle de la morphine.
La musique semble être un incontournable des personnes en souffrance. Chacun d’entre nous a, dans sa tête, des canaux. Vous pensez par exemple à votre mission professionnelle, et vous rappelez soudainement que vous avez oublié d’éteindre la lumière de votre maison. Lorsque vous souffrez d’un stress post traumatique, un ou plusieurs de ces canaux mentaux sont mobilisés. Vous avez des flash-backs qui vous empêchent de réfléchir et autres manifestations d’angoisses compliquées à gérer.
La musique, dans ce cas, fait taire les voix et les flash-back trop insupportables. L’auteur raconte d’ailleurs sa détresse, quand, adolescent, son bourreau lui a “emprunté”, sous couvert de lien familial, son baladeur (page 22).
L’alcool lui permet aussi, dès son plus jeune âge, d’anesthésier ces souffrances passées, liées à l’inceste qu’il a vécu.
Inceste et pédocriminalité : comment survit-on au pire ?
Mon p’tit loup, le témoignage de Nicolas Puluhen se poursuit. Il explique que ses enfants l’ont sauvé, par leur amour “simple et sincère” (page 33) et que finalement, il a décidé de vivre. Pour autant, il continue de courir, d’être hyperactif, comme il le dit lui-même. Encore une fois, il s’agit d’un mécanisme de défense qui consiste à être tout le temps en action, pour ne pas penser au passé. Sous couvert d’aller de l’avant, l’ancienne victime multiplie les heures de travail, les projets, les conquêtes et autres stimulations qui lui permettent de ne pas penser.
La femme de Nicolas Puluhen lui a aussi été d’une grande aide. Et puis, il a découvert l’écriture. Cette planche salutaire lui permet d’expurger ses idées noires, de s’en décharger et de continuer, plus léger.
“C’est toujours ça de gagné pour rester en vie”.
Mon P’tit Loup, Nicolas Puluhen
Mon P’tit Loup de Nicolas Puluhen : la bouteille à la mer des enfants abusés
Les témoignages et les citations, tous anonymes, se succèdent. Ils sont criants de vérité. Nicolas Puluhen poursuit son combat et dénonce l’enfer que vivent tous les anciens enfants violés. Il parle de la drogue, qui tue cette jeune fille à petit feu. De ses parents, qui la voient s’enfoncer inexorablement et se préparent à la perdre définitivement.
Nicolas Puluhen nous parle aussi de cette petite fille, probablement malgache au vu des paysages décrits et du dialecte employé. Victime d’un violeur en série, elle est retrouvée, prostrée, le visage tuméfié, par un pêcheur. La famille se met en tête de la venger.
Quel est le point commun de toutes ces personnes en détresse ? Elles ont toutes été victimes d’inceste ou de maltraitances sexuelles. Comme nous le disions en introduction, ce sont des enfances, des parcours à jamais brisés ; des vies parfois irréparables.
On dit “parfois”, parce que Nicolas Puluhen est bel et bien là, il a survécu et transformé ses douleurs en combat.
Il a d’ailleurs accepté de répondre à nos questions.
Mon P’tit Loup, l’interview de Nicolas Puluhen
Mon P’tit Loup n’a indéniablement pas été facile à lire. L’écrire n’a pas dû être simple non plus. À la rédaction, nous avions envie d’en savoir plus. Alors, on s’est adressés directement à l’auteur, Nicolas Puluhen.
Nicolas Puluhen, auteur de Mon P’tit Loup, comment allez-vous aujourd’hui ?
« Bien mieux. Alors que les images quotidiennes ont anéanti ma joie pendant une vie entière, aujourd’hui, lorsqu’elles osent apparaître, je les regarde en face, fier d’avoir fait de ce drame une force. Aujourd’hui, ces images me ramènent au courage qu’il m’a fallu pour briser le silence, rendre la chose audible pour mes proches et apporter un éclairage sur ma personnalité ».
La publication de ce livre vous a-t-elle été bénéfique sur le plan psychologique et moral ?
« Complètement.
Je peux enfin parler librement et sans honte. Mais aussi, être d’humeur maussade sans raison et ne pas avoir à m’en justifier, enchaîner les nuits de mauvais sommeil sans devoir expliquer… car tout cela, même si le moral est meilleur (et il l’est vraiment !), fait partie de ma condamnation à perpétuité« .
Comment avez-vous pu gagner la confiance des victimes à ce point ? Leurs confidences sont touchantes, elles appartiennent au domaine du super intime. Cela n’a pas dû être facile.
« Les deux premiers récits sont des histoires vraies. La mienne pour commencer bien sûr, que j’ai voulu courte et incisive pour faire ressentir au lecteur ce que vit une victime de traumas. La deuxième parle de Lorette, la fille de mes amis très proches… Une enfant que j’ai vu grandir, aux côtés de ma fille (elles sont nées la même année), jusqu’au jour où tout est parti en vrille… Des années à soutenir, à espérer, à tenter de comprendre pourquoi cette envie de mourir. Et puis un jour, on comprend. Et ce jour-là, on comprend aussi que l’issue sera très vraisemblablement fatale.
Les trois autres récits sont des fictions qui m’ont permis de traiter trois autres stratégies de “survie” : le déni, l’amnésie traumatique et… le fait de reproduire, de devenir soi-même auteur ».
Quel est l’objectif de ce livre ? Que souhaitez-vous pour Mon P’tit Loup ?
« Ce livre est plus qu’un témoignage. Il est le fruit de modestes réflexions sur les différentes stratégies qui s’offrent aux victimes d’abus sexuels. Ce travail m’a prouvé que j’ai su inverser une existence qui ressemblait davantage à de la survie. Aujourd’hui, le livre en main, je me sens armé, pour moi, mais surtout pour les autres ! Mes frères et mes sœurs d’infortune… »
Quelles sont les 3 personnes qui vous ont le mieux accompagné ?
« Mon jeune frère, et aussi bizarre que cela puisse paraître, deux auteurs (l’une de romans, l’autre de poésie), rencontrés virtuellement grâce aux réseaux et à des amis… Ces deux anges gardiens m’ont aidé en relisant et en corrigeant les erreurs techniques du jeune auteur que je suis. À ce jour, François et Etienne sont des amis, mais nous ne nous sommes jamais rencontrés, car 10.000 km nous séparent.
Ce que je veux dire par là, c’est que cette libération de la parole m’a rapproché de mon frère et m’a offert de rencontrer de belles personnes. En plus du reste… »
Voulez-vous dire un dernier mot, mettre un point final à cette interview ?
« J’ai créé une association à Saint Paul (97) qui porte le même nom que le livre et dont la vocation est de d’offrir des ateliers d’écriture à d’anciennes victimes. Ces ateliers démarrent le mois prochain à la Réunion. Ils seront gratuits, encadrés par une psychologue clinicienne spécialisée en victimologie et par deux artistes, musiciens et professeurs d’écriture.
Les revenus du livre, les subventions et les recettes des concerts que je vais organiser permettront de financer ces ateliers.
Enfin, j’ai entrepris de démarcher des artistes dont la voix portent pour écrire sur ce thème… J’en parlerai plus tard mais les choses sont engagées et cette démarche pourrait même donner lieu à un documentaire. Un seul but : PARLER et LIBÉRER LA PAROLE ».
La rédaction Rebellissime vous remercie du temps accordé et invite ses lecteurs à commander Mon P’tit Loup, ce très beau livre, qui nous a tous sincèrement conquis. Pas de filtres, pas de tabous, le ressentiment envers l’agresseur et la douleur sont clairement verbalisés. Cela permet aux victimes de mieux comprendre ce qu’elles ressentent, et peut-être (on l’espère) aider les proches à adopter un meilleur comportement lorsqu’ils sont confrontés à ces lourdes révélations.