Les chiffres du harcèlement scolaire font froid dans le dos. En France, un enfant sur dix en sera victime au cours de sa vie étudiante. Une vingtaine de mineurs victimes se suicident chaque année, sur fond de violences morales, de cyberviolences et, bien souvent, de violences physiques associées.

Magali Rebatel, psychologue spécialisée en neuropsychologie de l’enfant et de l’adolescent et Mathilde Royol, psychologue clinicienne spécialisée dans le domaine de l’enfance et de l’adolescence, vont même plus loin dans leur ouvrage Mon enfant est harcelé, concrètement que faire ? publié aux éditions Tom Pousse en octobre 2023. Ces deux professionnelles reconnues au Canada ont fait du harcèlement scolaire leur cheval de bataille. Si le harcèlement semble exister depuis toujours, il n’a de réalité en tant que « concept » que depuis 1970.

Ce phénomène inquiétant semble décuplé par l’utilisation immodérée des réseaux sociaux.

Vous vous rappelez de Katia Coatanea ? Nous avions présenté l’activité de musicothérapeute clinicienne.

Dans un entretien, nous échangions nos constats amers, nos craintes et nos idées à ce sujet. Elle explique que l’accompagnement psychologique associé à une médiation est envisageable. L’idée est de « proposer un espace d’expression, de prise de conscience, et donc de considération des émotions et ressentis qui s’éveillent et alimentent la relation déviante entre individus. Dans un idéal, réfléchir ensemble aux autres possibilités d’adresse, les mettre en jeux et en faire une critique constructive.

Pour elle, il y a 3 entités à prendre en considération : la (ou les) personne(s) harceleuse(s), la ou les victime(s) et le public. Intégrer des jeux de rôles aux jeux musicothérapeutiques est également un moyen des plus pertinents. A travers un côté ludique, ils facilitent une « Mise à la place de l’autre », associant une certaine distance et une mise en mots. » Notre musicothérapeute insiste sur le fait que « chacun des protagonistes est un être de souffrance, n’ayant pas pour le moment, trouver un autre moyen d’adresse envers l’autre. »

Nous échangions nos constats, amers, nos craintes et nos idées à ce sujet. Elle évoquait son idée : apprendre aux élèves français, nos enfants, à relationner différemment grâce à la musicothérapie.

Harcèlement scolaire : la musique pour adoucir les mœurs ?

Le harcèlement, m’explique-t-elle, résulte d’une difficulté à relationner avec autrui. Cela peut être révélateur de violences familiales, qu’elles soient morales ou physiques, mais ce n’est pas toujours le cas. On observe en effet que souvent aussi, les harceleurs sont tout simplement des jeunes mal dans leurs baskets, qui ont une faible estime d’eux-mêmes. D’autres ne savent tout simplement pas échanger sainement avec leurs pairs, et éprouvent le besoin de lui nuire pour exister aux yeux des autres.

On pourrait comparer ce comportement à celui d’une personne en train de se noyer, et qui met le pied sur la tête d’une autre personne pour remonter à la surface et insuffler un peu d’air.

Le harcèlement, me dit-elle, résulte d’une difficulté à « comprendre et accepter la différence chez l’autre. Par exemple, un handicap physique ou psychique, un décalage psychoaffectif, une personnalité plus ou moins marquée, des bonnes capacités scolaires. Néanmoins, quelle que soit la place de l’individu, on retrouve un point commun : la vulnérabilité dans la construction de l’estime de soi. » Comme mettre le pied sur la tête de quelqu’un qui cheche à remonter à la surface de l’eau.

En quoi la musicothérapie peut-elle influencer les relations entre enfants ?

En off, à la rédaction, on se posait déjà des questions.

  • La racine de cette gangrène a-t-elle un rapport avec la société actuelle ?
  • Quelle est la responsabilité des réseaux sociaux ? Et la nôtre, adultes, en tant que parents et professionnels ?
  • Que peut-on faire pour évoluer tous ensemble, vers de meilleures interactions ?

Concrètement, la musicothérapie pour prévenir le harcèlement scolaire, ça donne quoi ?

L’objectif est de leur apprendre l’empathie de manière subtile, d’intégrer cette notion dans leurs fondations psychiques. Ainsi, il est possible de lutter durablement contre le harcèlement scolaire. La priorité étant d’améliorer l’estime de soi, de travailler sur l’affirmation de soi, et in fine, de proposer un autre moyen d’expression et de communication.

Katia Coatanea souligne l’importance de rester flexible et de faire preuve d’adaptabilité. Les enfants sont tous différents. Chaque école a ses valeurs, sa ligne de conduite et, pour finir, chaque groupe a une dynamique qui lui est propre.

« Ces adultes en devenir sont en pleine croissance, de découverte de soi. Une période où les modèles éducatifs, sociétaux et pédagogiques sont mis en doute afin de construire sa propre identité et de découvrir qui ils sont fondamentalement et à quoi ils aspirent»

Katia Coatanea

Évaluer rapidement la situation et détecter les situations à risque

La prise de contact et le lien avec l’équipe directionnelle et les équipes éducatives sont essentielles. Ensemble, les professionnels nomment une (ou plusieurs) personnes, qui deviendront les référents du projet. Tout cela se fait bien sûr en amont, pour qu’en présence des enfants, tout se déroule de manière fluide. Efficacité maximale !

En tant que thérapeute, elle arrive dans une classe qu’elle ne connaît pas, avec des enfants inconnus.

  • Qui est l’enfant le plus vulnérable ? Et le meneur ?
  • Comment s’articule la dynamique de groupe ?

Katia Coatanea nous confie ses stratégies…

Il y a plein de stratégies à mettre en place. On peut par exemple citer le jeu du chef d’orchestre, où le thérapeute demande à ses patients de simuler la guidance d’un orchestre. Chacun leur tour, ils transmettent l’objet chimérique aux autres participants. Certaines personnalités s’imposent et gardent la baguette longtemps… Tandis que d’autres n’osent pas se l’approprier. Certains dirigent le groupe assis, d’autres debout… Tout cela est très révélateur.

Katia rejoint aussi les idées préventives de jeux mentionnés par Magali Rebattel et Mathilde Royon  dans leur livre à la p 41 « Le jeu (…) permet à l’enfant d’être en lien avec l’autre ».

L’importance de bien communiquer avec les corps enseignant

Le thérapeute prévoit un entretien avec le professeur avant et après, pour évoquer ses observations. Il peut être un précieux appui pour ce professionnel, qui est au contact des élèves huit heures par jour.

Katia Coatanea, musicothérapeute, parle du harcèlement scolaire
Katia Coatanea propose des solutions pour lutter durablement contre le harcèlement scolaire

Musicothérapie et harcèlement scolaire : qu’en pense le corps enseignant ?

Mme Lydie Bavard, professeure de lettres modernes au lycée Gambetta-Carnot à Arras, nous répond.

« En milieu scolaire, rien ne doit être négligé parce qu’on agit sur du fragile, des individus en constante évolution et construction. Le professeur doit être attentif à chacun pour ce qu’il est mais doit aussi être capable de savoir quelle place il occupe dans le « groupe classe ».

Le harcèlement repose sur plusieurs éléments : le mal être de l’assaillant, l’absence de riposte qui enferme l’assailli dans une spirale infernale et aussi l’absence de réaction des autres. On peut agir pour éviter cette culture de la violence qui n’a pas lieu d’être ni à l’école ni ailleurs. Ce qui est compliqué depuis la réforme des programmes du lycée, c’est qu’il n’existe plus chez nous de véritable « groupe classe ».

Les spécialités ont éclaté ce concept et ont définitivement enlevé de la cohésion aux classes comme nous les connaissions auparavant. A présent, les élèves se côtoient en fonction de leurs spécialités et changent sans cesse d’environnement et de camarades. »

Les premiers symptômes à repérer pour détecter un élève isolé

« Le professeur et au-delà, l’équipe éducative (assistants d’éducation, surtout pour leur présence sur le terrain, en dehors du cadre classe) sont des « observateurs » privilégiés pour détecter les problèmes et prévenir des situations de harcèlement. Le « groupe classe » est un espace privilégié d’observation. »

On peut assez rapidement détecter les problèmes relationnels, et ce, de plusieurs manières. Lydie Bavard, professeure de Lettres Modernes, nous donne quelques exemples simples, qui permettent de poser un pré-diagnostic. 

  • Demander à des élèves de travailler en binôme ou en groupe et regarder qui reste seul.
  • Regarder si les élèves absents récupèrent les devoirs (le cas contraire est un « signal d’alerte fort pour détecter l’isolement ».
  • Jeter un regard à la cantine et voir qui mange seul.

« Généralement, un élève isolé n’appartient à aucun groupe et a des difficultés à récupérer ses cours, ce qui finit par l’isoler encore plus. Il est facile d’y palier. On peut créer des binômes et lier les élèves les uns aux autres. »

Un enseignant suffisamment « observateur » peut devenir un levier pour éviter l’isolement, qui, comme chacun le sait, favorise le harcèlement scolaire. Cette tâche fait partie prenante du métier d’enseignant qui ne peut se limiter à une transmission de connaissances. L’élève est accompagné dans un parcours et guidé par une équipe éducative qui doit l’amener à s’accomplir dans ce qu’il est. »

Le lien entre isolement et maltraitance entre enfants

« Chaque enfant, de par son vécu, porte une charge émotionnelle différente. Un élève n’arrive pas à l’école en oubliant tout ce qu’il vit ou a vécu. C’est l’image de « déposer ses valises pleines à l’entrée de l’établissement scolaire ». Est-ce vraiment possible ? D’ailleurs, il faudrait réfléchir à la place de l’émotion dans le système scolaire ? Un élève qui aurait subi une forte charge émotionnelle comme par exemple un abandon, un décès, une agression physique ou morale, un choc psychologique…cherchera instinctivement à « survivre ». Aussi si cette « émotion négative » n’est pas « soignée », elle conduira à d’autres violences.

L’élève peut se faire du mal à lui-même, mais peut également faire du mal aux autres. Alors, l’élève isolé ou l’individu plus « fragile » peut devenir une proie facile.« 

L’intérêt de la musicothérapie en milieu scolaire

« Aussi, la musicothérapie peut être un moyen de soigner et de guérir l’être afin qu’il ne se détourne pas de son chemin. Harceler l’autre, c’est pour reprendre la métaphore très juste de Katia Coatanea, « s’appuyer sur quelqu’un en train de se noyer et qui met le pied sur la tête de l’autre… ». Dans le système scolaire, il faudrait agir sur le mal à la source.

Agir sur les émotions négatives et surtout arrêter de les ignorer. Elles sont souvent à la source de beaucoup de conduites déviantes dans le système scolaire et au-delà. La colère non exprimée ronge celui qui la porte. Je suis professeure de Lettres, comment puis-je extraire cette colère en préparant mes élèves à des exercices techniques tels que la dissertation et le commentaire ? Je les prépare et c’est nécessaire, à réfléchir, mais je ne peux les soigner parce que je ne suis pas là pour cela.

Il est donc nécessaire je pense d’ouvrir les perspectives et d’accompagner les enseignants et les élèves en se servant par exemple de la musicothérapie pour soigner afin de permettre de mieux travailler. Je suis convaincue que ce serait un investissement formidable pour l’école tout entière mais aussi pour notre société. »

Quelques mots sur l’importance d’intervenir au bon moment

« Aussi, lorsqu’ un élève est en train de se « noyer », il faut lui venir en aide avant qu’il ne prenne la mauvaise décision qui fera de lui un bourreau. Pour que le système scolaire fonctionne au mieux, il faudrait que chacun des intervenants sensés accompagner l’élève, reste à la place qu’il doit occuper pour être efficace. Le professeur enseigne. Il peut détecter, mais ne se substitue pas à un soignant. En effet, il s’agit ici de soigner ce qui déclenche en l’élève les pires instincts et le conduise à user de violence envers l’autre. Au-delà, du système scolaire, il est évident qu’il existe un lien avec toute notre société ! »

De quelle tranche d’âge vous occupez-vous, Lydie ?

« J’ai sous ma responsabilité cette année des élèves de seconde, de première et de postbac : ils ont entre 15 ans et 32 ans. »

Que constatez-vous au quotidien, en matière de harcèlement ?

«  »Je suis vigilante. Le professeur est « maitre » dans sa classe. Il doit faire régner l’ordre dans le groupe, sinon la transmission est impossible. Il faut donc être à l’affut du moindre signe qui serait un début de moquerie (même anodin) et y répondre immédiatement pour le désamorcer. « Désamorcer » ne veut pas dire « disputer », on peut user du rire aussi.

Par exemple, un élève se désigne pour lire et bute sur des mots. Si une réaction négative se fait entendre, il faut réagir immédiatement et faire comprendre à ses élèves que cela n’est pas permis ici. Ce qui est compliqué depuis la réforme des programmes du lycée, c’est qu’il n’existe plus chez nous de véritable groupe classe.

Les spécialités ont éclaté ce concept et ont définitivement enlevé de la cohésion aux classes comme nous les connaissions auparavant. A présent, les élèves se côtoient en fonction de leurs spécialités et changent sans cesse d’environnement et de camarades. »

L’établissement dans lequel vous exercez est-il fortement / faiblement / modérément concerné par cela ? Combien d’enfants par classe sont concernés ?

« Honnêtement, je fais attention, je veille et je désamorce. J’ai peur qu’on ne me croit pas…ça fait un peu « prétentieux » ! Toutefois, je récupère parfois des enfants qui en ont subi. La reconstruction est longue et est souvent un long chemin individuel pour les enfants concernés et les familles. Pour ce qui est de l’ensemble de mon établissement, les enseignants n’ont pas de connaissance générale de tous les problèmes rencontrés dans d’autres classes, ils n’ont qu’une vision partielle des problèmes. »

En quoi la musicothérapie peut, selon vous, être bénéfique ?

« Elle peut jouer un rôle préventif et apporter une réponse à la source pour éviter la violence. »

Quel est, toujours selon vous, la source du problème ?

« Pour éviter les problèmes, il faut apprendre à se connaitre et à mieux s’aimer malgré ce qu’on a vécu ou ce qu’on vit. La colère ronge. Certains adolescents sont rongés par la colère et déverser sa colère sur l’autre, c’est finalement ne pas la regarder en face, ne pas affronter le problème et le résoudre pour un jour espérer aller mieux.

Si je devais trouver un responsable à cela, ce serait un effet pervers de notre société « malade », à qui on refuse sans cesse une reconnaissance de ses maux. La musique est un moyen de rendre heureux et le bonheur permet de mieux apprendre et de mieux vivre. Ça parait simple, mais ce n’est pas ce qu’on est en capacité d’offrir aux élèves actuellement. »

Trois idées d’activités qui peuvent faire évoluer une situation de harcèlement

Nos cerveaux à tous bouillonnent de solutions… Effectivement, Kathia et ses collaborateurs pourraient avoir raison.

La musique peut vraiment avoir une action bénéfique.

  • Cela peut aller de la prise de conscience : par exemple, répéter une sonorité désagréable pour montrer ce qu’est une agression sensorielle et sensibiliser à ce que ressent une personne agressée, harcelée.
  • On pourrait aussi imaginer améliorer la cohésion du groupe en travaillant sur un projet de slam ou de rap, tous ensembles… Une expérience commune tout à fait susceptible de resserrer les liens entre les jeunes.
Instruments de musique utilisés par Katia Coatanea
Pour que nos lecteurs aient une meilleure idée des outils utilisés pour lutter contre le harcèlement

Tout est à créer. La solution s’adapte dès la maternelle, cet âge où les enfants font leurs premières expériences de vie sociale. Regardez-les jouer : une véritable mini-société. Ils sont encore malléables, et peuvent encore apprendre à relationner autrement.

  • La musicothérapie est aussi très pertinente plus tard, pour susciter la réflexion, entraîner le doute. Le nombre quasi illimité de musiques accompagnées de paroles, permet de lancer n’importe quelle discussion, d’aborder les thématiques les plus graves en conservant une certaine distance.

Katia insiste sur l’importance de ne pas accuser directement l’un de ses jeunes participants. Le but de la séance est vraiment d’apaiser les tensions. Sauf exception, elle s’adresse donc au groupe dans son ensemble et fait passer un message plus général.

Ici encore, il faut faire preuve d’adaptabilité. Un adulte ne s’imposera pas de la même manière selon s’il intervient dans un groupe âgé en moyenne de 16 ans, et issu d’ITEP, ou auprès de pré-ados de 10 ans. Les centres d’intérêt ne sont évidemment pas les mêmes.

On réfléchit à ce projet, qui nous concerne finalement tous de près ou de loin.

Laissez des commentaires si vous avez des suggestions ou des idées en lien… On cherche aussi des témoignages anonymes d’enfants et de leurs parents, qu’ils soient victimes ou auteurs de harcèlement scolaire. On parle à ceux qui sont directement concernés, c’est tellement plus instructif ! Patience, la rédaction continue de creuser dans ce sens.