Loi Leonetti et soignants… Qu’ont-ils à dire après tout ? Leur travail n’est-il pas d’appliquer la loi et de faire au mieux pour le patient ?
Oui, mais voilà. Il arrive que la loi aille à l’encontre de ce bien-être, de cette dignité. Notre travail est de retranscrire les pensées de nos pairs, parler de faits de société de manière objective. Comment dès lors négliger le point de vue de ceux qui appliquent cette fameuse loi ?
Que ressentent-ils lorsqu’il faut annoncer aux familles ?
Que pensent-ils de l’euthanasie active ?
Leur réflexion rejoint-elle la nôtre, à nous, non-soignants, qui jugeons cette procédure inhumaine et contraire à l’éthique ?
Loi Leonetti et soignants : une position désagréable coincée entre les valeurs religieuses et la lâcheté de ceux qui décident
Nous avons eu un long échange avec Léna, infirmière à Strasbourg : plus d’une heure à parler éthique, euthanasie et accompagnement à la fin de vie. Bien que peu réjouissante, la conversation a été très fructueuse.
Elle met en évidence l’immense frustration de ces soignants, qui ont choisi cette voie pour prendre soin des autres et n’ont plus ni le temps ni les moyens de le faire.
La mort, un tabou bien occidental
Il n’y a bien que l’Europe pour cacher ainsi ses défunts. Chaque année à Madagascar, une fête a lieu : Famadihana. Elle célèbre les morts. Certains ossements sont déterrés, on change leurs linceuls pour leur rendre hommage et ne pas les oublier. Au Mexique, on dépose des offrandes (de la nourriture et de la téquila) sur la tombe des défunts. C’est le fameux Día de los Muertos, ou « Jour des morts », une célébration de la vie et de la mort que l’on retrouve notamment dans le film d’animation Coco
En Europe, on cache nos vieux dans des EHPAD et on les enterre le plus rapidement possible. Notre système hospitalier qui a initialement une vocation humaine se transforme en système d’argent. Un décès ? Dépêchez-vous de consulter la liste d’attente. On ne voudrait pas voir de chambres vacantes : quelle perte d’argent !
Face à ce constat, Léna déplore que l’accompagnement à la mort ne soit traité que de manière superficielle dans la formation initiale d’infirmière. Si les professionnels veulent en apprendre davantage, il faut suivre un cursus spécifique. C’est ce qu’elle a fait.
Qu’est-ce qui découle de cela ? La plupart des soignants ne sont pas prêts à affronter le décès. Leur objectif est de soigner. La mort est alors perçue comme un échec.
« La mort n’est pas acceptable en milieu hospitalier. Il faut pourtant rester conscient que la mort et la vie sont intrinsèquement liées. ».
Léna, aide-soignante puis infirmière à Strasbourg depuis 1993
Loi Leonetti et soignants : la difficulté de mourir seul
Pour avoir accompagné de nombreuses fins de vie, Léna explique son grand regret. Malgré sa formation, elle n’a pas eu si souvent que ça l’autorisation d’accompagner ses malades dans la mort. Une fois même, sa supérieure le lui a interdit, alors même qu’elle restait à l’EHPAD sur son temps libre. D’autres fois, elle fait le même constat que nous : les soignants de nuit ne sont que 2 ou 3 pour plusieurs unités. Ils ne peuvent pas laisser les autres résidents à l’abandon pour s’occuper d’une seule personne. Ce n’est pas possible. Le malade meurt alors tout seul.
Léna remarque une constante : « le visage des morts n’est pas le même selon les conditions de son décès. S’il est en paix et accompagné, ses traits se détendent. Au contraire, s’il est tourmenté, ses traits se figent de manière beaucoup moins apaisée.
Certains malades s’accrochent même après l’arrêt de l’eau et de la nourriture. Ils attendent quelqu’un. Ils ne veulent pas mourir seuls, ils tiennent. On remarque des patients dont les constantes s’améliorent juste à l’heure des visites… Alors même qu’ils étaient mourants cinq heures avant, signes cliniques à l’appui.
Une euthanasie active empêcherait ces moments difficiles et permettraient au malade de partir non seulement accompagné, mais aussi sans douleur ».
Pourquoi refuse-t-on cette option ?
Face aux réponses des personnes avec qui nous avons échangé, il semble que le blocage de notre pays sur l’euthanasie ait deux sources : la première est que nous sommes un pays initialement catholique. Le nombre de musulmans croît. Nous avons aussi une communauté juive importante. Et le point commun de ces trois religions est celui-ci : seul Dieu décide de l’heure de notre mort.
Première chose.
La seconde raison qui explique ce refus de considérer l’euthanasie rejoint un peu les thématiques sensibles, les tabous dont nous parlions précédemment. Le cannabis, le sexe chez les personnes âgées et handicapées, ou encore la mort ne sont pas des sujets que l’on assume. Nous sommes les champions de la consommation de cannabis, mais on ne légalise pas. L’accompagnement à la fin de vie est discutable, mais on ne saute pas le pas. On n’assume pas. Pourtant, on le fait. On donne l’ordre de cesser la nourriture. On donne l’ordre de ne pas réanimer. N’est-ce pas là une manière d’accélérer la mort, et donc d’euthanasier ?
Il est temps que les législateurs cessent cette langue de bois, ces propos et ces décisions ambigües et qu’ils assument. Nous avons les moyens légaux et matériels d’empêcher les dérives et d’arrêter ces fins de vie pleines de souffrances. Qu’attendons-nous pour les mettre en place ? L’Espagne et les Pays-Bas ont bien réussi, eux !
Loi Leonetti et soignants : quelles alternatives à cette mort lente ?
Nous évoquons avec Léna cette possibilité déjà évoquée d’injecter du potassium qui stoppe l’activité cardiaque ou une dose un peu plus élevée de morphine, qui arrête la respiration. Cette infirmière dévouée et compétente justifie l’anonymat qu’elle souhaite garder.
Elle me dit que le sujet est sensible et qu’elle-même a déjà assisté à une euthanasie dans un service ORL (où la plupart des patients étaient atteints de cancers). Certains cocktails de médicaments permettent au mourant de s’endormir paisiblement et de ne jamais se réveiller. Pourquoi n’envisage-t-on pas cette solution ? Je demande alors s’il s’agit d’hypocrisie. C’est vraiment le mot qui revient dans toutes les bouches. Léna confirme.
Loi Leonetti et soignants : oui, les risques d’abus existent… Mais n’y en a-t-il pas déjà ?
Les pays qui ont dépénalisé ou légalisé l’euthanasie mettent en place des protocoles pour lutter contre les dérives. Ils demandent à ce qu’un colloque de trois médecins décide si oui ou non l’euthanasie est la seule solution.
En France, c’est le même système pour stopper l’alimentation et l’hydratation : 3 médecins se réunissent et prennent une décision.
Or, en Suisse par exemple, celui qui accompagne doit être dépourvu de tout intérêt. Il doit le faire sans rien attendre en retour, ni héritage, ni matériel ni rien. Son accompagnement doit être désintéressé. Chez nous, la loi Leonetti n’encadre rien du tout de cet ordre-là. Les proches (par définition héritiers) acceptent d’arrêter les soins. C’est à eux que revient le dernier mot.
Le témoignage de Léna n’est pas isolé. Plusieurs sage-femmes et infirmières nous ont confié, sous couvert d’anonymat, que ces pratiques avaient lieu partout en France. Être humain expose les soignants à des peines pénales pour homicide ou assassinat.
Rappelez-vous la mère de Vincent Humbert, qui par amour pour son fils, lui a donné la mort. Cet homme avait demandé l’aide du président de la République : Je vous demande le droit de mourir. En vain.
En bref, faire preuve d’humanité et d’empathie vous conduit, à l’heure actuelle, tout droit en prison.
N’est-il pas temps que notre vision des choses change ?
Loi Leonetti et soignants : quelles conséquences sur le moral de ces professionnels ?
Léna souligne que chaque mort est différente. Les soignants ne perçoivent pas du tout la mort de la même manière en fonction :
- Des circonstances (mort violente ou mort attendue et douce),
- La violence affective et émotionnelle qui entoure le décès (le malade est seul ou très apeuré),
- L’histoire et l’expérience du soignant.
En effet, nous remarquons au fur et à mesure des témoignages et des recherches qu’un décès peut réactiver un deuil mal digéré. En d’autres termes, si le soignant n’a pas fait son deuil et qu’il rencontre une situation similaire, il peut réagir vraiment très mal. Il se trouve alors confronté à un autre problème : la peine des soignants quand ils perdent un de leurs patients n’est pas perçue comme légitime.
Ils ne font pas partie de la famille. Leurs supérieurs interdisent l’émotion, le chagrin.
Seules certaines équipes (chanceuses ?!) qui travaillent en soins palliatifs ou en EHPAD ont le droit à un soutien psychologique.
Les autres se réconfortent entre eux, comme ils le peuvent, avec les moyens du bord.
Léna dénonce le cruel besoin d’accompagnants pour ces personnes en fin de vie. Parfois, elles craignent de mourir seules : c’est leur hantise. Et elles meurent effectivement toutes seules. Ce qui n’arriverait pas avec une euthanasie.
De cette conversation, nous viennent deux certitudes :
- La mort est une conclusion qu’il est important de soigner.
- L’euthanasie est préférable à une souffrance interminable, qui éprouve non seulement le patient, mais aussi ses proches, qu’ils soient soignants ou de la famille.
Léna termine par ces mots : « Sevrer l’alimentation et la boisson est inhumain. Cruel. Pas normal. Surtout que nous avons des moyens plus doux de donner la mort. Ce qu’on fait actuellement est contraire à la dignité humaine et au respect de l’être humain. »