« Tous les 3 jours en France, une femme meurt sous les coups de son compagnon ». Arrêtons ce refrain, cette rengaine incessante. Les violences conjugales sont désormais la « priorité » du Ministère de l’Intérieur. Et il était temps car ce fléau touche près d’une femme sur 10 en 2020. Cela entraîne 45 interventions de police chaque heure dans notre pays. Violence physique, psychologique, émotionnelle, financière, sexuelle. En matière de maltraitance intrafamiliale, la variété est de mise.

Comment faire lorsqu’on est pris dans un engrenage fait de coups, d’insultes et de chantages ? Quels sont les dispositifs à activer, concrètement, pour sortir de cet enfer ? Quels sont les points à ne pas négliger lorsqu’on veut fuir de manière sécurisée ?

Nous ponctuerons cet article de témoignages anonymes de femmes qui ont pu s’extirper de cette mauvaise expérience et de professionnels en activité. Ils nous donneront les bonnes informations pour être le plus efficace possible.

Les dispositifs juridiques pour se protéger des violences conjugales

Tout d’abord, il convient de savoir que tous les départements ne sont pas égaux devant les violences conjugales. Certains ont peu de moyens tandis que d’autres y allouent des budgets plus confortables.

Selon Mama Doucouré, Conseillère municipale déléguée au droit des femmes, à la lutte contre les violences faites aux femmes et contre les discriminations : « Au commissariat de Bagnolet (93), impossible de porter plainte, après 19h c’est fermé ! Tandis que dans d’autres villes, comme Fontenay-sous-Bois (94), les policiers sont formés à l’accueil des femmes battues. Manque de moyens, de formations… La République fait certes des économie, mais au final, c’est notre humanité qui est perdante ! « .  Il y a donc une inégalité criante dans la prise en charge, selon le lieu où la victime réside.

Par ailleurs, il est important de préciser que les départements gèrent la problématique des violences conjugales à leur manière. Ils accordent des enveloppes plus ou moins importantes à leurs associations, ce qui creuse encore davantage le fossé des inégalités.

Voyons ensemble quels sont ces dispositifs proposés en France.

logo-3919_0 le numéro d'urgence contre les violences familiales

Le 3919, numéro officiel des violences conjugales

Le 3919 est un numéro d’écoute. La victime est renvoyée vers une association du département. Les professionnels peuvent être des bénévoles ou des salariés, formés à la prise en charge de ces situations. Ils font preuve d’écoute, de bienveillance, et sont de bons conseils. Les répondantes de la plateforme téléphonique les orientent vers tout numéro et point d’accueil utiles. Cette organisation s’appuie, pour ce faire, sur de nombreux partenariats associatifs.

CIDFF visuel page d'accueil centre d'information pour les femmes et les familles venant e aide aux femmes victimes de violences conjugales. Illustre l'artilleur ce sujet dans le magazine Rebellissime

Le CIDFF, le Centre d’Informations sur les Droits des Femmes et des Familles

Chaque département a un CIDFF. Ces professionnels disposent de toutes les informations nécessaires et activent les dispositifs en vigueur dans votre département. Ils savent de quelle association de soutien aux victimes de violences conjugales vous dépendez et les endroits où vous pouvez vous réfugier.

Pour autant, nous attirons votre attention sur le fait que récemment, le CIDF est devenu CIDFF, ce qui englobe le mot « Famille ». N’oublions pas que les enfants sont souvent de co-victimes. Un statut reconnu et protégé depuis le décret du 23 novembre 2021 et son article D. 1-11-1 prévoyant au sein du code de procédure pénale, qu’en cas de violences conjugales commises en présence d’un mineur, le procureur de la République doit relever la circonstance aggravante et s’il ne le fait pas, la juridiction de jugement peut requalifier en ce sens. Il prévoit également que le mineur doit pouvoir se constituer partie civile. Mais le second « F » de CIDFF, pour famille, sous-entend également que le dispositif n’est pas réservé aux femmes et que Monsieur peut également s’y rendre. La probabilité est faible, mais le risque existe.

Pour trouver le CIDFF dont vous dépendez, tapez « CIDFF + code postal du département dont vous dépendez » sur Google. Cela donne par exemple « CIDFF 45 » ou « CIDFF 94 ».

 Illustre le paragraphe sur les dispositifs de mise à l'abri dans l'article sur les violences conjugales dans le magazine Rebellissime

Les ordonnances de protection

L’ordonnance de protection est un document délivré par le juge aux affaires familiales. Il interdit à l’auteur des violences de rentrer en contact avec sa victime et leurs éventuels enfants.

Les modalités d’obtention

Il est recommandé de demander les services d’un avocat spécialisé dans le droit des familles. Les associations de votre département peuvent vous proposer les noms des juristes et des avocats avec lesquels ils collaborent.

L’aide juridictionnelle permet de ne pas payer les frais de justice et les honoraires si vos revenus sont trop faibles. Il suffit de remplir un formulaire (transmis par l’avocat ou téléchargeable sur internet) et de fournir quelques pièces justificatives.

À noter : les personnes en situation irrégulières (sans papiers) peuvent parfaitement demander l’aide juridictionnelle et obtenir une ordonnance de protection.

Si vous ne remplissez pas les critères de l’aide juridictionnelle, il faut compter entre 1 500€ et 2 000€ de frais de justice et d’honoraires. Attention, prévient Mme Roselyne Rollier, présidente de la Maison des Femmes Thérèse Clerc, à Montreuil : « Ce n’est pas parce que la victime paie qu’elle sera mieux défendue ». Il est important de trouver un avocat spécialisé dans cette thématique. Les associations vous en recommanderont un.

L’intérêt d’une ordonnance de protection

Concrètement, l’ordonnance de protection permet aux victimes d’appeler la police dès qu’elles reçoivent un SMS ou qu’elles se font agresser verbalement par leur ancien conjoint. Sans ce document, elles devraient attendre de se faire agresser à nouveau, déposer plainte, puis que le dossier soit étudié par le procureur, qui décide ou non de le transmettre au juge d’instruction. Le document accélère les procédures et permet de délivrer plus rapidement les dispositifs qui suivent. La personne qui enfreint une telle mesure s’expose à 2 ans de prison et 15 000€ d’amende. Les autorités sont assez réactives dans ce cas précis.

Précisons que 75% des demandes sont aujourd’hui suivies d’effet. Cela veut dire que dans plus de 7 cas sur 10, le juge accepte l’ordonnance de protection.

Les dispositifs de mise à l’abri

Encore une fois, les inégalités sont criantes en fonction des situations et du lieu où réside la victime. Le dispositif de mise à l’abri consiste à extraire la victime (et ses enfants, parfois même son animal de compagnie) du domicile. Ils sont alors emmenés dans un foyer ou un hôtel, dans lequel ils seront en sécurité.

Où oriente-t-on les victimes ?

Il arrive qu’il n’y ait pas de places. Les organismes se tournent alors vers le 115, plateforme de prise en charge des SDF. Les femmes battues se retrouvent donc parfois dans un foyer d’hébergement d’urgence ou des foyers de femmes victimes. Parfois, elles ont de la chance et l’association loue pour elles un appartement, mais ce n’est pas du tout la norme.

Cela soulève d’autres problématiques, comme le soulignent ces témoignages.

Les limites de ce dispositif

« L’association m’a envoyée dans un foyer d’hébergement d’urgence. Je partageais ma chambre avec trois filles. Je suis arrivée avec mon ordinateur de travail. L’une d’entre elles à sorti un couteau pour me le voler. Elle disait avoir arrêté un traitement psychiatrique. Elle était très agitée. On avait toutes peur. J’ai quitté le foyer le lendemain. J’ai été virée du dispositif. Ils m’ont dit de me débrouiller. Dilemme : étais-ce mieux de me faire planter chez moi ou dans ce foyer ? J’ai préféré partir et me débrouiller seule ! ».

Samia, 35 ans

« La mise à l’abri est une expérience très compliquée. On a peur, tout le temps. Quand j’y étais, une femme était complètement en stress. Elle a bu de l’alcool. Beaucoup trop. Elle s’est endormie et a laissé ses trois enfants sans surveillance. Le grand de 3 ans a noyé les deux bébés, des jumeaux. Il voulait leur donner un bain. Je pense que cette femme ne s’en remettra jamais. Sa vie est gâchée. ».

Séverine, 22 ans

Il est aussi possible de voir son déménagement financé par les différents organismes. Il faut pour cela être dans une grande précarité financière ET dans une situation d’extrême urgence.

Illustre le paragraphe sur les dispositif de mise à l'abri dans l'article sur les violences conjugales dans le magazine Rebellissime

Les bracelets anti-rapprochement (BAR)

Les bracelets anti-rapprochement ont été inaugurés en 2021. Ils sont la plus contraignante des mesures prises pour protéger les victimes. En fait, l’auteur porte un bracelet, imposé par le juge aux affaires familiales ou le juge du tribunal judiciaire. S’il se rapproche de sa victime, celle-ci est automatiquement alertée de sa présence.

Comment obtenir le BAR ?

Pour l’obtenir, il faut déposer plainte à la gendarmerie ou au commissariat. À la fin de chaque dépôt de plainte pour des faits de violence conjugale, la question est posée « Souhaitez-vous un bracelet anti-rapprochement ? ». C’est le juge qui décide ensuite s’il est pertinent ou non de vous l’attribuer.

Où déposer plainte ?

Précisons qu’un dispositif plutôt astucieux voit le jour dans certaines villes du 94. Les femmes battues peuvent se rendre dans les supermarchés, qui s’équipent progressivement de locaux dédiés aux dépôts de plainte. Cet endroit est plus neutre qu’une association ou un centre de soins et permet à la police d’auditionner de manière sécurisée. Les PMI, les cabinets médicaux et les hôpitaux procèdent aussi de la sorte et font déplacer la police.

Le téléphone de grave danger, dit TGD

Le téléphone grave danger est attribué à la suite d’une plainte, par le procureur de la République ou par les associations de lutte contre la violence conjugale. Seules les femmes séparées de leur conjoint peuvent en bénéficier. Le téléphone est géolocalisable, et permet d’alerter plus rapidement les forces de police en cas d’agression.

Comme pour le BAR, il est attribué temporairement. La situation fait l’objet d’une réévaluation régulière, car le nombre de téléphones attribués est limité. Encore une fois, les inégalités entre les départements sont criantes. Certains n’ont que quelques appareils, tandis que d’autres en ont des dizaines.

Une ordonnance de protection facilite l’obtention du TGD, mais il est possible d’en avoir un sans ordonnance de protection.

Ce à quoi il faut penser dans un contexte de violences conjugales

Ce sujet mériterait un livre à lui seul. Pour autant, nous avons tenté d’être le plus concis et le plus bref possible afin de vous donner toutes les clés pour vous en sortir.

 Illustre le paragraphe sur les enfants dans l'article sur les violences conjugales dans le magazine Rebellissime

Mettre les enfants à l’abri

La première des choses à faire est de mettre à l’abri les enfants et les animaux, en bref, tous les êtres vulnérables. Les cas d’homicide familiaux ont souvent lieu lors des départs définitifs. Par conséquent, il convient d’être particulièrement vigilant.

Prévoir une protection légale

Mettre les enfants à l’abri, c’est tout d’abord entamer des démarches auprès du Juge aux Affaires Familiales pour règlementer les droits de garde, voire faire supprimer les droits de visites du parent maltraitant. S’il y a danger pour l’enfant, la situation passera dans les mains d’un juge pour enfants.

Préserver la santé mentale des enfants

Il faut aussi les mettre à l’abri moralement. Cela signifie qu’il faut faire en sorte qu’ils ne soient pas exposés à la rancœur de l’un ou de l’autre. Veillez à ce qu’ils ne soient pas pris à parti, car rien n’est pire pour un enfant que de devoir choisir entre papa et maman.

Les sorties d’école sont des moments particulièrement sensibles car les conjoints savent où et quand vous y êtes. Certaines écoles acceptent provisoirement de décaler les horaires de l’enfant, mais il n’est pas possible de vivre ainsi sur le long terme.

Éviter les aller-retour

Enfin, il est préférable de prendre la décision de fuir une bonne fois pour toutes, que de rentrer régulièrement au domicile et déstabiliser l’équilibre des enfants. Les violences s’aggravent bien souvent dans ce contexte, ce qui accroît les troubles des plus jeunes. Des associations, nous l’avons vu, peuvent vous aider à le faire bien, en prenant un minimum de risques pour vous ou votre famille.

« Les conséquences des violences conjugales sur les enfants sont dramatiques. On fabrique les agresseurs de demain. Ils copient ensuite les gestes des auteurs. Parfois, ils deviennent comme fous de peur. Les enfants adoptent des comportements qui dérangent, qui font de la peine. Comme cette gamine de 6 ans qui se met devant son petit frère de 2 ans pour le protéger de la violence de son père sur sa mère. Et en grandissant, ils ne connaissent que ce modèle et donc, ils reproduisent. Une chose est sûre, si leur conscience fait un blocage, leur inconscient, lui, n’oublie jamais.»

Maté, 62 ans

Les démarches administratives pour se protéger des violences conjugales

Il est important d’être vigilant et de ne pas se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de la justice.

Les points légaux à connaître

Nous attirons votre attention sur trois points légaux, à ne pas négliger dans ce contexte.

La non-présentation d’enfant

Par exemple, si le père a des droits de visite et maltraite la mère, cette dernière n’a pas le droit de faire cesser les visites. Elle doit d’abord porter plainte et faire constater rapidement les blessures. C’est seulement munie de cette plainte et de l’expertise médico-légale qu’elle pourra solliciter à nouveau le juge et demander une nouvelle évaluation des droits. Ne pas agir ainsi, c’est s’exposer à un délit : la soustraction de mineur à l’autorité parentale.

Gare à l’abandon de domicile

De même, si vous quittez le domicile conjugal sans déposer plainte et que vous êtes mariés, alors votre époux peut vous accuser d’abandon de domicile et vous pousser à la faute, constat d’huissier à l’appui. Pour contrer cela, il est préférable d’aller porter plainte directement, ce qui vous donne notamment le droit d’évincer le conjoint violent et de rester au domicile.

Différencier violences conjugales et maltraitance infantile

Enfin, pendant longtemps, la violence conjugale était légalement très différente de la maltraitance à enfants. Cela donne lieu à des situations aberrantes comme ce père qui a commis un féminicide et a toujours l’autorité parentale sur ses enfants… Il décide donc, depuis sa prison, s’il va ou non autoriser ses enfants à voir un psychologue ou à quitter le territoire.

Démarches administratives liées aux violences conjugales : concrètement

En cas de grave danger, il est préférable de déménager, changer de numéro de téléphone et surtout, être vigilant avec les réseaux sociaux.

  • La CAF doit être informée de votre situation d’urgence car votre conjoint peut s’en servir pour vous retrouver. Ordonnez-leur de ne divulguer en aucun cas votre adresse à un tiers et joignez la copie de l’ordonnance de protection. Une erreur reste toujours possible.
  • Il en va de même pour tout ce qui a trait à la sécurité sociale. L’assurance maladie de vos enfants est-elle à votre nom ou à celui de votre mari ?
  • Veillez à ce que vous enfants adolescents n’entrent pas en contact avec leur père, qui pourrait les manipuler et obtenir votre nouvelle adresse.

Il est possible de se domicilier dans un CCAS ou dans une association de lutte contre les violences faites aux femmes. Vous y recevrez votre courrier. Les convocations judiciaires sont aussi susceptibles de vous trahir… En effet, il y a les coordonnés du demandeur (vous) et du défendeur (votre conjoint). Si vous avez changé d’adresse, il la retrouvera par ce biais. À moins que vous ne demandiez à votre avocate d’inscrire l’adresse de son cabinet pour toutes les démarches de ce type.

illustre le paragraphe sur Comment Brouiller les pistes dans l'article sur les violences conjugales dans le magazine Rebellissime

Brouiller les pistes : nos astuces

Prenez garde lors des dépôts de plainte. Votre adresse vous est demandée et l’auteur des violences peut y avoir accès, grâce à son avocat. Pour pallier cette difficulté, il est possible de demander au commissariat où vous déposez plainte d’inscrire leur propre adresse à la place de votre lieu de résidence. Ils inscrivent l’adresse du commissariat, ce qui évite de vous exposer à un risque supplémentaire.

L’école des enfants attend un jugement aux affaires familiales ou une ordonnance de protection. En l’absence de tels documents, elle est tenue de présenter l’enfant à son parent, si celui-ci détient l’autorité parentale. Seules une déchéance ou une suspension peuvent aller contre cela. Encore une fois, c’est le juge aux affaires familiales qui décide, toujours dans l’intérêt de l’enfant.

Nous terminerons cette partie avec un conseil à appliquer en amont. Pensez à créer un compte bancaire personnel et à épargner un peu d’argent avant de partir, si c’est possible. Il vous sera plus facile de démarrer cette nouvelle vie et d’obtenir un appartement.

Conclusion : pour mieux connaître les dispositifs légaux

Nous conclurons en vous conseillant de vous rendre sur le site officiel du Centre Hubertine Auclert. Cette journaliste a consacré sa vie à lutter pour l’égalité des femmes et contre les violences dont elles sont victimes. Vous y trouverez toutes les informations pertinentes si vous êtes victime et habitez en Île-de-France. N’hésitez pas à prendre contact avec eux si vous avez des questions.

Vous pouvez aussi vous rapprocher de l’association SOS Victimes.

Ne ratez pas notre prochain article du dossier « Tout savoir pour sortir de la violence conjugale ». Il traitera de la problématique des ordonnances de protection. À la semaine prochaine !

Merci à Mme Roselyne Rollier, présidente de la Maison des Femmes Thérèse Clerc, à Montreuil pour ses réponses et ses informations.