Dr Françoise FERICELLI, médecin pédopsychiatre, expert judiciaire honoraire, co-fondatrice du collectif Médecins Stop Violences répond à nos questions sur les dysfonctionnements remarqués tout au long de notre enquête.
Elle aussi observe des décisions judiciaires que personne ne comprend. Nous terminons ainsi ce dossier consacré au Syndrome d’Aliénation Parentale et aux dérives qu’il entraîne.
Interview de docteur Françoise Fericelli : son avis sur l’article 19 de la CIDE
« Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation. »
Convention Internationale des Droits des Enfants, article 19, alinéa 1
Cela comprend, nous semble-t-il, les violences sexuelles commises pendant que le mineur est sous la garde de ses parents… ou de toute autre personne à qui il est confié.
Que pensez-vous de ce texte de loi ratifié par 196 états ?
« L’article 19 de la CIDE est à mon sens un bon article, qui explicite les devoirs de l’état dans le domaine de la protection de l’enfance. ll définit également les différents types de maltraitances faites aux enfants: violences physiques, psychologiques et violences sexuelles, abandon ou négligences.
Vous retrouverez d’ailleurs sur le site du gouvernement, la définition précise des maltraitances.
Donc les définitions sont là, les mots sont mis, à la fois sur la nature des maltraitances et sur la nécessaire intervention de l’état lorsque l’enfant est maltraité….. Mais…
La réalité de terrain est bien différente. »
Qui êtes-vous docteur Fericelli ? Racontez-nous votre parcours et les évolutions constatées s’il vous plaît
« J’exerce la pédopsychiatrie depuis 32 ans maintenant, j’ai exercé dans tous types de structures (hôpital public, cabinet libéral, médico-social associatif…) et j’ai toujours constaté une grande difficulté de terrain à faire protéger les enfants maltraités.
Les 15 premières années de mon exercice, j’ai plutôt assisté à des situations d’enfants maltraités, parfois gravement, qui n’étaient pas placés, pas aidés. Ils étaient laissés dans des familles totalement dysfonctionnelles. Ces dernières ne répondaient pas à leur besoin essentiel de sécurité. (Le besoin de sécurité est décrit par les chercheurs comme un Méta besoin de l’enfant c’est-à-dire un besoin supérieur à tous les autres).
Depuis 10-15 ans, les choses se sont aggravées : l’affaire d’Outreau a laissé se répandre dans tous les milieux (services sociaux, magistrats, médecins, psychologues…) l’idée que les enfants mentent ou fantasment des violences sexuelles, ou bien encore sont manipulés.
Nous assistons aussi à une véritable inversion de la notion de maltraitance dans bien des cas. Cela aboutit à ce que des enfants révélant des violences notamment sexuelles et soutenus par un parent (le plus souvent la mère) soient placés à distance de ce parent ou même confiés à la garde du parent qu’ils ont désigné comme maltraitant. Dans l’immense majorité des cas ces décisions se font au nom du SAP (Syndrome d’aliénation parentale) ou de termes apparentés.
En octobre 2021, le premier rapport de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences sexuelles faites aux Enfants) a dénoncé ces situations via le recueil de nombreux témoignages. »
On résume les points-clés du rapport de la CIIVISE de 2021
« Vous n’êtes plus seul-es, on vous croit »
Emmanuel Macron
- 7 672 dossiers de maltraitance ont été analysés par Trocmé et Bala en 2005 (page 6 du rapport). Seules 2% des situations mettaient en évidence des accusations intentionnellement mensongères (soit 12 cas sur 7 672).
- Il y a chaque année 22 000 victimes mineures de crimes ou d’agressions à caractère sexuel… mais moins de 2 000 condamnations (en 2020). Dans plus de 90% des cas, l’agresseur reste impuni et n’est même pas inquiété.
- Nous sommes toutefois en progrès… 2018 enregistre moins de 760 condamnations…
- Le document préconise notamment le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour inceste, et de suspendre les hébergements lorsqu’il y a des soupç À l’évidence, ce n’est pas fait.
Docteur Françoise Fericelli, nous constatons de nombreux placements pour cause d’aliénation parentale. Est-ce exact ?
« Oui j’ai ce type de situations dans ma patientèle malheureusement, et ce n’était pas le cas il y a une quinzaine d’années. Ce sont des situations que je connais de l’intérieur et depuis plusieurs années, je peux donc affirmer que c’est vrai.
D’autres collègues pédopsychiatres font le même constat que moi.
De plus, de nombreuses mères sont venues vers moi depuis que je prends la parole dans les médias pour parler de protection des enfants et de violences intra familiales.
Enfin la CIIVISE a relevé cette problématique dans son premier rapport intitulé Les mères en lutte (octobre 2021). » (en lien ci-dessus NDLR)
Le SAP rencontre de nombreux détracteurs, en raison du fait qu’il n’est pas répertorié dans les maladies et troubles mentaux (voire DSM4). Quelle est votre position en tant que médecin ?
« En tant que médecin je ne peux que constater le fait que le syndrome d’aliénation parentale n’existe ni dans la classification internationale des maladies (CIM10) ni dans la classification des troubles mentaux (DSM5).
Je ne peux également que constater qu’aucune étude sérieuse n’a validé l’existence de ce syndrome. C’est d’ailleurs la cause première de sa non-figuration dans les classifications médicales internationales.
Utiliser cette notion pour un médecin psychiatre ou pour un psychologue revient donc à ne pas tenir compte de l’état des connaissances actuelles dans sa spécialité.
Malheureusement, la non-figuration dans les classifications n’est pas suffisante à faire disparaître l’utilisation abusive du terme « aliénation parentale ». Ainsi le vocabulaire désormais utilisé dans certains rapports sociaux et par certains magistrats s’est légèrement décalé. Au lieu du terme syndrome on trouve désormais des expressions apparentées, utilisées seules ou en association.
- Une mère trop fusionnelle et/ou trop protectrice voire aliénante
- Un rejet du père,
- Un désir de vengeance à l’égard du père,
On retrouve également utilisé par certains avocats le terme de syndrome de Münchhausen.
Ce dernier permet de reprocher à la mère tous les soins qu’elle entreprend pour son enfant, même les plus nécessaires. »
La mère risque ainsi se retrouver piégée dans une interprétation systématique et rigide de toutes ses actions vis à vis de l’enfant, sans aucune considération du contexte, de l’âge de l’enfant, et des besoins de celui-ci.
Docteur Françoise Fericelli, quelles sont les conséquences d’une utilisation abusive de ce pseudo Syndrome d’Aliénation Parentale ?
« Le drame de l’utilisation du SAP ou des termes apparentés est que cela créée des ravages dans les situations de violences intrafamiliales.
Pour quelles raisons ? Parce que les différents intervenants ne sont pas formés à la reconnaissance de telles situations de violences, les représentations restent le plus souvent archaïques. En clair, les violences, ce seraient des femmes battues, couvertes de bleus, des enfants dans le même état. Mais ce n’est le plus souvent pas le cas, même si cela existe aussi. »
Bien comprendre ce qu’est le contrôle coercitif : définition du Docteur Françoise Fericelli
« Il existe une notion, celle de contrôle coercitif, qui explique bien que les violences sont de plusieurs registres, souvent associés. Il s’agit de violences économiques (invisibles), des violences verbales et des attitudes de menace et d’intimidation, des violences psychologiques, des violences sexuelles. Toutes ces violences ne sont pas visibles simplement. Elles s’installent progressivement, insidieusement : la victime elle-même doit parcourir un long chemin pour les reconnaitre et les nommer.
Et dans ces situations, lorsque la victime décide une séparation, l’auteur des violences se retrouve en risque de perdre son contrôle sur son conjoint, ce qui lui est le plus souvent insupportable. »
1 minute pour comprendre la violence vicariante
« Il va alors chercher comment garder du pouvoir et il va trouver un moyen évident: les enfants. On appelle violence vicariante la violence qui continue à s’exercer au-delà de la séparation sur la victime par l’intermédiaire de maltraitances faites aux enfants communs.
Et dans ce registre, le SAP (et tous les termes apparentés), la notion de coparentalité, de droit des parents, l’idée d’une nécessité absolue pour se construite de connaître ses deux parents, vont être une aubaine pour le parent violent.
Il va se victimiser, se plaindre de n’avoir pas accès à ses enfants. En outre, il va demander la résidence alternée et désigner la mère comme « aliénante », ne supportant pas la relation qu’il a avec son enfant. Ceci, même et surtout s’il ne s’est jamais vraiment impliqué. »
Le docteur Fericelli explique les différentes formes de violences.
On nous a parlé de mouvements pro-SAP et de mouvements anti-SAP. Qu’en est-il ?
« Certaines associations de pères sont spécialistes de l’utilisation du SAP en justice, avec des avocats référents et des médecins et psychologues acquis à leur cause. (voir Les papas en danger ?, un ouvrage du sociologue LEPORT qui a infiltré ces milieux).
Il est plus facile d’imaginer qu’un parent manipule son enfant que de penser qu’un parent violente physiquement et sexuellement son enfant. L’utilisation du SAP (et termes apparentés) a ce gros « avantage» : il contribue à invisibiliser les violences faites aux enfants par un mécanisme de renversement de type pervers. »
Attention, docteur Françoise Fericelli ne nie pas l’existence possible d’une instrumentalisation des enfants par l’un des parents
« Il ne s’agit pas de dire que les situations d’instrumentalisation d’un enfant par un parent dans une séparation conflictuelle n’existent pas. Mais nous avons tous les termes en psychiatrie et en psychopathologie pour les décrire et les définir. Il n’y a pas besoin du terme SAP si dangereux dans les situations de violences intrafamiliales. Lorsque ces manipulations sont intenses et toxiques pour l’enfant, cela correspond souvent à un trouble psychiatrique ou une psychopathologie parentale. Et encore une fois, on dispose de tous les termes pour diagnostiquer cela. »
Cela conduit à certaines situations, comme le placement d’enfants chez leurs agresseurs. Avez-vous un cas à citer en exemple?
« Un cas de ma patientèle : une enfant de 8 ans, le divorce des parents est prononcé depuis plus d’un an, à l’amiable, avec hébergement principal chez la mère et droit de visites et d’hébergement classique un week-end sur deux et moitié vacances scolaires pour le père, ceci d’un commun accord. »
Docteur Françoise Fericelli met en avant des faits précis et objectifs
« La petite revient d’un week-end chez le papa et décrit à sa mère des violences physiques, sexuelles et des négligences. Parallèlement elle a commencé à développer des angoisses, cauchemars, tremblements, douleurs abdominales etc.
La mère croit sa fille, dépose plainte et sollicite la CRIP. L’enfant est entendue en audition Mélanie et confirme tous ses dires. La mère est perçue comme angoissée (mais ne le serait-on pas dans un cas pareil?). On la décrit comme voulant influencer sa fille, au prétexte qu’elle aurait absolument voulu que l’enfant soit auditionnée avec son doudou et deux autres petites peluches.
L’affaire est classée sans suite. La Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes, la CRIP effectue une enquête sociale partiale à l’issue de laquelle est conclu l’existence d’un conflit parental qui fait souffrir l’enfant. Ce rapport social entraîne une saisine du juge des enfants. »
La réaction des professionnels face à la détresse de cette enfant
« Deux signalements de 2 pédopsychiatres différents (dont moi) parviennent de nouveau au Procureur. Ils relatent de manière détaillée ce que l’enfant explique et pourquoi sa parole est à prendre en compte sur le plan médical. Cela entraîne un nouvel entretien Mélanie. L’enfant redit ce qu’elle a toujours dit. De nouveau, on observe un classement sans suite.
La juge des enfants décide une Aide Éducative en Milieu Ouvert avec Hébergement (AEMO-H). L’organisme privé à qui est confié cette mesure intervient dans la semaine qui suit ! (Jamais vu ça, d’habitude on attend des mois !) Entre temps le père a déménagé à 500 km.
Finalement, suite à deux expertises psychologiques très partiales et ne respectant pas les règles de base des expertises, évoquant une mère manipulatrice et trop fusionnelle avec sa fille…. L’enfant est confiée à la garde du père par le juge aux affaires familiales (JAF) et ceci moins d’un an après le premier dépôt de plainte de la mère.
La petite est arrachée à son école, ses grands-parents, sa mère, au mépris total de tout ce qu’elle a expliqué en gendarmerie, à toutes les assistantes sociales et éducatrices rencontrées, aux médecins, aux psychologues.
La mère a fait appel de la décision du JAF de transfert de garde chez le père, elle a perdu en appel ! »
Et pourtant, je peux en attester pour l’avoir constaté à plusieurs reprises en consultation, la mère n’a aucun trouble psychiatrique. L’interaction entre la mère et l’enfant est classique pour l’âge, rien de « fusionnel », inquiétude de la maman certes… Mais qui ne le serait pas ?»
Personne n’a cru cette enfant qui a parlé à plusieurs dizaines d’intervenants, la juge des enfants lui aurait même dit qu’elle mentait pour faire plaisir à sa maman.
Docteur Françoise Fericelli, avez-vous un autre élément à mettre en évidence, sur le SAP ou autre ?
« Le SAP est une notion apparue aux États-Unis dans les années 80 par un psychiatre nommé Gardner. Ce dernier faisait ouvertement l’apologie des relations sexuelles entre adultes et enfants. Jamais d’études sur le sujet, jamais validé aux USA.
Le Conseil national des juges aux tribunaux de la famille aux Etats-Unis a même dénoncé le SAP comme « science de pacotille. »
Cela n’a pas empêché les disciples du SAP d’apparaître et de diffuser cela en Europe.
On retrouve le syndrome d’aliénation parentale en France : la notion a été reprise par le psychiatre d’adultes Paul Bensussan, expert près la Cour de cassation. Bensussan a assuré sa notoriété par son intervention à Outreau, amené par les avocats de la défense des adultes. Sans avoir jamais vu les enfants, il a affirmé qu’étant des enfants carencés, ils étaient influençables et susceptibles de raconter n’importe quoi. Cette opinion allait à l’encontre des très nombreux experts successifs qui avaient, eux, rencontré les enfants…
Bensussan a fait ensuite de nombreuses expertises mandatées par des juges aux affaires familiales. Il conclut invariablement au SAP. Suite à ces expertises, nombre de gardes ont été transférées au parent dénoncé par l’enfant. »
Très récemment plusieurs associations de protection de l’enfance ont porté plainte contre lui…
Il y a aussi de nombreuses mises en garde contre l’utilisation de ce SAP dont celle du conseil de l’Europe… (cf Rapport multi-annuel GREVIO, qui concerne l’année 2021). »
La rédaction de Rebellissime le Mag’ remercie le Docteur Françoise Fericelli pour ses réponses et son engagement. Partagez, commentez, la rédaction Rebellissime reste disponible !