Les familles d’accueil sont sous les feux des projecteurs depuis l’émission de M6. Nous avons voulu donner à la parole à ces professionnels que l’on n’entend jamais. Leurs témoignages sont anonymes : ils craignent de perdre leur emploi si leurs noms étaient divulgués. Appelons-les Rédouane, Sarah et Rose-Marie. 

Vous regardez les actualités et le journal télévisé avec horreur. Les maltraitances qui dérapent, entraînant même parfois la mort de l’enfant. Et la même question revient : comment n’a-t-on rien vu ? Parfois, les proches et l’État réagissent à temps. Ils demandent le placement des enfants en famille d’accueil ou en foyer. 

Une thématique très délicate à traiter,  à laquelle nos confrères d’M6, dans un le Complément d’Enquête du 16 octobre réagissaient comme des lanceurs d’alerte. Alerter l’opinion publique et le gouvernement sur la gravité de la situation et de l’urgence à réagir pour les enfants et les accueillants.  Ces professionnels sont soumis à un devoir de réserve et de confidentialité. Ils décrivent pourtant leurs conditions de travail comme « difficiles ». Selon le quotidien 20 minutes, il y a 40 000 familles d’accueil en France… Pour gérer plus de 80 000 enfants placés par l’Aide Sociale à l’Enfance (A.S.E.). Un manque chronique de candidats commence à se faire ressentir dans notre pays. 

  • Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de professionnels ?
  • Quels sont les aléas du métier ?
  • Quel est le quotidien de ces hommes et ces femmes de l’ombre, à qui personne ne laisse jamais la parole ?
  • Quels sont les sentiments qui accompagnent le métier de famille d’accueil ?
  • Face à quelles contradictions le système met-il ses assistants familiaux ?
  • Comment fait-on son travail au mieux quand il empiète complètement sur sa vie personnelle ?

Autant de questions que vous vous posez auxquelles nous tenterons de répondre, en tout cas nous poursuivons le débat… 

Le quotidien d’une famille d’accueil française

Être famille d’accueil commence souvent par un coup de téléphone. Celui de vos chefs, les cadres de l’aide sociale à l’enfance, plus communément appelée ASE. Ils ont un enfant à placer. Il sort parfois de sa famille d’origine, parfois l’accueil dans son foyer précédent n’est plus possible et ne garantit plus son bien-être... C'est l'inconnu !
Rédouane
Famille d'accueil depuis 4 ans

Présentation très brève de la situation

Votre supérieur décrit l’enfant succinctement : âge, goûts... Il vous annonce quelques problèmes à surveiller : il mange peu, il a des appels médiatisés avec la maman... Mais finalement, il ne donne pas d’informations cruciales.
Rose-Marie
Famille d'accueil depuis 19 ans

La famille d’accueil doit donc accueillir sans préjugés, et ce, malgré le fait qu’avant d’être professionnelle, elle est humaine. Elle reçoit dans sa maison un enfant dont elle ne sait pas grand -chose. Elle doit le laisser seul pendant qu’il prend sa douche, laver son linge et en prendre soin comme s’il était son propre enfant, tout en gardant une certaine distance. 

Juste après ce coup de téléphone, l’assistant familial prépare la chambre, réunit quelques jouets, se demande si l’enfant aura des vêtements. Parfois, il arrive avec rien, hormis des guenilles, parfois il a tout. Il n’y a pas de règle. Et il prépare un truc cool pour le goûter.

Accueillir un enfant : sautez dans le vide avec toute votre famille !

Mettez-vous à la place du professionnel…. Vous êtes dans votre maison, avec mari et enfants, et recevez un enfant qui présente de graves troubles du comportement. Il vole des sommes élevées d’argent dans votre portefeuille, fréquente la même école que vos enfants, perturbe la classe, casse tout chez vous…. 

Il a parfois des séquelles de maltraitances passées et quasiment toujours, des troubles du comportement. Ce n’est pas tout. Certains enfants souffrent d’encoprésie, qui est l’incapacité à retenir ses selles
Cathy Glass
Assistante familiale, auteure du livre "Violentée"

Mais les poux, bien que signe de négligence, ne sont pas un motif de suspension des droits de visite. Donc vous subissez, jour après jour…

Comment s'instaure le relationnel avec l'enfant ?

Certains enfants sont en quête de câlins, d’affection. D’autres font très bien la différence entre famille d’accueil et famille. Ils ne demandent donc aucun contact physique. La famille d’accueil doit s’adapter. Mais, problème, votre mission est justement de ne pas trop vous impliquer, de ne pas vous attacher. Il faut donc trouver un équilibre juste, facile à édicter sur papier, moins facile à appliquer dans la vie quotidienne.

Comme malgré tout, il demande des câlins, vous lui en faîtes. Et vous choppez ses poux. Vous avez certes traité l’enfant contre ces parasites. Mais ce dernier rentre dans sa famille d’origine toutes les semaines, comme accordé par le juge, et en attrape de nouveau. Un cercle sans fin. Votre fille vous demande un câlin. Elle les attrape à son tour. Traitement, traitement, traitement. Arrive le vendredi. L’enfant repart chez sa mère. Rebelotte.
Rédouane
Famille d'accueil depuis 4 ans

Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis

Difficile de rester de marbre lorsqu’une adolescente de 12 ans vous confie avoir été battue comme plâtre par sa mère, et violée par un autre gamin dans son foyer d’urgence. Difficile de ne pas la prendre dans les bras et la réconforter si elle le souhaite. Pourtant, vous êtes à deux doigts d’outrepasser votre fonction de famille d’accueil. Vous en êtes conscient, alors, vous faites avec votre cœur d’humain et de maman, au risque de déplaire à votre hiérarchie. Et vous prenez l’adolescente dans vos bras.
Sarah
Famille d'accueil depuis 10 ans

Certains enfants chercheront systématiquement à nuire à autrui. D’autres seront très heureux de trouver un foyer accueillant et aimant. Ici aussi, il n’y a pas de règle…

Un accueil au quotidien

Le quotidien d’une famille d’accueil, ce sont aussi les trajets. Il faut emmener l’enfant aux audiences, aux rendez-vous chez le psy, aux visites et hébergements chez les parents, chez les spécialistes. Être présent aux rendez-vous des éducateurs. Et idéalement, faire des sorties pédagogiques avec le petit, s’il reste du temps bien sûr.

Iriez-vous voir vos amis en compagnie d’un enfant qui hurle le mot « salope » à chaque fin de phrase ? Iriez-vous au goûter d’anniversaire du copain de votre fils avec un enfant de 9 ans qui souvent, s’oublie et répand ensuite ses matières fécales le long des murs ? Certainement pas.
Sarah
Famille d'accueil depuis 10 ans

La vie privée en prend un sacré coup ! Certains couples d’assistants familiaux divorcent. C’est ce que raconte Casey Watson, assistante familiale et auteure de Maman doit t’abandonner et Nous étions ses petits prisonniers. Elle n’est pas la seule dans ce cas. Dans la plupart des situations, on remarque que le conjoint n’était pas lui aussi assistant familial. De ce fait, il subissait directement les conséquences de l’accueil, sans les avoir demandées. Il les a parfois acceptées, mais n’a jamais été demandeur d’un tel quotidien. Bien souvent, cela cause la rupture.

Et les enfants dans tout cela ?

Les relations avec les enfants de la famille d’accueil deviennent parfois compliquées. Ils ne comprennent pas que ces mômes, qui ne sont « même pas de la famille » prennent une telle place et deviennent des éléments centraux de leur vie quotidienne. Des rancœurs apparaissent parfois. Des reproches aussi. Mais surtout, il se créée des liens incroyables, de véritables leçons de vie enseignées par les enfants eux-mêmes.

Rebel Que dit la loi ? path-4610699_1280

Que dit la loi ?

Un petit rappel de la loi actuelle : une loi qui tend à évoluer en début d’année 2023.

Une profession plus difficile d'accès

Aujourd’hui, on devient assistant familial très facilement. Avec la nouvelle loi, Il faudra suivre une formation de 240 heures. À cela s’ajouteront 60 heures de préformations. Les tests qui suivent vérifient que le logement est conforme à l’accueil d’enfants. C’est pour ainsi dire tout.

À compter de novembre 2022, les assistants familiaux et leurs familles devront montrer pattes blanches. Celles et ceux qui ont dans leur foyer, une personne de plus de 13 ans condamnée par la justice ne pourront plus accueillir de mineurs. C’est ce qu’annonçait la secrétaire chargée de l’enfance, Charlotte Caubel (16 octobre 2022, TF1 Info).

Ces mesures sont-elles suffisantes pour garantir la sécurité des enfants placés ?

Zone Interdite : l'émission onde de choc

Un rapport alarmant fait par M6, dans son émission Zone Interdite, diffusée le 16 octobre 2022. Pour autant, nous gardons la foi en l’Homme et savons que, partout en France, la plupart des assistants familiaux font de leur mieux, chaque jour, pour améliorer la vie des enfants dont ils ont la charge. 

À noter : les déclarations de la secrétaire chargée de l’enfance ont été officialisées par TF1 Info à 14h30, soit quelques heures avant la diffusion de Zone Interdite qui est un programme de soirée. Aurait-elle eu vent de cette enquête qui, au bas mot, dérange toute la sphère de l’Aide Sociale à l’Enfance ?

 

 

Alexas Fotos Pixabay child-1154951_1280

Affronter la misère sociale et la détresse humaine

Etre famille d’accueil, c’est mettre le nez dans la misère sociale, les histoires lourdes, les 7 ou 15 enfants par fratrie. Tous placés… C’est vivre dans le secret. Parce que  les enfants vous confient des choses compliquées à affronter, même lorsqu’on est équilibré dans sa tête et dans son cœur. Dans ce milieu, les viols d’enfants sont légion. Certaines familles d’accueil sont témoin des pires bassesses, qu’elles tentent de colmater, de compenser leur niveau. Comme cette mère qui autorise son plus jeune fils à porter son nom de famille. L’aîné n’a pas ce privilège. Il portera le nom de son père parce qu’elle l’aime moins. Mais de tout cela, vous n’avez pas le droit de parler.

Reflet d'une société en détresse

Les placements ne sont pas seulement la conséquence de la maltraitance. Ce sont des situations de vie où il est préférable pour la stabilité des enfants qu’ils vivent dans un endroit sécurisant : violences conjugales, drogue, vie de SDF, maladie, abandon… Les motifs de placement sont aussi variés que les histoires.

Des familles éclatées

La plupart des parents aiment leurs enfants mais sont trop empêtrés dans leurs problèmes pour les assumer. Certains sont agressifs et malveillants envers la famille d’accueil. Ce n’est heureusement pas habituel. Mais ça peut arriver. Et comme tout se joue lors des premières années de l’enfant, on comprend toute l’importance et l’impact d’une famille d’accueil.

Rectifier le tir

Rectifier le tir par la suite est très compliqué, mais pas impossible ! Heureusement, il y a de très belles histoires et de bonnes surprises. Même si le quotidien est parsemé d’embûches, d’espoirs, d’instants où l’humilité est mise à rude épreuve.

Pour autant parfois, ces histoires émouvantes créent des liens très forts qui durent dans le temps. C’est pour cela, à l’unanimité, que ces professionnels font ce travail et tiennent sur le long terme, pour certains toute une carrière.

Salarier l'amour familial?

Ces familles d’accueil admettent que ces soins, les enfants ont le droit de les recevoir, c’est naturel. Pour autant, percevoir de l’argent n’est pas aussi malaisant qu’il n’y paraît. Assistant familial est un travail à part entière. À la différence d’un salarié, l’assistant familial ne rentre pas chez lui à la fin de la journée. Le travail est chez lui et empiète sur toute sa vie personnelle.

Une famille nombreuse… avec des règles, des contrôles, des frais

Les trois familles d’accueil vont dans le même sens. L’argent est une réalité. Les produits anti-poux, les médicaments homéopathiques non remboursés par la sécurité sociale, l’essence, l’alimentation ont un coût. À cela s’ajoutent les frais de la vie courante, inhérents à tout foyer. Les sorties pédagogiques sont par exemple effectuées aux frais de l’assistant familial. Le loyer, les énergies, les vêtements, l’entretien de la voiture, les assurances diverses et variées, les frais de santé, les jouets. Alors certes, une partie est remboursée par le Conseil Régional. Mais la plupart des dépenses ne le sont pas. 

Famille sous surveillance

Les aménagements du logement afin de garantir la sécurité des enfants ne sont pas non plus remboursés. Pourtant le jugement de ceux qui inspectent le cadre de vie des enfants tombe parfois avec une grande sévérité. Le moindre détail peut être source de remontrances. Mais comme les familles d’accueil tiennent à leur travail, elles font le dos rond et obtempèrent.

La plupart des familles d’accueil sont encadrées par des équipes éducatives qui veillent d’une part à leur bien-être, d’autre part au bien-être des enfants accueillis. Cependant, le jugement peut être plus ou moins sévère, tout dépend du département et des professionnels en charge du dossier. Certaines zones géographiques échappent à toute surveillance. Et cela donne lieu à des dérives. 

Exit la semaine des 35h

Être assistant familial, c’est aussi passer des nuits blanches parce que l’enfant n’arrive pas à se laisser aller et à dormir. Trop perturbé pour trouver le sommeil, il se faufile dans la cuisine pour prendre des couteaux et se scarifier, tente de fuguer ou alors profite que vous dormiez pour aller voler toute votre réserve de chocolats. Et s’il se blesse, c’est de votre responsabilité, donc vous vous levez. Comme vous êtes un professionnel, vous faites votre maximum pour rester pédagogue et calme. Ce, même s’il est 4h du mat’… et que c’est comme ça tous les jours.

Rebel liens enfants parents people-3120717_1280

Des liens indéfectibles...ou pas

Un jour, pour diverses raisons, l’enfant va mieux. Il se réveille toujours à 5h, mais il a appris à rester dans sa chambre et à lire en attendant 7h30. Puis, se sentant en sécurité, il se réveille progressivement à 6h, puis 6h30. Les années passent. Il devient un adolescent qu’on n’arrive plus à sortir du lit. Et qui, dès qu’il a une occasion, vous remercie de ce que vous faites pour lui… Tout en vous rappelant que vous n’êtes pas et ne serez jamais sa mère.

Ou alors les parents de l’enfant déménagent et il quitte votre maison. Ou sa famille présente des garanties suffisantes, alors il rentre chez lui. Ou le gamin fait tellement de bêtises que vous demandez une réorientation. Il n’y pas de règles.

Profession : humain

Un lien indéfectible naît. Partager des choses si lourdes scelle forcément  personnes. Les enfants n’oublient jamais leurs anciennes familles d’accueil. Les assistants familiaux n’oublient jamais les enfants dont ils ont eu la charge. Chaque histoire les fait grandir, leur apporte un peu plus en humanité et en connaissance de l’autre. Alors non, ces histoires ne sont pas des contes de fées.

Ce métier permet, à une toute petite échelle, de contribuer au bonheur de quelques enfants. D’occuper un rôle essentiel dans leur développement : être celui ou celle qui délivre les soins primaires, avec toute la bienveillance possible.  Quand les parents eux-mêmes, n’en sont plus capables.

Parfois, le professionnel règle des comptes avec son passé. Et après tout, peu importent ses motivations profondes. L’important est qu’il ait à cœur de faire son travail au mieux et qu’il aime sincèrement cette mission cruciale qui lui est attribuée : celle de réparer les enfants blessés.

Il semble que ça soit le cas. Merci à ces trois familles d’avoir ouvert leur cœur.

Commentez, likez, partagez : Rebellissime le Mag’ est un média libre, ouvert à tous les débats. Pourquoi ne pas profiter de cette aubaine et suggérer les sujets qui vous intéressent ?