Le 26 septembre 2019 à la Fashion week de Paris, pour ce défilé de haute couture, 14 femmes et un homme amputés portent les créations du jeune styliste italien Fabio Porliod. Un autre regard sur la mode, la féminité.
Beaucoup d’émotion, de bienveillance, dans la salle…. Le public des Invalides attend, encourage, applaudit… et comme le souligne Fabienne Sava-Pelosse, la symbolique du lieu est importante. La symbolique de la semaine aussi : celle de Paris fashion Week 2019. Etre là, pour l’organisatrice, le styliste Fabio Porliod, le chausseur Antonio Vietri, c’est un an de préparation. Pour les femmes et l’homme qui défilent, tous ne sont pas professionnels. Les agences de modèles, les stylistes, l’univers de la mode les accueillent petit à petit. Petit à petit chacun devrait avoir sa place dans cet univers si particulier de la mode, comme dans la vie en général !
Makha Diabira notre photographe et éditeur était sur place. « En tant qu’ancien mannequin, j’ai été bluffé par le professionnalisme des mannequins. De véritables pro qui mettent en valeur les modèles de la collection de Fabien Porliod. Avec quelque chose en plus : le sourire, la fierté, l’émotion d’être là, le dépassement, la force de se dévoiler… qui donne toute son âme à ce défilé. En tant que photographe, derrière mon objectif, pour les premiers clichés, je remarque les prothèses, l’absence de jambe, de bras… on prend une claque ! Puis, au fil des passages des mannequins, je ne vois plus que des femmes, des tenues élégantes, du style ! Chut un ange passe… l’énergie positive était palpable dans cette salle des Invalides. Invalides… le terme et le lieu me font penser que les vrais « valides » défilent sous nos yeux« .
Repousser les limites de la féminité de manière plus innovante et surprenante, battre en brèche les préjugés sur le corps féminin… Comme un Phoenix qui renaît de ses cendres, la collection de haute couture propose aux femmes amputées une alternative. Parce que certaines ont besoin de se libérer des préjugés Parce qu’une partie de corps amputée, ne doit pas empêcher de se sentir comme les autres, une femme, ni plus ni moins. A l’origine de ce projet hors du commun, Fabienne Sava Pelosse, femme amputée, athlète, coach sportive et présidente de l’association O.S.A. (Objectif Sport Adapté). Fabienne Sava Pelosse, Fabio Porliod, le photographe documentariste Romulad Desandré et Nelia une des mannequins, nous en disent plus en interview.
Interview Fabienne Sava Pelosse
La Lyonnaise de 51 ans, amputée depuis 14 ans par choix et sans regret, mariée et 2 enfants est coach sportive depuis 3 ans, après une reconversion professionnelle. L’idée de ce projet lui est venue parce que depuis 5 ans, après chaque projet sportif, elle exposait des photos prothèse / habit de femme juste pour faire savoir que l’on peut être téméraire dans le domaine sportif, dans la vie et aussi être femme. Avec à son actif des compétitions de Snow-board adapté, des raids sportifs (Raid Amazone, Raid de la Saharienne) cette adepte du Trail running relève cette fois le défi des podiums.
Rebellissime : Pourquoi est-ce important d’organiser un défilé avec des femmes amputées lors de la fashion week ?
Fabienne Sava Pelosse : « »Important » Je ne sais pas… mais l’occasion d‘ouvrir le débat pendant cette semaine durant laquelle les yeux sont braqués sur un style de beauté féminine très « aseptisée » : grande, fine et élégante . Nous nous sommes dit que cela pourrait être bien de montrer que la féminité ne se mesure pas qu’à l’aspect. La différence commence à être présente dans certain défilé. Mais il faut aussi montrer que nous pouvons rester /être féminine, nous la femme « de tous les jours » C’est parfois une autres histoire… Nous sommes une « petite goutte d’eau » mais espérons devenir plus grand, pour changer le regard ».
Rebellissime : Mode et handicap, est-ce comme mode et féminité ? ça va de pair ? En quoi la mode est-elle utile ?
Fabienne Sava Pelosse : « Si cela va de pair ? Oui, si on considère que la féminité puisse suivre la mode ou vice versa. Une chose est sûre, c’est que garder son cote féminin, croire que l’on est toujours féminine : c’est à dire « désirable », se sentir belle, être bien dans sa peau est un des moyens pour dépasser ce manque de confiance que peut procurer la différence et l’amputation ».
Rebellissime : La mode est un milieu assez fermé, comment vous y sentez-vous ?
Fabienne Sava Pelosse : « Oui c’est un monde fort fermé nous avons contacté l’évènement de la Fashion Week qui nous a dit que ce projet était méritant et fort intéressant. Néanmoins aucune porte na été concrètement ouverte pour cet événement par le milieu de la Mode… »
Rebellissime : Comment vous y accueille-t-on ?
Fabienne Sava Pelosse : « Nous n’y sommes pas accueillis, nous profitons de cette semaine et du fait qu’un styliste Italien Fabio Porliod qui a déjà participé à différentes Fashion week en Italie ( Milan / Turin ) soit l’acteur de notre co organisation Phoenix alternative Models. Nous espérons ouvrir une petite brèche dans ce monde-là . De plus nous avons la chance de faire cet événement au sein des Invalides qui a un sens unique et fort : lieu de »l’invalidité » pendant les différentes guerre ».
Rebellissime : Quelles sont les spécificités de votre défilé ?
Fabienne Sava Pelosse : « La spécificité de cet unique défilé est de faire défiler des filles de tous les jours, amputées et Femmes avant tout, de 14 ans à 51 ans. Elles seront porteuses d’un message : la Féminité se garde , se réapprends si besoin. Toutes ont une histoire différente , une situation particulière mais toutes se sentent femme et dans ces collections vont le prouver ».
Rebellissime : Selon vous, comment évoluent le regard et la place faite au handicape dans notre société ?
Fabienne Sava Pelosse : « Le regard change petit à petit dans notre société, mais c’est fort souvent toujours un combat au quotidien .Car dans notre société tout va vite et la place n’est guère facile pour ceux qui sont différents. C’est la jeunesse actuelle que l’on peut « former » à accepter « »
Rebellissime : Que peut-on vous souhaiter ?
Fabienne Sava Pelosse : « Que ce défilé, avec ses trois collections dont 1 Phoenix créee spécialement et sur-mesure ait une visibilité suffisamment importante en dehors du milieu de la rééducation fonctionnelle. Par la suite que le documentaire de… qui en ressortira, soit reconnu et diffusé dans de nombreux endroits « .
Rebellissime : Notre magazine s’appelle Rebellissime, qui est votre rebelle préféré et pourquoi?
Fabienne Sava Pelosse : « Ma Rebelle ? Moi bien sûr … Depuis mon jeune âge, je vis comme je l’entends même avec mes particularités : les défis me « transcendent » en fait qu’ils soient sportifs ou non … Certes le défi et le côté rebelle me portent beaucoup mais surtout les messages qui en découlent : se battre pour avancer, pour changer le regard, en montrant. En proposant de débattre, les craintes se brisent, les tabous tombent et tout devient plus simple.
Donc je reste rebelle coûte que coûte… «
Interview de Fabio Porliod,
Le jeune styliste italien est issu d’une famille de couturiers. Ses arrière-grands-parents créèrent leurs ateliers en 1930, repris par ses grands-parents, puis sa mère. Les créations de Fabio ont déjà charmé Paris, Milan, Dubaï, Monte Carlo, Rome, Turin, Cannes et de nombreux plateaux télé. Neveu d’un athlète amputé , il met à disposition une collection spéciale conçue pour cet évènement.
Rebellissime : Pourquoi est-ce important d’organiser un défilé avec des femmes amputées lors de la fashion week ?
Fabio Porliod : « Parce que je crois que le moment est arrivé de ne plus penser à une beauté standard. Je crois que chaque femme a le droit de se sentir belle. En faisant ce défilé pendant la semaine de la mode on espère attirer un peu l’attention sur ces femmes ».
Rebellissime : Mode et handicap, est-ce comme mode et féminité ? ça va de pair ? En quoi la mode est-elle utile ?
Fabio Porliod : « Je crois que mode, handicap et féminité sont trois choses différentes. Une personne n’a pas besoin de suivre la mode pour être féminine. Une personne qui a un handicap peut suivre la mode, ou pas, être féminine, ou pas… Mais cale n’a rien à voir avec son handicap. La mode peut donner des conseils et aider à trouver un style, indépendamment du fait qu’une personne ait un handicap ou pas ».
Rebellisime : Comment se conçoit une collection pour des femmes amputées ?
Fabio Porliod : « Je n’ai pas eu des difficultés, parce que j’ai pensé à elles comme à des femmes, tout simplement. Après, bien sûre, j’étais très excité parce que c’était pour moi la première fois et je sentais une très forte responsabilité pour s’assurer de les valoriser ».
Rebellissime : Pourquoi avoir accepter de créer cette collection ?
Fabio Porliod : « Parce que j’aime toujours faire des choses nouvelles. Ca m’est déjà arrivé dans mon travail de faire bénévolement des défilés. J’ai aussi fait des défilés avec des personnes qui n’étaient pas mannequins et qui avait de 2 à 90 ans. Donc, je me suis dit pourquoi pas? En plus parce que si je peux avec mon travail, ma passion, offrir un sourire à quelqu’un je suis très content de le faire et je pense qu’à la fin du défilé, quand je vais voir la satisfaction de ces femmes ce sera l’un des moments plus important de ma carrière ».
Rebellissime : Concrètement est-ce envisageable pour un styliste, une maison de couture de proposer systématiquement des modèles adaptés aux personnes handicapées ?
Fabio Porliod : « Je crois que cela n’est pas juste de faire une distinction. Selon moi les personnes handicapées peuvent et on le droit de mettre les mêmes choses que mettent les personnes non handicapées ».
Rebellissime : Notre magazine s’appelle Rebellissime, qui est votre rebelle préféré et pourquoi?
Fabio Porliod : « Je n’ai pas une rebelle préférée mais j’aime les personnes qui se rebellent face aux difficultés de la vie »
Interview de Romual Désandré,
Le photographe et documentariste oeuvre pour changer le regard à la différence. Il collabore avec des agences de presse et TV italiennes. Il a dernièrement réalisé un documentaire sur le sport adapté en montagne, lors d’un Trail alpin, avec 5 athlètes amputés, dont son frère aîné. On devrait bientôt pouvoir le découvrir à la télévision et sur le Web.
Rebellissime: Pourquoi est-ce important d’organiser un défilé avec des femmes amputées lors de la fashion week ?
Romual Desandré: « Je m’occupe depuis quelques années de raconter le handicap, à travers la photographie et la vidéo. Notre famille compte une personne amputée et je me suis aperçu que pour bien se sortir d’un grand accident faire face à la maladie, il y a 3 éléments fondamentaux. Le premier, c’est l’entourage : la famille et les amis pour leur support moral. Le second, c’est la reprise du travail, pour être à nouveau autonome économiquement. Le 3è, c’est l’activité sportive, parce qu’elle permet de se mettre à l’épreuve avec d’autres personnes d’autre personnes pour démontrer la propre force, c’est un instinct primordial. Voilà une bonne règle générale, surtout pour les hommes. Les femmes ont besoin de plus encore. Elles ont besoin d’être appréciées, d’être regardées, elles ont besoin de pouvoir être femmes à part entière, comme toutes les autres ».
Rebellissime : Selon vous, comment évoluent le regard à la différence dans le monde de l’image qui est le votre ?
Romual Desandré: « Pour être sincère et direct : beaucoup de pro de l’image utilisent la différence pour réaliser des reportages faciles à placer. Mais heureusement, il existe tout de même Il y a une partie qui reste humaine et là alors il y a un regard différent, sans faire de la pitié un point fort. Et, là, je trouve cela génial ! »
Rebellissime : Qu’avez-vous appris en travaillant sur vos projets photographiques sur le handicap ?
Romual Desandré : « Bien, un tas de choses… Surtout que rien n’est impossible, surtout pas les rêves et chercher à les réaliser. Je m’en suis rendu compte pendant le tournage du documentaire « Jambe à l’épaule », l’histoire des 5 athlètes amputés qui décident d’affronter la montagne avec une course en relais de 130km. Le documentaire a remporté un prix au Cervino Cine Mountain en Italie ».
Rebellissime : Comment l’image peut aider les personnes en situation de handicap ?
Romual Desandré: « Côtoyer de près le handicap aide à raisonner, à mieux appréhender et donc de diversité. Seule la connaissance peut vaincre les préjugés ».
Rebellissime : Notre magazine s’appelle Rebellissime, qui est votre rebelle préféré et pourquoi?
Romual Desandré: « Je n’ai pas un rebelle préférés, ou si… toutes les personnes qui décident de lutter contre la haine, contre les préjugés sans en tirer un profit personnel ».
Interview Nelia
Nelia défile à la Paris Fashion Week 2019 . Elle fait partie du projet Phoenix Alternative Models et nous explique pourquoi.
Rebellissime : Pourquoi avoir accepté de défiler pour le projet Phoenix Alternative Models ?
Nelia : « J’ai accepté le projet car l’idée et le message m’intéressaient énormément et qu’en plus de ça je sais que je pourrai faire des rencontres enrichissantes ».
Rebellissime : Pourquoi est-ce important un défilé avec des femmes amputées lors de la Fashion week ?
Nelia : « C’est important parce que je pense qu’il n’y aura pas de barrière, de gènes ou de critères vu que nous serons toutes pareilles et le contexte de la fashion week est grandiose ».
Rebellissime : Quel rapport entretenez-vous avec la mode ?
Nelia : « J’ai longtemps eu du mal avec la mode et les vêtements tout simplement car j’avais du mal avec moi et mon physique alors que maintenant je prends plaisir à m’apporter et choisir des tenues ».
Rebellissime : Au quotidien, comment vivez-vous votre handicap ?
Nelia : « Je vis très bien le fait d’être amputée et je ne me vois pas autrement, certes il y a des périodes plus difficiles mais je ne regrette rien je ne me sens même pas handicapée ».
Rebellissime : Quel message souhaiteriez vous passez aux jeunes filles amputées ?
Nelia : « En défilant, je veux montrer aux personnes amputées et aux autres que, l’amputation n’est pas la fin d’une vie mais le début d’une nouvelle et que même si l’on ne choisit pas ce qui nous arrive on choisit ce qu’on en fait ».
Rebellissime : Notre magazine s’appelle Rebellissime, qui est votre rebelle préféré et pourquoi?
Nelia : « Ma rebelle préférée c’est moi ! Je me suis tellement battue pour non seulement réussir à m’accepter et pour me sortir de la souffrance que sans force et rébellion je n’en serai pas là ».
Voilà c’est dit ! Grâce à l’initiative de Fabienne, à la collection de Fabio, au clichés et vidéos de Romuald, 14 Françaises et Italiennes amputées défilent à la Paris Fashion Week 2019. Un autre regard sur la féminité, la différence, la mode…
Fabienne Sava Pelosse, Fabio Porliod, Romuald Désandré, Nelia et Virginie Legourd
Un grand merci à Marie-Laure.
Le 30 septembre 2019