Papou, donne du sens à la mode

La Mafia K’1fry, African Armure, aujourd’hui Young Nation, Papou Dabo entame la quarantaine sereinement, des projets et des collections pour habiller toutes les générations plein la tête.  Rebellissime retrace le parcours de ce créateur d’image, de messages, de vêtements qui marquent l’évolution de la culture hip-hop. Cette dernière, comme les créations de Papou, s’imposent aujourd’hui en classiques planétaires.

Papou ça ne vous dit rien ? African Armure ? Mafia K’1Fry ? Ah, bah si, tout de même ! Et bien, Papou sans avoir été sur le devant de la scène est l’un des acteurs clé de cette génération qui a fait passé le hip-hop de la rue aux podiums.  Désormais orphelin, il est le fils de ses parents, évidemment, des Maliens Bambaras. Né dans le XIII è arrondissement, il est aussi un enfant du 94, la banlieue sud de Paris,  Vitry-sur-Seine (cité Barbusse), Ivry-sur-Seine, mais surtout un citoyen du monde. L’expression peut paraître utopiste, mais elle est finalement, tout à fait appropriée à la philosophie de Papou : respect, partage, égalité, grand frère protecteur, exemplarité… « Peace unity love and having fun » (Africa Bambaataa). Tout ça, tout ça. « Hip-hop dans l’âme, hip-hop dans l’esprit…  » (Dontcha) Papou a le sens du message, et la volonté de le faire passer. C’est donc tout naturellement qu’il passe par le rap au sein de la Mafia K’IFry avant de lancer sa marque de vêtements. African Armure, s’il vous plaît. Rien que le nom est puissant. On est en 1999, Papou a 24 ans et n’est pas prêt de s’arrêter… il est surtout connu et reconnu pour ses marques de vêtements à sens. S’affirmer en portant un t.shirt, revendiquer, paraît banal en 2016, mais il a fallu en faire du chemin pour que certaines pièces du streetwear deviennent des classiques dans toute bonne garde-robe qui se respecte. Avec Papou, Rebellissime revient sur les débuts et l’explosion d’une culture mais aussi d’une mode hip-hop.

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Donner du sens

Arrière petit fils d’un grand écrivain malien, premier député noir de l’Assemblée Nationale en 1946, Fily Dabo Sissoko, petit fils de Moussa Sissoko (son homonyme), homme très influent au Mali, au milieu des années 60, fils d’une maman dont le portrait s’affiche dans le salon d’honneur de l’aéroport de Bamako Senou, aux côtés de l’empereur d’Ethiopie Haïlé Selassié. Voilà pour le côté maternel. Du côté paternel : un papa négociant en diamants, un oncle qui lui fait lire un maximum de quotidiens pour aiguiser sa curiosité sur l’écologie, la politique étrangère, la culture des autres peuples… On s’explique mieux l’engagement et l’importance de donner du sens de notre homme ! « Avec le temps, je m’aperçois que c’est une continuité. Mais quand nous avons crée le collectif Mafia K’1Fry et commencé à rapper c’était vraiment inconscient. J’avais besoin de m’exprimer, de revendiquer certaines choses et le rap est venu assez naturellement« .  Tout comme lui vient tout naturellement l’idée de l’African Armure. Taillée dans du cuir et des tissus de qualité, elle protège, valorise et transmet un message fort. C’est Papou qui trouve le logo, un bouclier avec à l’intérieur un cauri en forme de lettre A, assorti de deux lances, et dessine les vêtements. « J’ai crée mon premier T.shirt pour représenter tout le monde afro : le logo, le bouclier, l’Afrique et ses frontières, toutes les îles, par ordre alphabétique… J’ai fait figurer tous les pays d’Afrique, les villes, les  afro-américains, afro-vénézuéliens, cubains, afro-européens, pour nous. L’accueil que j’ai reçu a été super positif. Tous les gens l’ont acheté et sont allés voir s’ils étaient présents. Tous me disaient « c’est la première fois qu’on nous associe à l’Afrique, que nous sommes représentés. Merci ! On est des Africains, on a la même culture et jamais on ne nous associe ». C’est vrai que généralement, on ne représente que la carte de l’Afrique, et Madagascar qui est une grosse île, mais on oublie toutes les petites îles » constate Papou. Les personnes qui se cherchaient autant dans la société qui ne les reconnaît pas toujours et qui se retrouvaient sur ses t.shirt, se sont appropirées l’African Armure. C’est le buzz!  « Pour la première fois, j’étais fier de ce que je faisais. Ça m’a beaucoup motivé pour créer d’autres modèles qui rendent hommage aux gens, qui leur rendent leur fierté« . Avoir un groupe qui s’appelle Mafia K’1fry et une marque qui s’appelle African armure,  c’est à la fois unique, génial et novateur. Beaucoup auraient chopé la grosse tête. Mais ce n’est pas dans le caractère de Papou, souvent en retrait. Son concept est aussi simple que fort, alliant systématiquement un message fort au vêtement. « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » (Amadou Hampaté Bah)… Droits de l’homme, messages identitaires, grandes phrases sur l’éducation, l’inspiration ne manque pas au créateur d’African Armure.

Plus de quinze ans après le succès fulgurant de l’African Armure, le garçon reste dans la marque à sens. « Sauf qu’aujourd’hui, c’est commun ! Tout le monde a son mot à dire, veut sortir sa petite phrase. Tant mieux, et tant pis parce que les messages se noient parmi les messages » constate Papou. Et pourtant, avec sa nouvelle marque de vêtements, Young Nation, il persiste et signe. A la différence qu’il n’est plus question de streetwear mais d’une ligne de vêtements à part entière. « J’espère que les gens vont adhérer. Quels que soient leurs origines sociales… J’ai beaucoup réfléchi, pendant près d’un an et demi, à la Young Nation. J’ai coupé tous mes contrats. Je me lance en indépendant. Même si je suis connu, c’est plus dur. J’espère que ma clientèle de base, mais aussi une nouvelle clientèle va me suivre dans mon ambition de devenir une marque internationale« . Papou vise la planète ! « Pour rendre fiers beaucoup de gens, beaucoup de petits frères qui ne se retrouvent pas dans la société. Je voudrais plus tard développer des collections de costards pour que l’on puisse aller travailler avec un logo qui nous ressemble. Sans se sentir Bounty, ou rabaissés, être fiers de ce que nous sommes, de nos métissages, d’être afro-européens. Et aussi pouvoir être là, exister, être nous-mêmes, en faisant partie de la société, en travaillant avec les autres » Ambitieux ? Non, just Papou ! Après tout qui ne tente rien n’a rien, just do it…

 

Politiquement correct

C’est très politique finalement tout cela. Nos hommes d’état auraient bien besoin à défaut de les porter, d’entendre les messages des t.shirt de Papou. Reconnaissance, vivre ensemble. Papou, tu ne veux pas faire quelque chose pour eux ? « J’ai beaucoup d’idées sur les messages. Mais je n’ai pas forcément envie d’aider les politiques ! J’ai plutôt envie d’aider nos communautés. J’ai aussi envie de diffuser des messages sur les choses à changer, que nous pouvons améliorer, sur ce qui ne va pas. Si ça peut faire évoluer les mentalités et la vision des politiques sur des populations qu’ils ignorent, tant mieux ! Ils sortent de leurs écoles et font de la politique, alors même qu’ils n’ont pas de terrain. Impossible pour eux de prendre conscience du quotidien des citoyens ! » déplore Papou. Il a aujourd’hui plus d’expérience, de recul pour analyser tout cela. Mais sa réflexion va plus loin. « D’un autre côté, et en généralisant un peu, il y a aussi toute une partie de la population qui a du mal à s’adapter, à trouver sa place et qui ne le veut même plus d’ailleurs. J’ai grandi en France, parmi ces jeunes. Mais il faut quand même réaliser que tu ne peux pas grandir et vivre en France, travailler, métro, boulot, dodo, faire des enfants et te dire que c’est l’école qui va les éduquer. C’est pas possible ! Ça a généré beaucoup d’enfants dans la rue et le triste constat de ce que sont devenus certains, sans compter les disparus, etc… C’est tout de même de la faute des parents !  » Sarkozyste ? Non, just Papou ! « Sarkozy avait provoqué un tolé en accusant les parents de ne pas être assez responsables. On a dit que c’était raciste. Mais là, je lui donne raison. Tu ne peux pas faire des enfants et les laisser dans la nature ! Personne ne fait ça ! » proteste Papou qui se fiche visiblement d’être politiquement correct. Il ne fait pas pour autant un Doc Gynéco style « Je n’aime pas du tout Sarkozy et ne partage aucune de ses idées politiques, que les choses soient bien claires !  » Mais vous l’aviez compris !

 

Plutôt écolo alors ? En tant que créateur de vêtements, Papou, aurait bien aimé prendre ce tournant écolo, mais…  » Je n’ai pas vraiment pu totalement le faire parce que financièrement, c’est trop lourd,  pour des petites marques comme la mienne. Pourtant, cela fait toujours partie de mes projets. Mais il s’avère juste que dans le business, il ne suffit pas de vouloir être écolo pour faire de bons produits écolo. Si tu respectes les normes, ça a un coût: 25 euros à produire, cela signifie que tu vas devoir vendre 50 euros pour rentabiliser ton t.shirt. Je ne peux pas vendre une marque populaire à ces prix-là! » explique Papou. Avec Young Nation, il monte en gamme et de nouvelles possibilités s’offrent à lui.   » On achète par exemple un super t.shirt écolo que nous commercialisons pour la clientèle féminine depuis 1 an. Je n’ai pas de label écolo, je fais attention à la provenance des produits. Si j’ai l’occasion de produire écolo, je le ferai. Je réfléchis aux possibilités. Comme à mes débuts, je fais également attention aux lieux et méthodes de productions« . Mais cela n’a pas toujours été le cas. En pleine gloire d’African Armure (plus de 300 références), avec 150 points de vente en France, deux en Suisse, un en Allemagne et en Belgique, Papou le reconnaît. « Lorsque notre production a grandi, on a travaillé avec le Portugal, puis la Chine, le Bengladesh, la Tunisie, et là j’avais moins de regard et moins la main mise sur les modes de production. Je réfléchissais rapport qualité-prix. Je ne vais pas mentir ! » Politiquement incorrect ? Non, just Papou

Etre soi-même

Petit, il entend sa maman lui répéter qu’un Dabo, descendant de la noblesse Bambara, n’est pas descendant de griot et donc ne dois pas chanter. Ce sont les autres qui doivent chanter pour lui et faire ses louanges. Mais, j’ai bien dit que Papou entendait sa maman. De là à l’écouter, c’est sans compter la force d’attraction de la naissance du hip-hop et du rap français. « Je n’ai pas tout à fait respecté le principe ! J’ai essayé de le faire de façon à passer un message. Pas de freestyle inutile ! » avoue Papou. Cependant, les recommandations de sa mère vont faire leur bonhomme de chemin dans son esprit. « J’ai cherché ma place dans le respect de ses mots. J’avais besoin de me sentir à l’aise, j’ai dévié sur les vêtements parce que cela me permet de m’exprimer sans pour autant me mettre en avant » reconnaît-il. Ah… les conseils d’une mère, ça a toujours du sens! N’est-ce pas fils ? Quand Papou dit qu’il a dévié vers les vêtements, il n’a pas vraiment fait fausse route ! Pourtant, il n’est pas ce que l’on peut appeler un fashion addict. « Enfant, je n’étais pas très axé vêtements, sauf les sportifs, pas du tout dans le style et la mode » confie Papou. Mais alors d’où vient ce goût inné pour dessiner des collections ? « Ayant vécu entouré de beaucoup de femmes, elles m’ont par exemple appris à mettre des chemises même si je détestais cela à l’époque. Du coup, j’ai du développer un goût vestimentaire, sans même m’en rendre compte. Je m’en suis certainement imprégné inconsciemment. Mais concrètement, j’étais plus passionné par le ballon rond, les potes, le crew…  » Footeux ? Non, just Papou !

« J’aimais bien les Starter, ce qui était à la mode, telle ou telle marque. Mais je n’ai jamais été un passionné de vêtements. Même en créant ma marque, j’étais plus passionné par le concept, le message, que le vêtement lui même« . Bon d’accord… mais tout de même, à ton âge, avec ton expérience et ton statut d’entrepreneur, tu fais attention à ce que tu portes ? « J‘aime bien me dénicher des modèles vintage en friperie. Ça me rapelle de bons souvenirs. J’aime tout autant entrer dans un magasin pour choisir des vêtement de qualité. Pas de m’as-tu vu ! »  Pas même des craquages et une flambée de CB au moment des soldes ?  » Quand tu travailles dans le vêtement, que tu connais le coût de production, tu ne peux plus payer aussi cher! Ça m’a même écoeuré pendant plusieurs années ! Quand tu prends conscience des marges pratiquées par les marques et les boutiques, tu vas directement à l’usine t’acheter tes vêtements! » ironise Papou. Radin ? « Non, je suis prêt à payer pour la qualité. J’aime beaucoup Marithé et François Girbaud. Pas de signe, pas de logo, la marque n’est pas vraiment connue, si ce n’est d’une clientèle pointue. Les produits sont neutres, tu apprécie le choix des matières, les coupes. Je mets rarement des marques qui s’affichent en grand sur leurs vêtements. J’ai besoin d’être simple. Comme j’ai de l’estime pour moi, j’ai besoin de porter des vêtements dans lesquels je me sens bien » Bref Papou existe, vêtement ou pas ! Mégalo ? Non, just Papou !

 

Générations avenir

Papou, le rap lui colle à la peau. Même si depuis 2007, à la fin du contrat avec son licencié, il s’éloigne de son collectif rap Mafia K’1Fry pour s’orienter vers d’autres chemins. Pas de mésentente avec ses potes, mais ce besoin d’être lui-même, fidèle à ses valeurs. Comme il le dit plus haut, Papou a de grandes ambitions, non pas qu’il veuille devenir le roi du monde, plein de bling bling… Non, on sent plus en lui comme une sorte de mission à accomplir. Celle des super héros de son enfance ? Celle du grand frère ? Non, just Papou !  « Tout ce que j’ai fait avec African Armure, je l’ai fait d’instinct, inconsciemment. Aujourd’hui, je suis plus conscient des choses. A l’époque, j’avais un comportement guerrier, revendicateur, sans pour autant mesurer l’influence de mes grand-parents et parents qui aujourd’hui m’apparaît comme une évidence. Je l’ai vécu. J’avais besoin de revendiquer ce que j’étais : ma couleur, mon histoire, mon identité. Quand j’ai crée le logo African Armure, il me correspondait et correspondait en même temps à beaucoup de gens. Dans le groupe Mafia K’1fry, nous étions tous différents, mais tous ensemble. C’est ce qui a fait que ce groupe reste légendaire. C’est son identité. Dans la faune urbaine, nous avons tous grandi ensemble, Français, Antillais, Maghrébins. Tous différents, mais on se ressemblait. De façon inconsciente, on s’est trouvés, associés, donnant naissance à de petites cellules. Ça a commencé avec Ideal J et Kery James, et puis le 113, Rohff… En parallèle, j’ai trouvé ma voie en nous habillant. Quand Kery James dit « On endosse l’African Armure » c’est sérieux. On l’endosse pour faire, dire, construire. Que l’état et la société soient d’accords ou pas, on va endosser l’African armure, et là je vous donne la version polie ! C’est ce que je retiens de marquant de nos débuts, de notre succès » confie Papou.

Cet engagement n’a aujourd’hui aucune raison de se mettre en veille puisqu’en écoutant les textes de l’époque, on ne peut que déplorer que le constat que les rappeurs dressent de la société n’ai pas évolué. Alors que beaucoup tiraient le signal d’alarme, la situation des jeunes, des banlieues ne s’est pas améliorée. Leurs paroles n’ont pas été entendues et nous voilà avec des cinquantenaires qui revendiquent et dénoncent toujours, alors que les plus jeunes sombrent dans la violence verbale gratuite dénuée de sens, d’orthographe, de grammaire, de vocabulaire, parfois même de rimes et de rythme. D’autres ne parlent que fessiers et bling bling, sachant que comme les frites Mac Cain, c’est ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins…  De quoi donner raison aux parents de craindre pour leurs enfants qui prennent la voie du rap. Comme pour la maman de Papou. « Ma mère a assisté à nos débuts mais pas à notre ascension. Elle le percevait assez mal. Le rap n’était pas quelque chose de bien pour son fils à l’époque. Même aujourd’hui, je ne pense pas que les parents voient cela d’un très bon oeil. Encore plus avec les paroles que l’on peut entendre dans le rap. Pour ma mère, il fallait que je travaille, que j’ai un vrai boulot. Mais pour nous, le rap c’était notre univers, cela nous appartenait. Le rap n’était pas encore populaire, mais il nous ressemblait. J’ai découvert le rap à la télévision à travers l’artiste noir Eric B & Rakim. C’était la première fois que je voyais un noir à la télé, bien habillé, qui rappait. Je me suis dit qu’on pouvait réussir, faire des choses, s’accomplir » se souvient Papou.

En 2016, c’est lui que l’on peut montrer comme un exemple. La preuve que l’on peut entreprendre, croire en ses rêves, rester soi-même, fidèle à ses valeurs. Utopiste ? Non, just Papou !  Il lance une nouvelle marque sous le nom de Young Nation. « Pour entrer dans cette nation, j’ai crée une charte très simple. Le seul critère est que chaque artiste doit avoir sa particularité. Aucun artiste ne ressemble à l’autre. L’objectif, c’est qu’avec leur technique et leur touche personnelle, ils puissent créer des produits Young Nation« .  On dirait que Papou a le sens du concept. « C’est toujours mon objectif, donner du sens. Plus de 15 ans après, African Armure a toujours du sens. Elle traverse les années, reste dans le coeur des gens. Je rencontre  même des jeunes qui témoignent d’avoir créer leur marque, leur entreprise. C’est vraiment gratifiant. J’aurai bien aimé créer Just do it ! Allez les mecs allez-y !« 

En tout cas lui, fonce toujours avec sa Young nation et son AA Gang. Il élargit également sa clientèle. « Comme avant, je m’adresse à tout le monde. Je pars de ma base, de qui je suis. Je suis noir, né en France. Je crée avec ma propre vision de la vie. En partant de là, j’essaie de fédérer un maximum : ceux qui s’intéressent, qui s’interrogent. Je ne pas fais spécialement des vêtements aux couleurs de l’Afrique, mais aux couleurs de tous. Je n’ai aucune limite. Mon premier t.shirt touchait la moitié de  la planète ! Si tu portes notre logo et que tu marches n’importe où dans le monde, les gens t’arrêtent pour te demander ce que c’est, d’où ça vient. Suivant le pays où tu es, tu ne portes pas le t.shirt de la même manière et pour les mêmes raisons. Le mec à qui je vends en Autriche a besoin de revendiquer. Il mène un combat quand d’autres portent la marque pour le style !« . Rebelle ? Non, just Papou ! Après le combat, il entre dans une autre phase. « En vieillissant, je ne me retrouvais plus vraiment dans le combat hip-hop de ma jeunesse. J’ai toujours envie de donner du sens, mais plus avec des artistes qui me correspondent mieux que les rappeurs. Je veux créer une marque plus humble, sans forcément de phrase affichée. On la retrouve dans le produit. Je travaille aussi le marketing. Certes, ma marque à une connotation afro, mais plus rap. Cela correspond à mon évolution » explique sereinement Papou.

Hip Hop économie

On peut presque dire que tout part du rap, du besoin de s’exprimer, de s’affirmer du jeune Papou. Comme pour beaucoup de jeunes qui ont grandi dans les années 80, le hip-hop est une révélation, une philosophie, un art de vivre, une façon d’envisager l’avenir, de revendiquer, un art, un univers… Mais tout de même, de l’écriture de textes aux vêtements, on peut s’interroger sur le chemin parcouru par Papou. « C’est venu au fur et à mesure.J’ai commencé par rapper, écrire des textes. Mais par rapport à mon caractère, je n’étais pas vraiment à l’aise avec l’image du rappeur français. Ce dont j’avais besoin, c’était de m’exprimer. Mais j’avais aussi la fibre commerciale, j’étais assez débrouillard. L’image de l’entrepreneur, du commerçant était plus valorisante, plus en conformité avec mes valeurs que celles du rappeur, qui ressemble à une caricature !  »  Pas non plus en phase avec l’école, Papou est plus foot et débrouillardise. Vente de vêtements sur les marchés de Rungis… Mais ses économies ne partent pas dans les fringues, plutôt dans les voyages. Visite à la famille ou non, il découvre de nombreux pays : Etats-Unis ( Miami, New York), Brésil, Mali, sénégal, Cuba, Guinée, Mauritanie, Cameroun, Maroc, Thaïlande… C’est dans ces deux derniers qu’il commence à s’intéresser à la fabrication de vêtements. A New-York, ses cousins lui font découvrir un  autre univers. Il y voit des Noirs qui réussissent et sont reconnus. Des Noirs qui participent à l’économie de leur pays. On peut avoir des locks et travailler en costard dans une banque ! Pour un jeune français de 17 ans, fin des années 80, c’est un choc culturel ! Tous les possibles s’ouvrent à lui. De retour en France, ses voyages vont influencer jusqu’à sa façon de concevoir le Rap. « Notre collectif, la Mafia K’1Fry a explosé rapidement. Nous avons alors été sollicité par des marques de vêtements ou autres, qui avaient besoin de faire leur promo. En observant tout cela : avoir une image, un style, être populaire… Je me suis aperçu que d’autres allaient profiter de notre notoriété. No way !  La marque qui nous sponsorisait à l’époque, Wrung, aujourd’hui des amis, m’a montré la voie. Je leur ai demandé comment ils fonctionnaient, en quoi consistait le merchandising,  pourquoi le groupe n’en tirait pas vraiment profit. J’ai eu la chance de tomber sur des gens qui avaient le sens du partage. Ils m’ont encouragé à créer notre propre merchandising. Comme j’avais déjà le sens du business, c’est venu là aussi assez naturellement. Nous avons donc autoproclamé nos couleurs, nos emblèmes et ça a pris immédiatement. Les fans ont consommé tout de suite. J’ai crée, en parallèle de Mafia k’1fry, African Armure. Mon instinct commercial, me disait qu’on ne peut pas grandir avec une seule marque, d’autant plus une marque streetwear  dédiée à un groupe de rap. Il fallait se diversifier, toucher plus de monde, élargir la clientèle« . Dans sa tête, ça va vite… Et ce qui est devenu monnaie courante pour les chanteurs et autres célébrités prend vie. Aujourd’hui, en effet, la plupart des personnalités lancent leurs lignes de vêtements, d’accessoires, de produits dérivés. « Je ne sais pas si c’est un passage obligé, pour ma part, c’est plutôt de la débrouillardise pure, de base. C’est un moyen de s’assurer et de veiller sur sa propre image. C’est aussi une façon de se faire des sous, indirectement sur notre propre image, de la construire, de la faire vivre ! Se développer, faire de l’argent cela permet d’investir dans des projets. J’ai produit les clips de notre groupe, j’ai pu asseoir notre notoriété, produire d’autres artistes. Tout cela grace à l’argent du merchandising. Cela rend autonome« . Les années 2000 couronnent Papou de succès : le 113 meilleur groupe qui arrive sur la scène des victoires de la musique et remporte le titre de meilleur groupe. « wa, wa wa… » (113, truc de ouf). Kery James et tous les autres membres de la Mafia K’1Fry qui endossent l’African Armure. La marque devient l’un des plus gros vendeurs de streetwear en France, avec Com8 des NTM. Une marque française, une marque de jeunes qui créent leur entreprise et leur business. Leurs cuirs, T.shirt, doudounes sont inscrits dans les mémoires. C’est toute la jeunesse des quarantenaires d’aujourd’hui ! Les fringues, le style, le son, l’engagement… Papou analyse l’évolution de la culture hip-hop dans notre société.  « Nous sommes des générations dites voyous, cailleras… mais vis à vis de la société, nous sommes une manne économique. On oublie souvent de dire dans les mêmes médias qui stigmatisent les rappeurs, qu’ils paient des impôts ! L’indépendance fiscale n’existe pas. Rebelle, indépendant, tu paies ton loyer, tes charges, tes fournisseurs, tes sous-traitants. On oublie aussi de dire que les taggeurs qu’on a accusé de salir tous les murs de Paris et de la banlieue, font aujourd’hui des expos, remplissent des galeries d’art« .  On étudie les textes de rappeur comme Solaar à l’école. « Nous sommes passés de voyous à générateurs de métiers et d’emplois : Young Nation ! Nous sommes la génération qui a crée le style urbain, devenu un classique. Les mecs comme Makha, les Atomic, dansaient dans la rue. Leurs défis dans les quartiers, pour nous les plus petits, c’était dingue ! Nous étions fiers de voir des gens de chez nous applaudir. On les suivaient à Saint-Denis, la Courneuve, au Chatelet. C’était fou ! Ceux qui ont usé les sols de la capitale à force de breaker sont aujourd’hui chorégraphes, directeurs ou profs dans des écoles de  partout en France et dans le monde« . Il y a même des cours de hip-hop dans les clubs de gym ! « Oui, la culture hip hop est entrée dans les moeurs. Tu trouves des tableaux de graffeurs dans les appartements chics. On dépasse le cadre de la revendication, de la mode : c’est une véritable culture! Elle est partout, et même si ce n’est pas reconnu, le hip-hop est générateur d’art, de business, de style, sur toute la planète. J’essaie de le signaler. Des artistes plus connus pourraient aussi le revendiquer, mais l’accent n’est pas toujours mis sur ces réussites et ce discours dans les médias !« Heureusement que Rebellissime est là ! « L’idée, c’est ça, passer ce genre de message dans les médias. Il faut que l’on se rende compte de ce qu’on génère ! On peut être fiers ! » Revendicateur ? Non, just Papou !  Il a sa propre analyse sur cette défaillance de reconnaissance. Peut-être des modes et des codes de communication différents.  » Cela vient des deux côtés, d’une manière différente de s’exprimer. Chez nous, on bombe le torse. On veut tellement exister depuis notre enfance, on a tellement la sensation d’être observés, jugés, qu’on se gonfle un peu, on en fait beaucoup, on provoque. Alors que nous existons autrement.  Tu ne verras jamais un artiste hip-hop s’exprimer sur les emplois et les vocations qu’il génère. Je ne comprends pas pourquoi. Parfois, j’ai un peu l’impression d’être seul dans ma bulle ! » Solitaire ? Non, just Papou ! Mais il est vrai que cette analyse et cet angle ne sont pas souvent ceux utilisés pour parler du hip-hop.Sauf dans Rebellissime !

LA REBELLISSIME QUESTION :

 

Merci de nous composer un look rebelle ?

Le look rebelle n’existe plus ! Le look a longtemps servi à se distinguer dans la société, à affirmer son identité, à se rebeller même. Mais aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, les gens veulent tous être unique. La société a voulu casser les leaders. Avant, il y avait des leaders, Martin Luther King, Malcom X, Mohamed Ali, le Ché, Thomas Sankara… Mais en disant que tout le monde peut devenir un leader, avoir sa particularité et l’affirmer. Cela a généré beaucoup de liberté. On est libre de son style. Mais résultat, tout le monde veut être une star.  Tout le monde se tatoue quand avant cela appartenait à des ethnies, des catégories. Dans cette société où tout le monde peut devenir leader, il n’y a plus de leader. Plus personne pour entraîner les autres derrière lui, les faire évoluer, mener une révolution… Selon moi, c’est ce que les états et les industriels ont crée pour s’assurer de garder le pouvoir. Depuis une quinzaine d’années, y’a plus de leader. Plus de Gandhi, de Balavoine, de Coluche, personne n’a plus envie de les suivre puisque ce qui compte c’est sa propre personne ! L’esprit libéral, individualiste a noyé tout cela. Y’a trop de styles ! On est noyé ! 

Papou Dabo et Virginie Legourd                                                                             le 23/07/2016