Rencontre avec Edwy Plenel
Rebellissime s’est rendu à la rédaction de Mediapart à l’occasion de leur 8è anniversaire. Plus qu’une fête, c’est à la naissance d’une nouvelle presse que nous assistons et participons modestement. A cette occasion, Edwy Plenel répond à quelques Rebellissime questions.
On ne présente plus Edwy Plenel, enfin si quand même un peu… Ne serait-ce que pour le plaisir de retracer dans les grandes lignes son parcours, son engagement et le rôle que son magazine digital, Mediapart, joue dans l’avenir et la renaissance de la presse. Pour faire court, Edwy Plenel, vous le reconnaissez à sa petite moustache noire, sa façon posée de prendre la parole, d’assener des faits, de ne rien lâcher, d’insister sur sa vision du vrai journalisme, celui qui fait des recherches, se pose des questions, transmet l’information au public. C’est parfois dérangeant pour les médias en place, pris dans un train train confortable. De là à dire qu’Edwy Plenel est Rebellissime…
Pas de politique
Rebellissime, c’est un magazine digital féminin et familial, glamour et convivial qui ne veut surtout pas faire de politique. Trop dangereux ! Et surtout, ce n’est pas notre métier… Mais apporter une autre vision de l’univers féminin et familial, assumer sa différence, ouvrir notre rédaction aux journalistes et internautes du monde entier afin de voir un peu ce qui se passe ailleurs et de comprendre comment on y voit la vie, c’est un peu politique.
Edwy Plenel lui, est un journaliste politique, un vrai. Directeur de la rédaction du Monde de 1980 à 2005. On a coutume de relier son départ à une énorme divergence d’opinion avec les orientations prises par la direction du Monde. Alain Minc et Jean-Marie Colombani, pour ne pas les citer. Dates qui correspondent avec mes années Fac (pas 1966, non je veux parler des années 90, évidemment, je suis encore une jeunette, enfin presque ! ). Je disais donc, dates qui correspondent aux années où je dévorais le Monde et Courrier International parce qu’ils étaient les seuls que je trouvais objectifs et réellement ouverts, avec une logique qui historiquement et géopolitiquement ne heurtait pas ma propre logique… Plus tard, bizarrement, je n’ai plus lu le Monde avec autant de plaisir jusqu’à lâcher l’affaire. Et puis, j’ai vu Edwy Plenel prendre la parole à la télévision, son discours m’a interpellée. En mars 2008, lorsqu’Edwy Plenel cofonde le site Mediapart, je n’ai pu que me réjouir de voir qu’Internet concrétisait ses promesses en terme d’information. Un peu déçue que ce journal soit payant, mais comprenant mieux aujourd’hui pourquoi ce choix. Il est la preuve que le journalisme a de la valeur et que les lecteurs ne sont pas dupes. Les révélations des affaires Woerth-Bettencourt, Cahuzac et Aquilino Morelle, valent bien quelques petits euros. On peut alors se poser la question de la mort à petit feu de la presse écrite. Est-ce vraiment la télé et Internet qui en sont responsables ? N’y a t-il pas un petit souci de contenu, de trop de pub et de moins en moins d’indépendance ? Je dis ça, je dis rien…. « Nous sommes en France dans les conséquences qu’a eu cette évolution numérique dans les rédactions en terme de perte de contrôle, de nouveaux actionnaires, d’affaiblissement de certains titres. L’élection présidentielle fait que le moment de la douloureuse sera peut-être retardé d’un an, mais ces questions-là vont revenir». D’ailleurs, Edwy Plenel le dit beaucoup mieux que moi !
C’est l’histoire d’un mec…
Pardon pour la reprise, mais je n’ai pas pu m’empêcher ! Edwy Plenel est né en 1952. Son papa, Alain est vice-recteur de la Martinique. Mais ses engagements anti-colonialistes lui valent d’être rétrogradé de l’Education nationale. Edwy a alors une dizaine d’années, c’est le genre d’engagement et de fêlure qui marquent une vie. Surtout que la réhabilitation de son père n’intervient qu’en 1982, grâce à l’intervention de Stéphane Hessel.
Une enfance en Martinique, puis l’adolescence et les études universitaires à Alger, Edwy aurait pu virer colon, paternaliste, mais pas du tout. Comme quoi, il n’y a pas de fatalité ! Début des années 70, Edwy Plenel arrive à Paris et rejoint la Ligue Communiste Révolutionnaire. Jusqu’à son service militaire, il écrit pour l’hebdomadaire de la LCR, Rouge. Une jeunesse plus que militante, qu’il raconte en 2001 dans son livre Secrets de jeunesse. Comment, il arrive au Monde en 1980 ? Peut-être parce qu’à l’époque, c’était un journal, pas un groupe de presse. Certains l’encensent, rappelant que le Monde connaît sous sa direction, ses meilleures ventes. D’autres lui reprochent de crier trop facilement au complot. Perso, je le trouve plutôt convaincant et surtout engagé. J’aime assez qu’il défende l’indépendance du journalisme, une denrée super rare.
Avenir, digital (?) de la presse
«Il y a 8 ans, Mediapart a fait le choix du tout digital, du tout payant et du tout participatif» affirme Edwy Plenel lors de la Conférence de presse Mediapart du 10 mars 2016. A l’époque, en 2008, ce choix est totalement inédit. Faire payer des lecteurs, qui ne se bousculent plus au portillon et deviennent de plus en plus réticents à lâcher un euro tous les jours pour leur ex-quotidien préféré… C’était pas gagné. Et pourtant, 8 ans plus tard, on ne peut que constater que cela fonctionne. Une partie de contenu en accès libre, une autre sous abonnement (environ 10 €/mois hors promos) Mediapart diffuse l’information en ligne, embauche en CDI****, fait des bénéfices et ouvre son Club***** aux textes des lecteurs. «Mediapart fait levier sur les défis que nous lance la révolution technologique. Nous avons vu, ces dernières années les conséquences de cette transition au cœur de la presse, notamment en Amérique du Nord. Aujourd’hui l’Europe y vient. C’est ce qui s’est passé avec The Independant ou encore El Pais. Nous avons une révolution technologique qui supprime trois coûts : le papier, l’impression et la distribution. Quoi que nous en pensions, c’est un point de non retour. A nous de montrer, dans ce cadre, que nous pouvons défendre le meilleur de la tradition de notre métier». explique Edwy Plenel. Ok, Monsieur Plenel, je signe et accepte volontiers de devenir la branche féminine et parentale du projet ! D’ailleurs quel est votre point de vu sur les médias féminins et parentaux ? «Je ne suis pas assez connaisseur et pas assez lecteur pour avoir un point de vu objectif. Je pense, qu’il y a, dans le cadre de la révolution numérique, une place pour les médias spécialisés. Ceux-là peuvent se construire sur un modèle de souscription ou d’abonnement, à condition qu’ils rendent service à leurs lecteurs. Ils ne peuvent pas se contenter d’être des médias de commentaires ou d’opinions. Il faut de l’information. Il faut que le lecteur y trouve une plus-value. Il y a, parmi les réussites trop peu connues, un site comme Hospimedia, très rentable parce qu’il apporte à bon nombres de praticiens des réponses sur des questions de santé. Lorsqu’on regarde les secteurs d’information spécialisée, on trouve des exemples de réussites parmi des entreprises du numérique, plutôt discrètes. Mais, cette réussite est toujours subordonnée à la condition, qu’il y ait une utilité de l’information. Aujourd’hui, l’opinion est gratuite et tout le monde peut donner la sienne sur le numérique. Un journaliste qui vient donner son opinion, cela n’a pas plus de valeur que celle que peut donner n’importe quel citoyen. Les journalistes doivent donc défendre l’utilité de l’information. Notre utilité chez Mediapart, c’est une information exclusive, originale, dont le positionnement est inédit. Si un article de Mediapart est banal, nos lecteurs nous le disent «Nous ne nous sommes pas abonnés pour cela». OK, prends-en de la graine la Rebellissime team… Ne pas donner notre opinion, on va essayer, même si ça démange ! Chercher et creuser l’info, apporter une autre vision de l’univers féminin et familial, l’ouvrir sur encore plus d’autres points de vu à travers le monde, c’est l’objectif, notre âme, notre came. Lassés de de ce qui se fait en général dans la presse féminine, souvent taxés de différents, nous avons décidé de ne plus faire de concession, de suivre notre chemin, quitte à marcher à contre-courant. Parce que «si c’est ça être branché, bah j’partirai débranché» *** Si en plus ça peut intéresser, c’est bien la preuve qu’on a un public, et qu’on n’est pas tout seul. Si en plus, on peut en vivre…. Alors «ça c’est ma dope, ça c’est ma dope ! Ma ville, mon clan, mon style, mon flow, ça, c’est ma dope*».
La pub, c’est mal ?
Comme nous l’expliquions à Edwy Plenel lors des présentations, « parce qu’on n’est pas des pantins, quand tu vas chez les gens tu t’annonces« ** , Makha et moi sommes un vieux couple aux commandes d’un jeune média. Et non pas un jeune couple dirigeant un vieux média. Pour ne rien vous cacher, Rebellissime, bien que créée par deux amoureux, ne peut cependant pas se permettre de vivre d’amour et d’eau fraîche. Nous comptons bien sur le soutien de certaines marques et entreprises avec lesquelles nous partageons une certaine éthique. L’apparition, certes discrète de quelques encarts pub n’est donc pas impossible. Dites, est-ce que c’est mal, docteur ? Edwy Plenel nous rassure. « Je n’ai jamais pensé que la publicité est en soi un mal. Ce qui est un mal c’est le fait de ne dépendre que de la publicité. Le modèle tout gratuit, tout publicitaire, nous fait oublier la relation de confiance avec nos lecteurs. Nous avons un partenaire espagnol Infolibre, où il y a de la publicité et de l’abonnement. Evidemment, dans la zone d’abonnement, il y a des avantages pour ceux qui ont souscrit, notamment celui de limiter l’espace publicitaire ». Avoir une façade qui fonctionne à l’audience avec de la publicité, mais en même temps inciter nos lecteurs à nous soutenir, why not ? Edwy Plenel lui, reste «partisan de ce qui était le modèle ancien de la presse : d’abord vivre de son lecteur. La publicité étant une recette complémentaire. Si on peut s’en passer comme Mediapart ou le Canard Enchaîné, c’est tant mieux». C’est la condition de l’indépendance de la presse. Comme le dit le slogan de Mediapart « Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter » et comme dit Booba « C’est bandant d’être indépendant« , pardon maman pour le gros mot . Mediapart est un véritable exemple pour nous jeune média, il prouve que le les lecteurs sont prêts à payer pour une info différente, de qualité, leur apportant une plus-value. C’est complètement Rebellissime. Mais pourquoi le tout-payant s’avère vital pour Mediapart ? « Le tout payant, c’est vivre d’abord de la recette apportée par les lecteurs. Dans le cas de Mediapart, il ne s’agit de vivre que de cela puisque nous ne touchons pas de subventions, ne faisons pas de publicité. Comme nous l’affirmons depuis le début, c’est la question de la valeur qui est au cœur de la réussite de notre modèle éditorial. Choisir pour la presse d’information et de qualité, un modèle qui n’est pas historiquement le sien, c’est-à-dire le modèle du divertissement, du tout gratuit, du tout publicitaire, ne peut avoir à terme que des conséquences désastreuses sur son contenu. C’est une histoire douloureuse, mais dans une concurrence à la loyale, le sort réservé à Rue89, qui s’est crée 1 an avant nous avec la même culture professionnelle mais avec le modèle économique totalement opposé illustre l’enjeu pour toute la profession de cette question du modèle économique». Et bim ! Prenez-en de la graine les Rebellissime ! C’est tout de même Edwy Plenel qui nous le dit. Son modèle fonctionne. Nous voilà plongés dans une profonde réflexion à peser le pour et le contre…
Constat de société
Attention, je vais vous sortir une vérité de la mort qui tue… Internet a changé nos vies ! Nous ne travaillons plus de la même façon, ne communiquons plus de la même façon. Tout a changé. Tout change encore. La presse aussi forcément, inutile de vouloir l’ignorer. « La révolution numérique est aussi forte que la révolution électrique et la Loi de 1881 qui impose la liberté de la presse. C’est l’époque où l’électricité permet aux rotatives de tourner, ce qui fera émerger la presse de masse » rappelle Edwy Plenel. On ne se rend pas toujours bien compte mais, on vit une époque charnière. Paradoxalement, l’avancée technologique que nous vivons n’est pas synonyme d’avancée en matière de transparence journalistique, ni en matière de droit des sociétés à être informées, de liberté de dire. « l’écosystème démocratique » comme l’appelle Edwy Plenel, en prend un coup. Ce n’est plus en lisant la presse ou en regardant le JT que l’on s’informe. Ça c’est pour être bien formatés et bien consommer. Pour s’informer, aujourd’hui, il y a Internet, les publications des potes sur FB. L’information devient participative, comme ce média qui a révélé la vérité sur un crash aérien, avant les résultats des études des experts et ce grâce aux recoupements de vidéos amateurs. Sur le sujet, Edwy Plenel révèle quels sont les enjeux du tout participatif. «il y a derrière cela, les enjeux démocratiques de la révolution technologique. Nous sommes à un moment en France où, un mouvement de société passe d’abord, avant d’être dans le réel de la rue, par le virtuel, des pétitions électroniques, des vidéos sur Youtube… Cette réalité, selon nous n’est pas assez mise en évidence. Et c’est pour la partager d’avantage que j’ai participé au nom de Mediapart à une Commission parlementaire inédite, composée de 13 représentants de la société, de 13 députés de toutes tendances, parmi lesquels j’étais le seul journaliste. Elle a rendu son rapport à l’automne dernier: Droits et libertés à l’ère du numérique. Cette commission a réussi un consensus multipartisan, de l’ensemble des sensibilités de l’assemblée nationale. Il en ressort la nécessité de souligner combien notre révolution technologique appelle à un nouvel âge démocratique». Dans cette logique, qu’apporte le Club Mediapart ? Les lecteurs y prennent la parole à travers leurs propres publications «C’est une idée essentielle et c’est aussi un risque d’ouvrir le débat et de donner la parole aux lecteurs. C’est le risque de se faire critiquer. Mais c’est aussi l’idée que dans un journal, il y ait une agora. Le contenu des billets a beaucoup évolué. Il y a parfois du buzz sur des billets très superficiels sur les réseaux sociaux. Mais quand on regarde, les contributeurs réguliers, il y a de plus en plus de contenu et de qualité» se réjouit Edwy Plenel. Avec en moyenne, 5 733 963 visites par mois, cela met tout de même une petite pression aux journalistes, non ? «C’est une bonne chose !» Voui, voui, M’sieur Plenel ! On reste zen, on fait le job et on ouvre notre mag’ aux contributeurs… ok les rebellissime lecteurs ?
Edwy Plenel et Virginie Legourd
8 mai 2016
*S.Pri Noir, Nekfeu, Ma dope
**Joey Starr
*** Dontcha
**** : 65 salariés en CDI (dont 39 journalistes). 20 créations d’emplois en CDI ces 3 dernières années, chapeau !
***** : en moyenne 120 contributions publiées chaque jour par les abonnés
NB : Mediapart est disponible également sur tablette et mobile via l’application disponible sur l’App Store et Google Play. Mediapart ce sont aussi des émissions vidéo (environ 20h mensuelles) telles que les soirées « En direct de Mediapart », ou encore Mediafact qui décrypte le discours politique, ou bien « Le champs des possibles » qui s’intéresse aux alternatives concrètes. Mediapart a également lancé en 2014 « La France vue d’ici », une grande enquête photographique qui s’achèvera en 2017. Mediapart publie des livres : 7 chez Don Quichotte. Avec La découverte, Mediapart a créée une revue consacrée aux idées et à la culture. Ah… ces journalistes, ils ne peuvent pas se passer de papier !