Inceste : quand la parole libérée fait bouger la loi
La réalité dévoilée par la libération de la parole est intolérable, le gouvernement cherche des réponses pénales. Qu’est-ce qui va changer ?
Affaires, affaires, affaires… Olivier Duhamel, Richard Berry, Gérard Louvin… les victimes et leur entourage sont de plus en plus nombreuses à témoigner sur les réseaux sociaux, dans leur livre. Et la société incrédule voit apparaître au grand jour des histoires sordides, des secrets de famille, des secrets d’état, des vies massacrées… En état de choc, on prend conscience de l’ampleur du mal qui toucherait un enfant sur dix en France. Comment briser les tabous, protéger les victimes, punir les coupables… Tant de questions auxquelles le Président de la République a promis de répondre. Mais qu’en est-il vraiment ?
Le 23 janvier 2021, le Président de la République a demandé au garde des Sceaux, Eric Dupond- Moretti et au Secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet de mener une consultation afin d’approfondir les pistes qui permettraient de renforcer la loi pour mieux protéger les mineurs victimes de violences sexuelles. Ces consultations ont été engagées rapidement avec l’ensemble des associations et ont été menées autour de deux problématiques majeures : le seuil d’âge et la question de la prescription. Il en ressort clairement le souhait d’une modification du droit afin d’améliorer la protection à l’égard des mineurs victimes d’infractions sexuelles. Les lois doivent changer, même si cela s’annonce complexe.
S’agissant du seuil d’âge, le Gouvernement est favorable à poser un interdit clair en criminalisant tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans et en définissant un nouveau crime. Il s’agit de supprimer la notion de contrainte exercée par l’agresseur qui constitue aujourd’hui un frein. Il serait donc impossible de « supposer » le consentement de jeunes victimes. Avant 15 ans, on reste un enfant, contraint par un adulte. Toutefois, le Gouvernement souhaite introduire un écart d’âge de 5 ans pour ne pas criminaliser une relation adolescente consentie qui se poursuit après la majorité du partenaire plus âgé.
La question de la prescription a fait émerger de fortes divergences : revendiquée par certaines associations, la majorité des entretiens ont amené les représentants des associations et le Gouvernement à considérer que la prescription peut être un élément déclencheur dans la révélation des faits par les victimes. Depuis la loi Schiappa de 2018, le délai de prescription est de 30 ans à compter de la majorité de la victime. La prescription « échelonnée » constitue une piste d’évolution réelle sur laquelle s’engage le Gouvernement. Il s’agit de permettre que les victimes d’un même auteur n’aient pas un traitement judiciaire différent. Si pour une victime d’un même auteur le crime n’est pas prescrit, et qu’il l’est pour d’autres victimes, l’absence de prescription de la première bénéficiera à toutes les autres.
Les chiffres choquent. D’après un sondage commandé par l’association Face à l’inceste, une personne sur dix affirme avoir été victime d’inceste en France : 6,7 millions de Français dont 78% de femmes. Et quand une victime prend la parole… elle libère celle d’autres victimes, qui osent à leur tour, on retrouve douloureusement la mémoire des faits… Comme le député Bruno Questel, ou la comédienne Isabelle Carré. « Il faut savoir que l’on estime à 165 000, le nombre d’enfants qui sont victimes chaque année de viols et d’agressions sexuelles. Soit, un enfant toutes les trois minutes ! » s’indigne le policier, Laurent Boyet, victime de son frère, président de l’association « Les Papillons » qui se bat pour installer des boîtes aux lettres Papillons dans toutes les écoles et les clubs de sport. Pour que les enfants victimes de toute forme de maltraitance puissent, à leur rythme, glisser un petit mot, un dessin, comme une bouée jetée à la mer. Quelques communes les ont déjà adoptées, elles sont 47 , en plus de la boîte aux lettres virtuelle disponible sur le site de l’association, 47. Libérer la parole… Dès son lancement sur Twitter le #MeTooInceste, en 2 jours, il recueille 80 000 témoignages ! Libérer la parole…
Des travaux parlementaires sont en cours avec notamment deux propositions de loi. Le Gouvernement souhaite que ces dispositions soient inscrites dans la loi rapidement. Il y a effectivement urgence pour changer les moeurs, les tabous pour que la peur et la honte change de camps.
Sya Dejade
Le 10 février 2021