PORTRAIT D’ANNABELLE SZWED : MATIERE BRUTE
Annabelle Szwed est une parisienne d’adoption. En effet, elle a grandi à la campagne et n’a de cesse dans sa carrière professionnelle, dans ses projets, comme dans son mode de vie d’opérer un « retour » vers la nature. Des années d’expérience dans la responsabilité sociétale des entreprises, un diplôme d’agriculture, un mari entrepreneur, un tour de France à la rencontre des producteurs et savoir-faire. de France… Lorsqu’elle lance Matière Brute, cette maman de deux enfants, a pour unique objectif de « nourrir naturellement et durablement la peau des femmes, des hommes et des enfants« . Interview portrait.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours avant de monter votre société ?
Trouver le bon concept pour se lancer, un chemin long pour beaucoup d’entrepreneurs. Il m’aura ainsi fallu plusieurs années pour imaginer Matière Brute. Un fil directeur néanmoins dans mon CV : ma passion pour le green et le développement durable. Après une école de commerce et un passage par Sciences Po, j’ai choisi de m’orienter vers la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Au sein d’une agence de notation extra financière, mon travail consiste alors à analyser les engagements RSE de grands groupes cotés. Je me spécialise dans le secteur des pétroliers et je reçois tous les jours dans ma boîte mail des scandales à travers le monde des dérives du secteur de la pétrochimie. Sans le savoir, j’ai déjà un pied dans le secteur de la cosmétique, mais conventionnelle, à cette époque. Si ce premier travail me passionne, je me rends très vite compte que l’observation ne me suffit pas. Je suis une femme de terrain et j’ai besoin d’autant plus de renouer avec quelque chose de très concret : la terre nourricière. Pour ce faire, je choisis de reprendre des études pour devenir agricultrice. Sur les bancs du lycée agricole, je dois composer avec des enseignants pro-Monsanto, bien loin de mes idéaux. Lorsque je suis enceinte de mon premier enfant, je me penche particulièrement sur le monde de la cosmétique. Au-delà des ingrédients indésirables et du scandale sociétal que j’ai pu étudier de près, je découvre qu’il est possible par exemple de parler d’un soin cosmétique bio avec seulement moins de 10 % d’ingrédients bio présents dans la formule au total.
De nombreux produits cosmétiques sont frabriqués en très grosse quantité avec des conservateurs pour les garder longtemps avant de les utiliser comme des boîtes de conserve et dépourvus in fine d’actifs. Ma réflexion se poursuit autour de la saisonnalité des soins. « L’alimentation de saison permet de répondre aux besoins du corps. Les fraises en été, les poireaux en hiver, autant d’aliments qui, à chaque saison, répondent à nos besoins. Pourquoi ne pas faire de même pour la peau qui vit les cycles naturels des saisons et qui est l’extension de notre corps ? » entre 2014 et 2016, je me forme à la réglementation cosmétique et pars à la rencontre d’agriculteurs, d’ingénieurs chimistes et de botanistes. Ma conviction se renforce : je souhaite proposer des soins à base de super ingrédients bruts, biologiques, frais et de saison. Je choisis de réaliser avec une équipe d’experts la recherche et le développement de cette nouvelle génération de soins au sein du petit laboratoire parisien de Matière Brute, Rue Rodier. Je sélectionne les ingrédients (moins de dix par soin) et bannis strictement les conservateurs : « la peau a besoin de bonnes bactéries. Or, les conservateurs ne font pas la différence entre les bonnes et les mauvaises bactéries et les suppriment toutes ». De fait, tous les soins Matière Brute ont une validité de 3 mois, soit le temps de la saison et sont préservés grâce aux ingrédients, aux formules, aux méthodes de production et de conditionnement. Matière Brute Lab créée en 2016 compte désormais 8 collaborateurs, hébergés au sein de l’Hôtel des Artisans, à Paris dans le 19ème.
La cosmétique a-t-elle toujours été une vocation pour vous ?
Non, absolument pas. Ce qui m’anime au quotidien, c’est le développement durable dans tous les sens du terme. Le respect de l’humain est une des valeurs que j’ai envie de porter. J’ai eu de nombreuses idées avant de créer Matière Brute Lab car je crois qu’il y a des opportunités aujourd’hui dans tous les secteurs d’activité pour revoir nos modes de consommation et de production. C’est une révolution économique, sociale et environnementale qui est en train d’être menée plus globalement. Et j’ai envie à mon échelle d’y participer. A titre personnel, j’aime cultiver le bien et le bon à l’intérieur et à l’extérieur de moi. Je pratique une approche holistique pour être bien dans ma peau. Le bien vivre, le bien manger, le bien-être et le bien bouger sont des piliers de ma bonne santé physique, mentale et spirituelle. La cosmétique comme je la vis chez Matière Brute s’inscrit dans ces fondamentaux. Je mesure tous les jours l’efficacité et le bienfondé de cette approche et j’ai envie de la partager autour de moi.
Faites-vous face à des difficultés en tant que femme entrepreneur ?
Bien sûr ! Je me suis prise plusieurs portes parfois certaines que j’avais moi-même verrouillées. La première, c’était quand j’ai imaginé d’entreprendre comme un homme alors que j’étais enceinte. On ne nous apprend pas l’entrepreneuriat au féminin à l’école (ni à devenir une mère d’ailleurs). Et mon business plan où je m’étais réservée 80 heures de travail par semaine (j’exagère un peu) n’était absolument pas compatible avec ma vie de mère et de femme entrepreneure. J’ai dû revoir toute mon organisation, accepter de ralentir et d’aller moins vite mais mieux, me mettre au clair avec mes ambitions, lever des fonds et réunir une équipe d’experts. C’est vraiment une question d’alignement et aussi d’égo. La deuxième difficulté a été donc de lâcher prise en déléguant. Cela m’a permis de m’entourer de personnes passionnantes et surtout plus compétentes que moi sur des sujets pour me permettre de me concentrer sur ce que je savais faire de mieux. Je résumerais cela ainsi : pour être le moteur de son entreprise et non le frein, mettre son égo au service de son entreprise et son entreprise au tempo de la vie de femme entrepreneure. Une fois que le cap est bien défini, se donner les moyens pour l’atteindre. Le voyage est beau et se poursuit.
A quelles embûches avez-vous été confrontées au sein de votre entreprenariat ?
La première est lorsque j’ai voulu trouver le laboratoire de fabrication pour lancer la gamme de soins Matière Brute. Mauvaise nouvelle, aucun laboratoire à l’époque ne me suit sur ce projet : la formule est trop innovante et le cahier des charges trop difficile à mettre en œuvre. Aujourd’hui, je vois cela comme une chance. C’est une réelle force pour une jeune entreprise dans ce secteur d’avoir un laboratoire indépendant intégré. Cela nous permet de maitriser notre chaîne de valeur, d’innover et de rester agile dans notre croissance. Je crois aussi que la difficulté à laquelle fait face chaque entrepreneur, c’est de bien s’entourer. Tout cela au final, c’est une question d’Humain, de savoir-être, d’éthique, d’engagement et de savoir- faire. Le recrutement est un enjeu fondamental. Au-delà du recrutement, c’est trouver les bonnes parties prenantes du projet : producteurs, laboratoires d’expertises, fournisseurs, partenaires commerciaux, ambassadeurs, porte- paroles. Une belle alchimie doit se créer entre tous les acteurs. Alchimie mouvante car rien n’est permanent. Mon instinct m’aide beaucoup même si je me trompe parfois. Pour m’aider, je réunis autour de moi des conseillers quatre fois par an environ pour prendre du recul sur des sujets stratégiques. Ils me challengent et me font un effet miroir sur les décisions à prendre ou mes questionnements.
Quelle est l’influence de votre famille sur votre projet ?
Ma famille m’influence forcément beaucoup. Mes parents étaient très impliqués dans le social et l’environnement et m’ont véhiculé la valeur du respect de l’Humain avec des énergies très positives. Mon amoureux est un entrepreneur engagé dans l’agriculture durable et la santé. C’est le fondateur de La Récolte qui est un magasin de produits alimentaires les plus bruts possible, de saison, au minimum biologiques, gustatifs et sain. Mathieu est allé loin dans ses questionnements.
– Comment fait-on pour se nourrir quotidiennement avec des ingrédients sains et qui ont du goût ?
– Que vaut, nutritivement parlant, une méthode de culture par rapport à une autre ?
– Par exemple entre un légume qui a poussé en pleine terre en France en agriculture biodynamique versus un légume qui pousse hors sol avec une culture intensive à l’étranger ?
J’ai transposé les réflexions au monde de la cosmétique en y ajoutant des données sectorielles, scientifiques et du bon sens paysan tout simplement. Et pour qui fait-on tout cela ? Pour nous bien sûr et surtout pour nos enfants et nos générations futures. C’est de notre responsabilité que d’offrir à ses êtres chers un monde où il fait bon vivre durablement.
Pensez-vous que les valeurs que vous souhaitez mettre en avant soient directement liées à votre vision de la femme dans la société ?
De femme oui, d’Humain et d’être vivant de manière générale car je crois que nous sommes tous liés. Il y a encore du chemin pour que la femme soit respectée dans notre société. Il y a des gens qui militent pour cela et je les remercie. Pour ma part, je m’engage sur le terrain. Par exemple, j’expérimente une nouvelle organisation et une éthique du travail adaptée à la femme car celle que nous avons aujourd’hui a été conçue par les hommes et pour les hommes.
Et je pense que le secteur de la cosmétique doit être aussi un acteur qui doit apporter une nouvelle vision de la femme en particulier. Matière Brute souhaite sortir de la pression opérée sur les femmes, en particulier sur leurs âges et sur les critères de beauté imposés par les campagnes marketing. Nous avons envie d’aider les gens à être bien dans leur peau, tout simplement.
Quels sont vos prochains défis ?
De manière continue, de la recherche et du développement pour aller plus loin pour faire mieux encore.
Et le principal défi pour nous aujourd’hui, c’est de maîtriser la croissance que nous sommes en train de vivre, de trouver la juste rentabilité et d’innover dans notre déploiement pour préserver l’éthique et la qualité de notre offre auprès de notre communauté et plus largement au sein de la société.
Question Rebellissime : Qui est votre Rebelle préféré (e)et pourquoi ?
Ma rebelle préférée c’est ma petite sœur Marjolaine car elle incarne concrètement ces générations de femmes qui s’indignent face aux dogmes patriarcaux et aux inégalités des droits fondamentaux entre les humains. Plus globalement, elle marche à contre-courant de la société et l’empêche de tourner en rond. Même si elle manque parfois d’humour et d’autodérision ;), je l’admire et la soutiens dans son indignation et sa rébellion.
Annabelle Szwed, la Beautiful Team et Virginie Legourd
Le 5 novembre 2020