May Koncept

Une créatrice, une influence urban street, des tissus africains… Mais pas que. Maïmouna Traoré, nous entraîne à la découverte de sa passion et de son univers. En mode couture… 

Maïmouna Traoré et Virginie Legourd

On l’a découverte sur Internet, sur Facebook, précisemment. Créatrice 2.0 ? On peut dire cela en effet. On craque sur ses modèles en ligne et elle nous les confectionne sur-mesure. Ses collections s’appellent Badegna, Dambe, Imtemporel, Foulani Roots, Wax in the city… Les vêtements sortent de son esprit et les pièces sur-mesure de ses collections sont le fruit du travail de ses mains expertes. Les collections de Maïmouna ont ce petit quelque chose d’exceptionnel, d’à part… Elles lui ressemblent, bien ancrées dans sa réalité et empreintes de toutes les cultures qui sont les siennes. Elles mettent également sur le devant de la scène des tissus africains traditionnels comme le bogolan, le bazin, le wax, revus et corrigés par l’irrésistible autodidacte de la mode. Maïmouna, la jolie quarantaine est d’origine malienne. Elle a grandi en France, y élève ses trois filles et travaille dans le social comme éducatrice spécialisée depuis 12 ans. Depuis 2013, en lançant May Koncept, elle est créatrice de vêtements, accessoires, et chaussures. Elle anime également des ateliers de création et custom. Il faut dire que depuis petite elle remixe les vêtements qu’on a bien envie de porter ! Plongeons avec elle dans son univers, interview/portrait

Défilé Collection Dambé (2018)

Rebellissime : Comment t’es venue la passion de la mode ?

Maïmouna : « Tout vient d’une passion pour les tissus. Je l’ai depuis toute petite ! Je dessine, depuis toute jeune pour confectionner mes propres vêtements avec les tissus wax de ma mère qui en avait énormément ! N’ayant pas toujours suffisamment d’argent pour acheter des vêtements « design », je me suis mise au custom, en ajoutant du tissu, des manches, en jouant avec les matières… sur des vêtements. Mais, hormis la passion de ma mère pour les tissus, je n’étais pas entourée de professionnels de la mode »

 

Rebellissime : Comment sélectionne-tu tes tissus ?

Maïmouna : « Pour le wax, je les trouve à Chateau-Rouge, à Paris ou Aubervilliers où il y a beaucoup de magasins qui vendent des tissus. Etant d’origine malienne, pour le bazin, dans ma famille, j’en vois depuis toujours, je m’approvisionne directement au Mali où le tissu est confectionné et teint. Dans l’une de mes dernières collections, Kaboparis, il y a beaucoup de bogolan, un tissu malien, je le fais acheminer de Bamako. Les motifs que tu retrouves sur le bogolan ont été dessinés et peints à la main, du coup, cela a pris plus de temps à finaliser que pour les collections précédentes. Sur le bogolan, on voit souvent des couleurs un peu sombres, comme le marron. On le voit beaucoup porté par la population africaine qui connaît le tissu. Pour mes collections, je voulais quelque chose qui touche toutes les communautés, quelque chose qui me ressemble. Depuis mon plus jeune âge, j’ai l’habitude de porter du wax, du bazin pour les grandes occasions, ou du bogolan. J’ai aussi l’habitude de customiser les fringues, avec ces tissus. Pour moi, c’est évident de les mélanger avec d’autres matières, d’autres habits plus occidentaux. Je pars de l’artisanat pour transformer des pièces que l’on porte tous les jours. L’artisanat africain rencontre très bien le tee-shirt ! Et tous ces mélanges, ces influences, se traduisent dans des modèles qui me ressemblent beaucoup » 

 

Collection Kaboparis, tout en bogolan

Rebellissime : Comment définir ton style ?

Maïmouna : « Pas facile de me mettre dans une case. C’est assez urbain. Je suis très influencée par la rue, les personnes qu’on y croise, la manière de porter une pièce… tout cela va me donner des idées et l’envie de créer un modèle, une collection ». 

 

Rebellissime : Qu’est-ce que t’inspire la grande tendance dashiki à laquelle on a assisté ?

Maïmouna : « Le terme de dashiki a été surexploité. On a beaucoup vu le motif, mais ce n’est pas une tendance qui m’a touchée. Je m’explique : ces motifs, ces coupes existent depuis très longtemps ! Dans ma famille , on rapporte ces fameux t.shirt et tuniques du Mali ou Togo depuis 15 ans ! Mon marI lui, en reçoit depuis toujours. Voilà pourquoi, je n’ai pas suivi ce que certains appellent un courant alors que le dashiki existe depuis très longtemps. C’est une tendance en Occident ! Comment est-elle arrivée ? Sans doute grâce à certaines pièces, certains motifs mis en avant. C’est aussi une manière de porter ces tuniques. Le fait que beaucoup de modèles masculins et féminins aient été imprimés avec ces motifs y a aussi beaucoup contribué. Cela a permis de démocratiser cet imprimé. Il est parti comme une vague déferlante de l’Afrique de l’Est, puis Afrique de l’Ouest, et Occident, à tel point qu’on a même pu en faire une overdose. On l’a vu se décliner non seulement sur les vêtements mais aussi tous les accessoires. Cela a le mérite de mettre un peu les projecteurs sur la mode africaine. Mais, il ne faut pas pour autant la réduire à cela ».

Rebellissime : Restricticif, réducteur, aucun de ces mots ne s’applique à tes collections! 

Maïmouna : « Il y  a toujours des intemporels, tels que le rouge ou le bordeaux en hiver. Mais, avec les tissus, le wax surtout, il y a tellement de couleurs, d’imprimés, de possibilités que l’inspiration est infinie. Le wax est là pour durer  ! Que ce soit par touches sur des vêtements, ou en terme de pièces de créateur, d’accessoires, il sera toujours présent. Il a une histoire, il est là depuis plus de 40 ans et il n’est pas prêt de repartir! Le continent africain a permis, grâce à la conception et la confection de pièces toutes plus différentes les unes que les autres, de faire de ce tissu un classique porté par les femmes et les hommes. On peut  le porter partout, par tous les temps, tous les styles, par n’importe qui, tout dépend de comment on le mélange, avec quoi on l’associe… »

Rebellissime : Qu’est que le continent africain apporte à la mode ? 

Maïmouna : « Toutes les maisons de haute couture ont eu une thématique avec des tissus africains à l’occasion d’un défilé  On peut parler d’inspiration ou de tendance. Mais au-delà, de ces phénomènes, les créateurs africains, les créateurs d’origine africaine, les créateurs afro-antillais contribuent à faire évoluer la mode. Avec les tissus, ils ont permis de la démocratiser .

L’univers de la mode en France est assez fermé, avec ses propres règles, alors qu’on est dans le domaine de l’art. Les tissus africains avec toute leur diversité apportent de la vie. Pas seulement avec les couleurs, mais dans le style, la manière de porter un vêtement, de travailler le tissu. Cela vient réveiller un univers de  la mode très codé, qui a parfois tendance à se replier sur lui-même, jusqu’à s’ennuyer !  Sur tout le continent africain, les festivals de mode, révèlent des créateurs et des modèles sublimes ». 

Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice, écrivaine en May Koncept.

Rokhaya Diallo et le pasteur et activiste américain Jessee Jackson. Wakanda for ever !

 

 

Rebellissime : N’est-ce pas paradoxal que le wax, tissu emblématique de l’Afrique ne soit pas africain ?

Maïmouna : « En effet, le  wax n’est pas africain mais hollandais ! Et encore pas tout à fait hollandais. Pour la petite histoire, après avoir colonisé l’Indonésie, les Hollandais ont découvert le batik. Ils se le sont appropriés et en ont produit le wax. Ils l’ont exporté au Ghana, une de leur colonie, où à leur tour les Africaines se sont appropriées ce tissu. Le wax s’est ainsi installé en Afrique pour ne plus en repartir ! Alors certes, il n’est pas africain de souche (rires) , mais ceux qu’ils représentent le mieux, parce qu’ils ont su se l’approprier et lui donner un vraie identité, ce sont les Africains. C’est à eux qu’il doit son succès.  Au fil des générations, les créateurs ont su mettre leur inventivité et leur imagination à son service ».

 

Rebellissime : Aujourd’hui, le wax est produit en Hollande, en Angleterre, en Afrique particulièrement au Ghana qui a vu naître l’industrie du wax et l’enthousiasme autour de ce tissu, mais aussi au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Niger au Sénégal ou au Togo. Il y a aussi du wax Chinois. Il reste malgré tout selon toi, le plus africain des tissus ? 

Maïmouna: « Il est emblématique, mais pas le seul ! De nombreux tissus sont produits en Afrique. Ils sont portés sur le continent mais aussi exportés. Je parlais précédemment du bogolan, ou encore du bazin, ce coton teint et amidonné pour obtenir sa brillance si particulière. Ce tissu noble fait partie de la renommée du Mali connu pour son bazin qui est teint et amidonné sur place.  On le réserve aux cérémonies. J’ai voulu casser cette forme d’élitisme. Si je vais dans une cérémonie, j’en porte évidemment ! A l’occasion de mariages, de baptêmes, j’ai confectionné des pièces uniquement en wax qui peuvent tout à fait rivaliser avec la valeur sûre qu’est le bazin qui va être perlé, brodé. Ce tissu connu pour être celui des cérémonies, mixé à d’autres telle que la broderie anglaise, casse les codes en se donnant un côté un peu plus accessible, moderne. Je vais en faire un blazer ou tout autre pièce pour le mettre à la portée de tous, tous les jours. Beaucoup de mes clients m’ont posé la question « Qu’est-ce que c’est que ce tissu ? » Ils ne le connaissaient pas. Mes créations me permettent de le faire connaître, mais aussi d’en proposer une autre vision. Les clients qui connaissent le bazin ne s’attendent pas à le voir ainsi utilisé. Il faut aussi sortir des schémas hommes femmes, avec tel ou tel tissu pour chacun. Je casse les codes. C’est  ma version May Koncept du bazin, des tissus et de la mode en général  ! »

Collection Dambé

La R.U.E épisode 4 : Djey

 

 

Collection Badegna, basin couleur bleu touareg

Rebellissime : Que nous réservent tes nouvelles et prochaines collections ?

Maïmouna : « L’une de mes dernière collection exploite uniquement le bogolan, c’est la collection Kaboparis. On reste dans ma ligne de conduite : proposer des pièces qui puissent être portées au quotidien par tous. C’est urbain. Cela correspond toujours à mes influences. Je suis française, d’origine malienne, j’ai grandi ici, ça fait 40 ans que je suis ici, j’élève mes 3 filles ici, je suis parisienne ! Je souhaite mettre en lumière la profusion d’influences et de richesses que je côtoie à Paris. Cette collection est donc très cosmopolite, à l’image de tous les arrondissements de la capitale. C’est de toutes les cultures qui s’y croisent que l’on doit s’enrichir. C’est important de pouvoir transmettre cela aux futures générations. Le bogolan par exemple c’est important de le faire connaître en tant que tissu africain. On a besoin de connaître et de mettre en avant les richesses de ce continent. Cela compte énormément dans la construction de ceux qui y ont leurs origines. On va au-delà du tissu, il est aussi question d’artisanat de savoir-faire. L’Afrique est une mine de richesses souvent inconnues. En créant mes vêtements et en les portant, on met en avant ces richesses et cette culture. J’aime mélanger les tissus, les faire se rencontrer ! C’est vrai que le  basin reste ma valeur sûre, mais je n’hésite pas à le mixer, le revisiter. Mes collections sont faites pour tous, quel que soit la couleur ou le style. C’est ainsi que nous vivons à Paris, ensemble. Mon rêve c’est que mes vêtements soient vendus partout pour que tout le monde se les approprie. J’aimerai que ces tissus deviennent des tissus lambda qu’on les trouve dans tous les magasins de fringues ».

 

Rebellissime : Quelles sont tes relations avec les grandes enseignes justement ? 

Maïmouna : « Les grandes enseignes sont plus enclines à faire des collaborations avec les créateurs. Elles recherchent alors de grands noms. Quand la grande tendance du wax a été là, ils ont sorti des imprimés pour être dedans, mais ce n’est pas du wax. Sans oublier que leur modèle de production ne permet pas forcément d’utiliser ces tissus ».

 

 

 

 

 

 

Collection Dambé

Rebellissime : Où trouve-t-on tes collections ? 

Maïmouna : « On peut les découvrir en ligne ou bien à l’occasion de salons, d’évènements où je suis présente. J’ai le projet d’un showroom., très prochainement ou d’un point de vente où les clients pourront acquérir mes pièces.  Je fais beaucoup de sur-mesure, je travaille principalement sur commande. Du coup, je suis à l’écoute de demandes de personnalisation et reste force de proposition pour vous accompagner lors d’évènements spéciaux comme les mariages. Pensez tout de même à organiser cela un ou deux mois à l’avance. Je travaille pour les gens, en fonction de leurs idées, en leur proposant des croquis. Du coup, je peux m’adapter à toutes les morphologies. Je vais du 34 au 58 pour une même collection ! J’aime ce mode de fonctionnement qui me permet d’être très proche de la clientèle. Il ya un réel échange entre ce que je propose et ce que veut le client. On se rencontre toujours lors d’un rendez-vous pour prendre les mesures ».

La fourchette de prix dépend tout d’abord du tissu. Avec un tissu comme le bogolan ou le bazin qui sont chers, les pièces vont démarrer à 50 euros. Le but de Maïmouna n’est pas de vendre un maximum, mais vraiment de proposer un nouveau concept autour du vêtement. Pour des pièces uniques, de créatrice, cela reste tout de même très abordable.

 

Rebellissime : Que peut-on souhaiter à May Koncept ?

Maïmouna : « Pouvoir développer les différents projets que j’ai en tête. J’ai crée notamment le concept la R.U.E, un espace où je présente des personnes que je rencontre, sous forme de portraits et d’interviews filmés. On reste dans l’univers urban street qui est le mien. On y retrouve des personnes avec des parcours qui s’inscrivent dans cet esprit ». 

Questions Rebellissime : Quel est ton rebelle préféré et pourquoi ? 

Maïmouna : « Difficile pour la rebelle assagie que je suis de trouver un nom, ou un exemple. Il y a évidemment des look rebelles. La mode a servi souvent à se démarquer, à s’affirmer. Pour moi être rebelle, c’est sortir de sa zone de confort ! « 

 

Rebellissime : Que représente l’interculturalité pour toi ? 

Maïmouna : « Le mélange, le brassage des cultures, c’est ce que ma marque essaie de représenter. C’est l’enrichissement au contact de différentes cultures » 

Une des interview filmées La R.U.E

Les ateliers May Koncept 

Nous avons eu la chance de suivre un atelier avec Maïmouna… Mais comment lui est venue l’idée de ces ateliers ? « Je tiens des ateliers à destination des particuliers, avec différents niveaux pour apprendre à confectionner des vêtements, des accessoires, à customiser… J’essaie de développer une dimension sociale dans tout ce que je fais ou entreprend. Pour l’avoir pratiqué, je sais combien la création peut aider et soulager certaines personnes en difficultés ».

Maïmouna arrive avec ses tissus et vous dit « On va faire des pochettes, genre banane, sans coudre, juste avec de la colle, c’est facile ! » Les enfants adorent, les mamans se prennent au jeu. En vrai, c’est simple et Maïmouna a le don de vous expliquer avec le sourire et la patience qu’il faut. C’est aussi l’occasion de partager, de se rencontrer, de bien rigoler et de repartir en ayant appris à faire quelque chose de ses dix doigts. En plus c’est trop joli ! Alors que je n’ai jamais fait de couture de toute ma vie, je me sens capable de le refaire ce petit sac, de le décliner et même de le coudre ! Merci Maïmouna !

 

Custom baskets

A savoir : 

Bogolan : En bambara, la langue la plus utilisée au Mali, bogo la terre et lan issu de. Bogolan désigne un tissu et un style de teinture. Dans les années 70, Il est d’abord confectionné et commercialisé au Mali. Sa production s’intensifie et s’étend au Burkina Faso, Sénégal, en Guinée, Côte d’Ivoire. Le styliste Chris Seydou (Seydou Doumbia) lui offre une diffusion internationales grâce à ses créations;

Bazin : Cette technique de couture consiste à croiser des bandes de textiles tissées de différentes manière. On obtient alors un effet damassé, à la fois mat et satiné. A base de coton, le bazin est teinté artisanalement pour devenir un tissu damassé caractérisé par la raideur et une éclatante brillance.

 

Maïmouna Traoré, Makha Diabira et Virginie Legourd

 

Le 14 août 2018