« Ce n’est pas à l’Etat d’éduquer les enfants, mais aux parents », déclarait le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti il y a quelques jours, à la suite des émeutes des banlieues. Partagez-vous sa position ? Ouvrons le débat et tentons de l’élever…
Après la mort de Nahel Merzouk, 17 ans, tué lors d’un contrôle policier le 27 juin 2023 à Nanterre, plusieurs banlieues en métropole, mais également en Outre-mer se sont embrasées. Sous le slogan « Justice pour Nahel« , de nombreux jeunes se sont ralliés occasionnant destructions et pillages ; la plupart du temps dans leurs propres quartiers, mais également dans Paris intra-muros. On constate d’ailleurs que la cartographie de ces émeutes est bien différente de celle de 2005.
Mort de Nahel, émeutes, mais qui est responsable ?
Régulièrement, lorsqu’il s’agit de violences urbaines commises par les jeunes des quartiers, on constate une surenchère des déclarations des politiques. On réclame des sanctions inégalées pour les auteurs des faits. On criminalise les parents. Le chantage au RSA, à la CAF ou à l’expulsion des logements sociaux fait partie de cette rhétorique empreinte de préjugés et d’amalgames. Il existe bien une responsabilité pénale des parents au titre des agissement de leur progéniture (art 227-17 bis du code pénal). Cependant peut-on réellement se contenter d’une explication si superficielle, en tant que responsable politique ? Quelles sanctions sont réellement applicables aux parents ? De quelles ressources disposent ces derniers pour imposer leur autorité parentale ? Quid de la responsabilité de l’Etat dont les différents plan banlieues depuis près de quatre décennies ont montré leur limite ? Oui, la mort de Nahel suscite beaucoup d’émotion et de questions.
La responsabilité des parents peut-elle être engagée suite aux émeutes dénonçant l’assassinat de Nahel ?
Concernant ces violences urbaines, on a pu entendre de nombreux représentants du peuple en appeler à la responsabilité des parents. Alors que la famille de Nahel pleure toujours la mort brutale du jeune garçon, les forces de l’ordre arrêtent de nombreux mineurs lors des premiers jours des émeutes. Les plus jeunes n’auraient pas plus de 13 ans. Les sanctions à leur appliquer font débat.
Zapper l’assassinat de Nahel pour mieux rebondir sur la récupération politique
Oubliée, le mort du jeune mineur ! Le problème n’est plus de comprendre ce qui s’est passé. Les émeutes sont comme une aubaine. Les ministres rivalisent d’imagination pour rassurer l’opinion publique et obtenir les faveurs d’un certain électorat. D’une part, le ministre de la Justice exige des sanctions fermes brandissant par exemple l’interdiction de sorties nocturnes, ou alors des sanctions à l’encontre des parents. De l’autre, avocats et magistrats optent pour des mesures éducatives également prévues par le code de la justice pénale des mineurs, (article L11-3). Quant à la première ministre, elle réfléchirait à mettre en place des sanctions financières « dès la première connerie » pour les parents. Cette proposition d’Elisabeth Borne répond à la demande d’un policier selon lequel il faudrait « taper au portefeuille des familles ».
Mais que dit et permet réellement la loi
Pour rappel, la loi considère qu’à compter de 13 ans, le mineur est en capacité de discerner. Ceci l’expose donc à des sanctions pénales. Dans un premier temps, il semble aisé de pointer du doigt les parents lorsque des infractions sont commises. Mais dans les faits, le recours à l’article 227-17 est loin d’être systématique. Il faut en effet pouvoir démontrer un lien de causalité entre les faits reprochés au mineur et le défaut d’éducation des parents. Reste à voir si toute cette surenchère répressive se résume à un effet d’annonce ou se transpose effectivement dans la loi.
Mort de Nahel, émeutes… l’Etat se dédouane de toute responsabilité
Bien que l’Etat affirme ne pas devoir éduquer les enfants, il a cependant une responsabilité dans la résurgence de ces phénomènes violents. Dans ces quartiers à la périphérie, délaissés par les services publics ou règnent rivalités entre bandes, trafic de drogue et d’armes, il n’est guère surprenant que les parents les moins outillés peinent à établir leur autorité.
Les émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel révèlent une autorité parentale mise à mal
En l’occurrence, parmi les émeutiers on retrouve également des jeunes sans histoires, avec des résultats scolaires exemplaires, dont les deux parents travaillent et résident en pavillon. Nous voilà loin des clichés et représentations médiatiques. Qu’est-ce qui a changé depuis 2005 ?
Nahel en 2023, Zyed et Bouna en 2005, pourquoi la carte des émeutes diffère
Il y a 18 ans ( l’âge qu’aurai eu Nahel le 25 février 2024), les quartiers les plus pauvres de France s’étaient soulevés. En 2023, les centres villes ont également été touchés. Bien que le profil des émeutiers soit encore difficile à définir, il semble que la plupart n’aient pas d’antécédent judiciaire. L’effet de groupe aurait entraîné ces adolescents. Pour les profils habituels, le sociologue Marwan Mohammed dans un entretien expliquant la formation de bandes donne quelques pistes. Entre autres motifs, il soutient que l’autorité des parents y est délégitimée.
La disparition de Nahel réveille la colère des jeunes, mais pas que…
Néanmoins, la composition familiale des jeunes participants à ces bandes est loin d’être homogène. Le chercheur au CNRS affirme que l’on retrouve aussi bien des familles déstructurées avec de la violence, que des familles unies avec des parents très présents. Dans tous les cas, c’est l’autorité parentale qui est disqualifiée. Cependant, il apparaît que dans une même fratrie, tous les enfants ne sont pas forcément des délinquants. Le phénomène est en effet individuel.
Par ailleurs, l’échec scolaire explique en grande partie le basculement des adolescents vers la délinquance. La disqualification de l’autorité éducative résulte non seulement de la représentation de ces parents par les médias que de la perception de ces derniers par la société. Par ailleurs, l’autorité des parents est également décrédibilisée par le comportement de la figure parentale (absence, violence, addiction etc..).
Le rôle des parents n’est pas le seul à mettre en cause dans les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel
L’Etat, malgré ses nombreux plans banlieues depuis les années 70, n’est pas parvenu à endiguer les inégalités. Au contraire, on constate un phénomène persistant de reproduction sociale. Pire encore, l’école longtemps perçue comme instrument d’ascension sociale est devenue un terreau des inégalités. En outre, la majeure partie de population de ces quartiers se caractérise par la prévalence de familles monoparentales, ou de jeunes immigrés peu qualifiés. D’après les données de l’Observatoire des inégalités, le taux de pauvreté dans ces zones prioritaires s’élevait à 43,6% en 2019. Un taux bien supérieur à celui du reste du pays. Dans des telles conditions, et malgré leurs différences notoires, il n’est guère surprenant que des émeutes se reproduisent, à l’instar de celles qui avaient déjà eu lieu en 2005.
Zyed, Bouna, Adama, Nahel… Quelles avancées depuis 2005 ?
Quand l’histoire se répète…
En 2005 déjà, de violentes révoltes avaient essaimées dans les quartiers populaires français à la suite de la mort de Zyed et Bouna à Clichy. Les deux jeunes, ainsi qu’un de leurs amis s’étaient réfugiés dans un transformateur électrique pour échapper à la police. Le troisième, blessé, avait mis à mal la version des forces de l’ordre. Un peu comme le font aujourd’hui les deux copains de Nahel présents dans la voiture. Les déclarations des politiques n’avaient pas non plus été à la hauteur de situation. L’accumulation de maladresses la même année, dont le polémique « karcher », de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, est restée dans les mémoires.
Le drame de Nahel relance le débat sur la fracture sociale
Au travers de ces destructions matérielles essentiellement cantonnées dans ces territoires, c’est en fait à plus de justice et de respect qu’aspirent ces jeunes. Les contrôles au faciès récurrents de la police, les discriminations au sein des institutions et autres différences de traitement sont autant de dysfonctionnements caractérisant la vie dans ces cités. On parle d’émeutes, de révolte. On déplore les dégâts. Mais quelle révolte se fait en discutant tranquillement autour d’un thé ? Même les hippies ont jeté des pavés dans les vitrines ! Et pourtant il étaient Peace & Love.
L’Etat a-t-il pris les mesures nécessaires pour éviter la mort d’autres jeunes jeunes comme Nahel ?
Fin 2004, la création de la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) pose une des premières pierres à l’édifice. Le dispositif décrié par certains, et qualifié de gadget par d’autres a depuis été rattaché au Défenseur des Droits en 2011. En parallèle, la multiplication des débats, l’intervention d’experts et les nombreuses publications d’intellectuels pour expliquer ce phénomène inédit, indiquait un intérêt en vue de l’amélioration de la situation. Et puis plus rien… Et puis la récupération politique très très très à droite…
Décès de Nahel, peut-on parler émettre l’hypothèse d’une quelconque responsabilité policière?
Cependant, dans les quartiers en particulier, dans l’espace publique en général, la surenchère policière cumulée au manque de formation des équipes semble avoir eu raison des « bonnes volontés ». L’une des premières mesures prises à la suite de ces violences urbaines a été de fournir aux forces de l’ordre un arsenal quasi militaire. En 2014, une loi proscrit la discrimination liée au lieu de résidence dans le cadre du recrutement. En théorie, ce dispositif doit profiter entre autres aux habitants de zones prioritaires fréquemment recalés dans le processus de leur recherche d’emploi. Dans les faits, on assiste à une persistance de ce type de discrimination.
Des quartiers populaires où il fait de moins en mins bon vivre
D’un autre côté, les récentes violences, peuvent aussi s’expliquer par la dégradation du tissu associatif dans ces quartiers. Si elles n’avaient pu stopper les émeutes en 2005, ces dernières étaient parvenues avec plus ou moins de succès à canaliser les violences. Le rôle des grands frères avait été prépondérant dans la désescalade des émeutes en 2005, la police de proximité ayant été dissoute 2 ans auparavant.
Enfin, en 2018, Jean-Louis Borloo propose au président de la République Emmanuel Macron un plan à destination des banlieues. On peut en citer quelques mesures phares telle que : le développement de l’apprentissage et de l’alternance, la création d’un médiateur de la police nationale ou encore celle de cités éducatives. Preuve de l’inefficacité des précédents dispositifs de lutte contre les discriminations, le plan prévoyait aussi l’instauration d’un observatoire national des discriminations parallèlement au renforcement du Défenseur des Droits.
Le plan est finalement rejeté par le chef de l’Etat, ce qui ne manque pas de faire couler beaucoup d’encre ces derniers jours. L’adoption de ce plan aurait-il empêché la mort de Nahel causé par un refus d’obtempérer ? Difficile à dire. Ce qu’on peut néanmoins en déduire c’est que, si quelques parents se sont désengagés, ce gouvernement devra aussi rendre compte sur ses choix.