Poursuivons notre immersion en classe de petite section de maternelle avec Laëtitia Adeyemon… Bonne année 2023 les petits écoliers !
Après les vacances de Noël, on n’accompagne plus nos enfants dans la classe. On les laisse devant la porte, la maîtresse, le maître, l’Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) vient les chercher. Ce qui a pu sembler une montagne se révèle pour certains plus simple. Moins de larmes. « Oui, je l’ai aussi constaté. C’est toujours plus déchirant de quitter son enfant dans la classe. On reste pour l’accompagner et que cela soit plus doux, mais la séparation est plus douloureuse. On entend aussi les autres pleurer. Devant l’école la séparation est plus rapide. Et puis les enfants connaissent déjà l’école, la maîtresse, l’Atsem, la classe… » confirme Laëtitia Adeyemon, notre maitresse préférée ! Interview pour en en savoir plus sur les enjeux de cette année 2023 pour les enfants de petite section de maternelle. Laëtitia Adeyemon,
Vous nous avez de nombreux projets en classe de petite section de maternelle chaque année, en quoi consistent-ils ?
« J’aime bien fonctionner autour de projets. Ils donnent du sens aux apprentissages. L’école sert aussi à se nourrir de valeurs : tolérance. J’ai un projet qui s’appelle « Jouons la carte de la solidarité » . Il est mené par la Ligue de l’Enseignement. Ils fournissent les affiches, cartes postales et autres. Ces supports parlent du handicap, de la tolérance. Ils permettent d’ouvrir le débat autour de ces sujets. Les cartes postales sont décryptées par les enfants. Le 21 mars, journée contre le racisme, on peut envoyer les cartes réalisées par les enfants. Pour délivrer un message. Les nôtres seront envoyées dans la commune de Vincennes. Elles délivrent les messages de solidarité, d’amour, de tolérance et anti racistes des enfants. Ça envoie un peu de légèreté. C’est un peu comme une bouteille à la mer. Ce projet a cela de chouette c’est qu’il est simple, adaptable à tous les niveaux. Je le faisais en IME (institut medicoeducatif). Les plus grands peuvent rire, d’autre faire des dessins. Cela permet de communiquer avec les adultes. Je m’appuie aussi sur les affiches, les livres qui abordent les thèmes du partage par exemple » explique Laëtitia.
Et vos projets sur les sentiments, l’identité… Comment les aborder avec les élèves de petite section de maternelle?
« J’aime également beaucoup les projets sur l’expression des sentiments. Cela aide à analyser ce que l’on ressent. Apprendre à reconnaître les expressions des visages. Pourquoi on peut éprouver telle ou telle émotion ? Comment réagir quand on voit l’expression de ces ressentis sur les autres ? Les enfants verbalisent. Ils posent des mots sur leurs émotions. En parler, en rire permet de dédramatiser » explique Laëtitia.
Et comme cette maîtresse apprécie particulièrement les arts plastiques, tout devient prétexte à faire découvrir les grandes oeuvres, les grands courants artistiques, les grands artistes. « Même les émotions, je leur fait découvrir et reconnaître à travers des tableaux connus« , poursuit la maîtresse de petite section.
D’autres projets sur l’identité. A base de portraits.
« Savoir qui je suis ? D’empreinte de main, savoir son nom de famille, ses origines, les traditions à la maison, savoir où on habite. C’est important de se connaître parce que pour savoir où l’on va il faut savoir qui on est et d’où on vient. On a fait des expositions, des enregistrements vocaux dans lesquels les enfants expriment leurs goûts; ce qu’ils aiment… Cela permet de découvrir des goûts, des centre d’intérêts différents, ou communs ».
Laëtitia travaille aussi beaucoup sur les traces, surtout en début d’année. « Les enfants prennent ainsi conscience de leur pouvoir gestuel. On peut laisser des traces. Cela prend de multiples formes, pas forcément très normé. il en résulte d’énormes gribouillis… Par terre. En petite section, c’est important de commencer à travailler sur des grands formats. Ensuite, les enfants pourront affiner. Puis ils vont acquérir tranquillement, à leur rythme la maîtrise du geste » explique Laëtitia.
Les petits font même des mathématiques. Pour ce faire, ils travaillent sur la notion de beaucoup, pas beaucoup. La maîtresse essaie de leur faire acquérir la notion de quantité avant qu’ils n’apprennent à compter.
Qu’est-ce qui va changer d’ici à la fin de l’année de petite section ? Les réponses de Laëtitia Adeyemon, maîtresse de petite section de maternelle.
« Ce qui change vraiment beaucoup c’est le langage ! Nous les incitons beaucoup à verbaliser, à faire des phrases correctes. Dès a petite section, les enfants acquièrent les bases d’une bonne syntaxe. Bien formuler les pluriels, ou les genres, par exemple. Lors du regroupement le matin on s’aperçoit qu’un élève n’est pas là. Il est absent pour un garçon devient elle est absente pour une petite fille. Entre le début et la fin de l’année, les enfants sont plus à l’aise pour s’exprimer », constate la maîtresse.
Au cours de cette première année d’école, les petits élèves de petite section de maternelle gagnent en autonomie. Ils progressent énormément.
« C’est une année où l’évolution est flagrante ! Certains arrivent sans être tout à fait propre. Ils ressortent capables d’aller seul aux toilettes. Ils apprennent également à ranger les jeux, à demander. Ils savent où se trouvent les choses dans la classe, se situer dans l’école… Ils deviennent des élèves. Et je suis toujours en admiration devant la progression et l’évolution des enfants. Ils grandissent ! » s’émerveille Laëtitia, avec beaucoup d’émotion.
Evidemment tout ce gain en autonomie se construit en amont. Comment travaille une maîtresse de petite section?
« Nous réfléchissons pour faire en sorte que cela se fasse progressivement. Voilà pourquoi ils sont fatigués en sortant de l’école ! Parce le temps qu’ils y passent est très intense ! C’est très ritualisé, très court en même temps. On leur demande beaucoup. Il faut être un groupe. Suivre avec les autres. C’est tout de même une forme de contrainte. Parce qu’on leur demande d’être attentifs, d’écouter, de faire ce qu’on leur demande au moment où on leur demande. Le respect des consignes pour des petits c’est une progression. En petite section ils sont capables de le faire et ce sont ces capacités que je vais chercher et révéler chez chacun », explique Laëtitia.
A 3 ans, les enfants ont les aptitudes de prendre l’autre en considération. Ils peuvent développer de l’empathie, partager, réaliser des tracés et des manipulations de plus en plus minutieuses avec les mains.
Vous parlez aussi d’intelligence du corps, en quoi cela consiste-t-il ?Comment s’exprime-t-elle chez les petites sections de maternelle ?
« Il y a aussi une vraie intelligence des mains ! On se focalise beaucoup sur le cérébral, mais j’essaie de les faire participer de tout leur corps. Parce que nous avons aussi une intelligence du corps ! Je crois beaucoup aux intelligences multiples. Il n’y a pas qu’une forme d’intelligence. Je tiens donc à proposer un panel d’activités et de travaux pour les révéler. J’écoute et j’observe. Ce qu’ils aiment le plus, ou le moins. Dans quels coins ils vont jouer. Cela me permet de voir qu’une enfant aime plus les livres, un autre plus la cuisine, ou le dessin… J’essaie de valoriser chaque enfant. Ne pas rester dans l’erreur ou dans l’échec. On le droit à plusieurs essais. On a le droit de se tromper, même la maîtresse peut se tromper ! Ils le voient et ils adorent ! Et ce n’est pas grave. Parce qu’on est là pour expérimenter ! Et l’expérimentation passe par des essais, des erreurs.
Compris les parents ? Mettre en avant ce que l’enfant aime et ce qu’il réussit ! Voilà comment les accompagner et les encourager du mieux que l’on peut.
Des centres d’intérêt différents, au sein même de la classe de maternelle ?
« Le coin dinette, le coin lecture, le coin voiture, le coin dessin.. tout cela peut-être révélateur d’intelligence. Certains par exemple aiment particulièrement les jeux de construction. Cela peut changer et évoluer. Mais un centre d’intérêt chez les petits, par exemple le dessin, je vais l’encourager. Je vais proposer à l’enfant d’aller plus loin. Je tiens également à en parler avec les parents pour qu’ils l’encouragent et l’entourent aussi. Parce que leur enfant développe des compétences. La dinette par exemple développe beaucoup de compétences sociales : interaction avec l’autre, développement du langage. On va ensuite affiner les geste par exemple habiller un poupon » détaille La maîtresse.
Dites-nous tout.. Existe-t-il un dossier (caché) de notes de nos enfants dès la petite section de maternelle. Fake news ?
« Nous avons effectivement un carnet de suivi où l’on note les compétences acquises ou non. Ce sont des données qui ne conditionnent pas l’avenir. Chaque enfant va évoluer. Les apprentissages ne se font jamais de manière linéaire. Il va y avoir des hauts et des bas. Beaucoup de paramètres entrent en jeu. Il ne faut pas s’inquiéter, être anxieux. A la fin de l’année, les parents reçoivent ce fameux dossier. Ils y retrouvent les compétences acquises, en cours d’acquisition ou pas du tout. Rien d’alarmant. Ce qui n’est pas acquis cette année, le sera d’ici la fin de la maternelle », assure Laëtitia.
En quoi consiste l’observation fine exigée par l’Education nationale ? Pourquoi commencer en petite section de maternelle ?
« On observe beaucoup les enfants parce que l’éducation nationale nous demande d’avoir une observation fine. On observe par exemple comment un enfant entre dans les apprentissages. Mais, il faut vraiment relativiser. Si une notion n’est pas acquise là, elle sera dans quelques mois. Vraiment ce n’est pas grave ! C’est vrai que l’éducation nationale nous le demande de manière très détaillée pour nos élèves, mais je considère cela plus comme une attention particulière à porter à chacun. J’y vois une volonté de détecter la moindre faiblesse pour aider au mieux mes élèves. C’est à l’école par exemple que peuvent être détecter des troubles de la vision ou de l’audition chez certains enfants », explique La maîtresse.
OK, no theory du complot…
Comment réagir aux propositions d’aides ponctuelles de professionnels extérieurs ? Quand et pourquoi une maîtresse ou un maître peut la proposer aux parents ?
La maîtresse peut conseiller aux parents d’aller voir un orthophoniste, par exemple. Comment doit-on prendre cela ? En tant que parent, on ressent parfois toute notre éducation remise cause. Certains parents vivent cela très douloureusement.
Ce qu’on demande s’est un bilan. Il n’est pas question de prendre la place d’un professionnel de santé de l’enfant. Avec ce bilan, l’orthophoniste préconisera ou non un suivi, s’il diagnostic un « problème ». C’est aussi à la maternelle que les maîtresses peuvent détecter un trouble de l’audition, ou de la vue et orienter les parents vers un O.R.L, un ophtalmo… On peut aussi diriger les parents vers un CMP (centre médico psychologique) pour venir à bout de petits blocages. Parfois deux séances suffisent. Tout cela ne veut pas dire que l’enfant est en échec ou rencontrera des difficultés scolaires. Ce sont des aides. Il ne faut pas le prendre de notre part comme un jugement ou une attaque. Parfois même, les enfants entendent et/ou voient des choses à la maison qui peuvent sembler sans importance ou sans impact par les parents. Mais pour un petit, sa perception peut être différente. Nos enfant sont de véritables éponges. Ils sentent tout. Dans leur inconscient, cela peut provoquer de petits blocages ou des changements de comportement. Il peut alors juste suffire de poser des mots auprès d’un professionnel. Dans certains cas plus difficiles, cela peut permettre aux enfants de se retrouver dans un cadre différent ».Laëtitia Adeyemon dédramatise.
A Vincennes, en maternelle, il y a en majorité de grands groupes. 28 à 30 élèves. C’est beaucoup pour les petits ! Pour les maîtresses, les maîtres et les Atsem aussi. Ils travaillent le collectif mais aussi l’observation personnalisée de chaque enfant.Ils essaient de ne pas passer à côtés des compétences, des personnalités, des failles, des besoins de chacun des petits élèves qui entament leur scolarité.
Qu’en est-il de vos relations avec les parents des élèves de petite section de maternelle ?
« Les rapports que les parents ont eu avec l’école peuvent selon moi jouer sur les rapports qu’ils vont avoir avec les maîtresses, maîtres et Atsem. C’est pourquoi cela me semble important de rencontrer les parents. Pour se connaître ! précise Laëtitia.
L’école maternelle, c’est l’espace des enfants !
« Dès le début de la nouvelle année, les élèves de petite section de maternelle connaissent bien les autres enfants, l’école. Ils se situent très bien et très vite dans ces nouveaux espaces. Ils savent où est leur classe, le préau, la cour, leurs petits copains des autres classes. Vous verrez, c’est surprenant et le changement entre la rentrée et aujourd’hui est énorme ». confie cette maîtresse de petite section de maternelle.
On est assez loin de l’école super stricte ! Avec Laëtitia, il est question de bien-être, dans un climat serein, bienveillant, encourageant. C’est ainsi que les enfants peuvent apprendre ! Un enfant qui se sent bien apprend mieux. Ce n’est pas elle qui le dit ce sont les neurosciences ! C’est aussi un moyen de faire apprécier l’école dès le début parce que les enfants signent pour un bon bout de temps ! Avoir envie d’apprendre, de revenir à l’école. Apprendre à se connaître. Tout cela va participer à leur évolution.
« J’ai conscience que l’école peut aussi créer des traumatismes, des peurs. C’est d’autant plus important d’instaurer un climat propice aux apprentissage, serein ! » conclue notre maîtresse engagée et investie.
Vigipirat, Covid, crise, comment ce climat un peu particulier impacte votre profession ?
C’est un climat un peu tendu… En tant qu’enseignante, j’essaie de ne pas faire peser toute cette tension et cette pression. Sinon c’est anxiogène pour les enfants. Mais dans un tel contexte aussi, ce sont aussi les relations avec les parents, ou les collègues qui peuvent en partir ! L’école étant une micro société on y ressent les maux de la société. La maladie, la misère sociale… Les petits ressentent les choses, les inquiétudes et nous pouvons le voir directement sur l’enfant. Il y a des impacts. Ce qui est mis en place n’est pas toujours adapté à ce que nous vivons sur le terrain. Il faut parfois expliquer aux parents. Cela nous place parfois en décalage et c’est une période qui est compliquée. Nous voyons moins les parents, cela peut créer des barrières, des malentendus, des tensions. Les échanges sont moins faciles avec les parents. Mais il faut trouver des solutions. Essayer se rencontrer. Il faut que nous fassions en sorte que ce contexte là nous soude, nous solidarise plutôt que l’’inverse. Il faut remettre le collectif au premier plan, c’est le moment !
Question Rebellissime : Qui est votre rebelle préféré ?
Laetitia Adeyemon : « Ma mère ! Une héroïne et une rebelle au quotidien. J’admire sa façon d’être et son savoir-faire qui savent faire fi de la bienséance quand Il faut. Je respecte son histoire, le fait d’avoir tout laissé derrière elle. Il faut être une rebelle pour quitter son pays à 18 ans, avoir envie de construire un ailleurs et gérer sa vie d’une main de maître ».
Un grand merci à cette maîtresse d’exception qui, aujourd’hui réalise sa passion pour les arts plastiques. Nous lui souhaitons tout le succès et le bonheur qu’elle mérite. Après tout il est encore temps de présenter ses voeux ! Merci de son témoignage. Merci pour tous les enfants et les parents quelle a accompagné. Grâce à elle de nombreux petits aiment l’école . ils ont envie d’apprendre, de découvrir, de s’épanouir.
Rebellissime poursuit son immersion à l’école avec le témoignage à venir de Karima, ATSEM à Vincennes. N’hésitez pas à partager et poser des questions.
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