Ce qu’en disent nos parents gamers

Starbuck, la maman architecte, Sarcifal le papa prof de maths. Lui, joue depuis les premières consoles Atari. Elle, jouait à Mario en famille. Avec leurs deux fils âgés de 10 et 11 ans, ils ont fait des choix concernant les jeux vidéos. Ils jouent en famille. 

 

Pourquoi tu joues ? 

Sarcifal : « Il y a un côté challenge. Tu veux comprendre, battre le jeu. J’ai usé les jeux , comme le ping-pong, jusqu’à ce que je le maîtrise. Et je fonctionne  toujours de la même manière . Il faut que je comprenne la mécanique interne du jeu. C’est mon moteur. C’est du dépassement de soi. Celui des autres vient après ! Le plaisir aussi, après avoir exploré et manié le jeu dans tous les sens. Il y a le plaisir de faire des trucs improbables et que les autres admirent. Si le jeu et le gameplay me plaisent, je vais m’acharner jusqu’à ce que je connaisse le jeu dans ses moindres failles. Par exemple, au début des jeux on line et collectifs, je jouais calmement sur ma Wii. Jusqu’au jour où j’ai décidé que je serai le meilleur. Pendant un mois, je rentrais du boulot et je ne faisais que ça : Mario Kart. Je suis devenu imprenable.

Starbuck: Il faisait des courses contre la montre pour gagner le plus de temps possible et s’assurer la victoire en connaissant les parcours. Du coup, quand, on jouait contre lui avec les enfants, c’était super dur. On se mettait tous contre lui, pour l’avoir. Notre but c’était de choper  le chapeau du Gaulois qui s’attaquait au premier.

Sarcifal : Et comme je savais qu’ils allaient faire ça, mon but c’était de prendre assez d’avance pour pouvoir me prendre quatre chapeaux du Gaulois et gagner quand même. Je les ai dégoûté au point de ne plus vouloir jouer avec moi« .

C’est la guerre à la maison ? 

Sarcifal : « Au niveau de le confrontation,  même s’ils sont vifs, qu’ils ont la rapidité et la dextérité, j’arrive encore à leur mettre des douilles sur plein de jeux. C’est vrai qu’ils sont forts et qu’ils comprennent vite, plus vite que moi. Mais ce qui leur échappe, et pas à moi, réside dans les finesses de gameplay . Je maîtrise la mécanique interne du jeu et donc je vois des trucs qu’ils ne voient pas. Ce qui me fascine toujours c’est d’allier la compréhension interne du jeux avec la rapidité de doigts. Mais je suis encore là. Je galère par moments. Je sais que je suis battu sur la rapidité de doigts. Je ne peux rien y faire. Ils le savent. du coup, cela me permet de les confronter de manière pédagogique à cette réalité. Sur le dernier NBA Live 16 (jeu de basket), le plus grand me disait qu’il était  meilleur que moi parce qu’il est plus rapide, qu’il met plus de points que moi. Que ce n’est donc pas normal que je le dépasse. Je lui explique  qu’il doit comprendre la logique du jeu et les mécanismes d’équipe. C’est ce qu’il a analysé et il a même fini par trouver une faille dans le jeu.. C’est  un aspect hyper formateur du jeu vidéo  à partager avec ses enfants. Il y a du jeu, de l’affrontement, pacifique bien sur, et de la pédagogie« .

 

Le jeux vidéo a-t-il déjà créer des tensions dans votre foyer ? 

Sarcifal : « Pendant World of Warcraft, c’était tendu. Ma femme était mal et a mal pris que je joue. Je n’ai pas vu qu’elle avait besoin que je lâche le jeu, que je sois plus présent.

Starbuck : Le jeu était trop présent, dans la pièce unique, sans pièce de retranchement .

Sarcifal : J’ai appris à gérer cela . J’ai appris à jouer en étant avec ma femme. Je suis dans la même pièce, j’interagis. J’ai compris que la réclusion, la non communication posaient problème. J’ai donc adapté ma façon de jouer. Même si, à la base, je n’avais pas la sensation de m’enfermer, de me couper d’elle, elle l’avait « .

Comment compiler jeux vidéo et vie de famille ? 

Sarcifal : « Je suis rentré dans la vie de la vie de couple et dans la paternité à l’époque des jeux MMO (massivement multijoueurs).  J’y retrouvais mes potes. Attention, je ne dis pas que le couple et la paternité sont une prison ! C’est normal que ta vie change quand tu as des enfants, un travail… Le côté collectif nous permettaient de nous retrouver entre potes, malgré nos changements de vie

Starbuck : Le jeu s’adaptait à son timing de papa, notamment celui du dernier biberon. Il faisait le biberon d’une main et de l’autre, il jouait. Notre petit second dormait près de l’ordinateur.

Sarcifal : Plus tard, quand les enfants jouent aux jeux vidéos, tu dois les accompagner, ne jamais les laisser seuls. C’est comme pour les films violents, les informations. Je les éduque. Le plus grand est assez mauvais joueur. Je le recadre. Je lui explique qu’il ne s’y prend pas bien, que ce n’est pas comme ça qu’il va y arriver. La pédagogie, c’est la base. Le père joue avec son enfant pour lui apprendre la vie. Bon OK, le jeu vidéo, c’est pas comme la varappe. Mais le but c’est de partager une activité.  Le jeu est le vecteur numéro un de l’apprentissage. Pourquoi on fait des enfants ? Qu’est-ce qu’on veut partager avec eux? Si tu as décidé de ne pas t’investir avec eux, de ne pas être dans l’échange, l’éducation, tu vas les laisser devant les jeux vidéos, traîner seuls dans la rue… Un des choix fort que l’on a fait en couple, pour nos enfants, c’est qu’il n’y aurait pas de console dans leur chambre. Elle est dans le salon. Comme les tablettes.  Dans le salon, je vois ce qui ce qu’ils font avec, à quoi ils jouent. 

Starbuck : En plus, nous avons imposé des horaires. Les enfants ne peuvent jouer que 2 heures par jour sur console quand il n’y a pas école. Ils vont donc devoir faire leur propre choix sur les jeux à intérêt et les autres. Après ils peuvent faire une heure de tablette. Nous imposons également des temps de lecture. Nos enfants font aussi du sport . Nous jonglons avec nos emplois du temps pour les accompagner dans leurs activités. Pas par obligation, par réel plaisir. On partage tout« .

Comment faites-vous respecter les limites ? 

 Sarcifal: « Quand je vois qu’ils sont trop sur leur tablette, je leur dit de la lâcher pour prendre un livre. Avec les enfants, tout doit être géré. Il  faut aussi leur apprendre à faire la part des choses eux-mêmes. Ils doivent pouvoir se rendre compte qu’ils sont trop sur un jeu et s’arrêter d’eux-mêmes. Moi , je l’ai appris seul,  après de longues périodes de geekage. Je me suis vu m’éteindre dans le jeu. Disparaître. Ce que j’essaie de leur transmettre c’est cela, de prendre le meilleur du jeu et de sentir quand ça vous gonfle et de s’arrêter. Au bout de 2 heures, d’ailleurs, maintenant, ils passent à autre chose d’eux mêmes. Ils ont appris à se connaître, analyser leur rapport au jeu et peuvent préférer ne pas jouer pour ne pas s’énerver. Gérer son temps de jeu amène l’enfant à réfléchir à ce qu’il fait. Pour Agario par exemple, c’est non ! Je n’ai pas interdit. Je leur ai démontré par A+B que ce jeu leur faisait perdre du temps« .

 

Que pensez-vous de l’image dangereuse des jeux vidéos ?   

Sarcifal : « J’ai commencé le jeu de rôle à 14 ans. A l’époque, Mireille Dumas, la journaliste est partie dans une croisade forcenée contre. Tout ça parce qu’aux Etats-Unis un adolescent qui y jouait s’était suicidé. C’est exactement pareil avec le jeu vidéo. Les mêmes accusations. Le problème c’est l’immersion. On m’a pris la tête toute mon adolescence avec ça. Mais, ce sont des bêtises! Regarde ce qui est arrivé quand le dessin animé Dragon Ball Z est arrivé en France. On a crié au danger, trop violent ! C’est très hypocrite. Ce ne sont pas les images de violence qui rendent violent. Il y a des tas de catalyseurs de violence. Les infos par exemple. Comment faire plus violent ?  Ces accusations contre les jeux vidéos ne sont pas fondées ».

 

 

Pourquoi les jeux vidéos ont-ils une si mauvaise image ? 

Sarcifal : »Ça dépend comment tu y joues ! N’oublions pas qu’il y a un échange, du partage. Les vieux qui passent leur après-midi au bridge, ils jouent, en immersion. C’est pareil pour les jeux de société. Le jeu est fondateur. Il fait partie de l’être humain, des civilisations. Le jeu vidéo, comme toute activité humaine devient dangereux, pratiqué à l’excès. N’importe quoi peut t’amener à la décompensation. Regarde le tuning !  Tout est question d’équilibre personnel. Je clame haut et fort que je suis un gamer. Je n’ai aucune honte. Père de famille, gros gamer, prof  de maths… et  ça me vaut des réflexions du type   « Mais t’es un grand gamin! ». Parce que vous, vous ne jouez jamais ? A aucun jeu ? Même pas au scrabble ? Aux raquettes sur la plage ? Mais vous n’êtes pas normaux! Tout le monde joue ! Mais ce qui est étrange, c’est que les jeux vidéo ne sont pas considérés comme un jeu. Parce que ces gens ne sont pas rentrés dedans au bon moment, ils le rejettent. Imaginez

qu’aujourd’hui, en psychologie il font de l’immersion, des jeux de rôle. Non, mais vous êtes sérieux ? »

 

 

Comment rendre le jeu vidéo familial ? 

Sarcifal : « La console reste dans le salon. Même lorsque l’un d’entre nous joue seul, les autres le regardent ! Ils interviennent. Il y a de l’interaction. Les autres font leur petite vie autour mais interviennent avec des conseils. C’est le cas pour Walking Dead, personne ne voulait y jouer parce que trop gore, mais tout le monde me disait de faire comme si ou comme ça ».

 

Votre avis sur les PEGI ? 

Sarcifal :  » Ce sont des anomalies ! Elles sont mises par des gens qui n’y connaissent rien. Souvent sans rapport avec le jeu, du coup, elles perdent toute crédibilité. Bien expliqués, les jeux n’ont  pas besoin de PEGI. Pour Walking Dead, j’ai proposé la manette plusieurs fois. Ni ma femme, ni les enfants ne la veulent parce que le jeu est violent, qu’il les stresse. Le jeu est trop agressif. Il est trop impliquant, il nécessite de prendre des décisions très rapidement. Tu dois connaître tes enfants et les jeux avant de choisir. Pas les PEGI!

Starbuck : Je suis plus nuancée sur la question. Avec le PEGI, il faut prendre en compte l’aspect compréhension, violence, parfois sexe du jeu mais aussi la difficulté du jeu. On peut estimer qu’un enfant de 10 ans ne sera pas capable d’entrer dans la technicité du jeu par exemple ».

 

 

Pour les parents qui ne jouent pas le PEGI, c’est une aide, non ? 

Sarcifal : « Les parents qui ne jouent pas avec leurs enfants ont tort. Tu ne fais pas des enfants si tu ne partages pas avec eux« .

 

Une expérience forte de parents avec le jeu vidéo ?  

Sarcifal : « Comment peut-on dire que les jeux vidéos sont des trucs de gamins ? Heavy Rain…  Ce n’est pas du tout un truc de gamin. Dès le début tu perds ton mon môme. L’histoire est terrible. Tu perds ta femme, ton job. Ton 2è môme se fait enlever par un serial killer. Ton unique objectif devient de le retrouver. Au niveau de la charge affective tu prends très cher. L’implication émotionnelle est énorme Quand j’y ai joué, je suis rentré à fond. Il y avait en plus beaucoup de similitudes avec ma vie. Tu mènes une enquête policière, tu joues quatre personnages en même temps et tes décisions influencent le déroulement du jeu. Il y a des scènes apocalyptiques. Celle où tu te coupes le doigt parce que le tueur en série te le demande pour te rendre ton enfant. Et ça c’est PEGI 16 ! Mais ça devrait être PEGI 35!!!!. 

Comme dans Walking Dead,  quand tu dois prendre la décision de laisser mourir un des personnages au lieu de le sauver. Quand je penses que ma femme et mes enfants m’ont vu faire çà pour gagner le jeu! J’ai eu mauvaise conscience. J’ai décidé d’en discuter avec mes enfants. J’avais besoin de leur expliquer que cette décision s’expliquait dans le contexte du jeu, mais évidemment pas dans ma vie réelle. J’aurai préféré mourir et le laisser en vie peut-être. Même si c’est quelqu’un de mauvais. Mais mes enfants m’ont dit que dans le cadre du jeu j’ai eu raison. En fait, ils ont tout compris. Walking Dead est basé sur un mode survie. C’est un jeu, pour gagner il faut prendre la décision qui te laisse en vie.  Sinon l’humanité disparaît. Et là c’est eux qui me donnent une leçon« !

 

Leçon de vie ? 

Sarcifal : « Doit-on assister les gens ? Aider les plus faibles ? Ce sont des questions fondamentales de nos sociétés. Et cette question se pose dans certains jeux. Dans la société française, nous avons opté pour l’entraide, quitte à s’étouffer, ce n’est pas la même chose aux Etats Unis. Clivage droite gauche ! 

A travers les jeux vidéos, tu te poses ce genre de questions, ton enfant les découvre, se les pose, te les pose, prend des décisions de jeux. C’est pour cela qu’il faut jouer avec eux ou qu’ils jouent près de nous. Pour aborder ce genre de débat en famille. Le jeu vidéo permet de se poser des questions de société, il te permet aussi d’expliquer à ton enfant qu’on ne prend pas les mêmes décisions dans le virtuel et dans le réel. Heureusement que tu es amené à te poser ce genre de questions dans un jeu de rôle, dans des conditions qui te sont suggérées« .

 

 

Est-ce que les enfants risquent de ne plus faire la différence entre réel et virtuel ? 

Sarcifal : « Non, pas si tu les accompagnes ! Les jeux qui font peur, ce sont des jeux décérébrants comme Call of Duty où tu ne dois que tuer. Mais c’est du réflexe. On sait très bien que c’est faux. C’est un raccourci que de penser que ce genre de jeux t’amène à tuer. Tu es bien conscient de tuer du pixel et d’être sur ton canapé. 

Starbuck : Dans ces conditions, tu ne lis plus, tu ne regardes plus la télé, tu ne vas plus au cinéma. Les enfants sont super fiers dans Battlefield d’avoir fait un double headshot. Je sais bien que c’est pour de faux. Ils sont super équilibrés. Pas violents du tout!

Sarcifal :  Est-ce qu’on s’est posé la question de l’environnement familial des enfants tueurs dans les lycées américains ?  Un môme qui tue, c’est un môme dont le contexte familial est mauvais. Ce sont les parents qui sont responsables, pas les jeux vidéos ! »

 

 

Et les consoles pour les tout petits ? 

Starbuck : « Non, on est pas très pour ! Nous préférons les bonnes vielles bases : cubes, Kapla, Lego… Le toucher c’est très important pour les petits. Il faut avant tout créer le système de perception et d’équilibre. Petit, il faut toucher les carré, rond, etc. Sur un écran, tu ne te rends pas compte. Il faut baver sur les formes, comprendre que l’une ne s’emboîte pas dans l’autre, en essayer une autre.

Sarcifal : Il ne faut pas perdre la matérialité. La perception de l’espace, de la géométrie passent par là. Entre l’architecte et le prof de maths, nous sommes assez bien placés sur les notions d’équilibre, ça tient, ça tient pas… Il faut apprendre à poser les choses. A  partir de 4 ans, ton enfant doit jouer aux Kaplas. C’est une étape fondamentale. Les parents qui loupent ces étapes de jeux de construction, de couleurs, de formes, du toucher,  sont des parents en perdition. C’est primordial ! Les jeux vidéos n’interviennent qu’une fois toutes ces bases acquises. Le jeu vidéo peut venir ensuite se greffer sur à cette réalité bien ancrée.  Nos enfants ont commencé à 5 ans ».

 

Starbuck, Sarcifal et Virginie Legourd.          Rebellissime.                                  08/02/2016