En France, depuis 2006, le 10 mai est la journée des mémoires et de réflexion sur la traite, l’esclavage et leurs abolitions. C’est le bon jour pour rendre hommage à Solitude, héroïne de la rébellion guadeloupéenne contre l’esclavage.  

Aujourd’hui encore, la France est le premier État et le seul ayant reconnu la traite négrière et l’esclavage comme « crime contre l’humanité ». Elle est également seule à avoir décrété une journée nationale de commémoration. Et cela, nous le devons à la loi n° 2001-434, du  En 2006, le est choisi pour célébrer la Journée nationale des mémoires de la traite et de l’esclavage et de leurs abolitions. À l’occasion de cette journée, différentes actions sont menées par l’Éducation nationale notamment dans les centres de documentation et dans les établissements scolaires. Il s’agit également d’une journée de réflexion civique sur le respect de la dignité humaine et la notion de crime contre l’humanité. Du coup, Rebellissime choisit ce jour pour rendre hommage à Solitude. Faites connaissance avec cette héroïne légendaire de la résistance guadeloupéenne.

L’histoire de la mulâtresse Solitude dans l’histoire de France et de la lutte contre l’esclavage

Comme beaucoup de grandes femmes, Solitude n’est pas très connue du grand public. Peu médiatisée, peu (ou pas) représentée dans les manuels scolaires, elle compte pourtant parmi les figures emblématiques de la rébellion de 1802 en Guadeloupe.

La-Mulatresse-Solitude le livre

La mulâtresse Solitude, le livre

On attribue le récit et la mémoire de son histoire à la transmission orale reprise par l’historien Auguste Lacour. Ce créole blanc de Guadeloupe, issu d’une riche famille de Basse-Terre, l’évoque dans son ouvrage Histoire de la Guadeloupe (éditions 1837-1858). De ces quinzaines de lignes, l’écrivain André Schwartz-Bart s’inspire pour son roman La mulâtresse Solitude, paru en 1972. Entre mythe et réalité… Le quotidien de bon nombre de femmes non ?

André et sa femme Simone extrapolent largement les quelques éléments qu’ils extraient du livre de Lacour. Pour compléter leur roman, ils s’appuient sur des informations générales issues d’ouvrages tels que La Guadeloupe d’Henri Bangou ou encore La Guadeloupe d’Orono Lara. Nombreuses de ces situations sont avérées. La « pariade », par exemple consiste à livrer les femmes esclaves aux marins blancs, avant l’arrivée à quai des navires négriers. Oui, c’est dégueulasse, et encore, on a retenu l’un des plus soft !

Qui est vraiment Solitude ? Quel est son rôle dans la lutte contre l’esclavage ?

Quoi qu’il en soit,  André et sa femme Simone font renaître la légende de Solitude. Celle-ci serait donc née dans les années 1772 en Guadeloupe. On ne connaît pas le nom de sa mère, ni de son père. Mais elle, son prénom c’est Rosalie. On ne sait pas non plus vraiment, si elle accouchera d’une fille ou d’un garçon. Représentée enceinte, on sait seulement que les autorités attendront qu’elle accouche pour la supplicier, afin de vendre son enfant à un propriétaire esclavagiste. Grande Classe ! Du coup, on connaît la date de sa mort: le 29 novembre 19802 à Point-à-Pitre.

Comme Solitude est la fille d’une esclave violée par le capitaine blanc d’un navire de la traite, elle est métisse. A l’époque, on dit une « mulâtresse ». Ce mot est d’ailleurs assez horrible étymologiquement parlant. Mulâtre vient en effet de l’espagnol mulatto, qui signifie mulet. C’est ainsi que les esclavagistes s’amusent à appeler leurs enfants nés de ce qu’ils appellent des relations avec leurs esclaves africaines, et que nous appelons viol. Injurieux et méprisant, ce terme exprime à quel point les esclavagistes dont Moreau-de-Saint-Méry considèrent les alliances entre Blancs et Noirs comme contre-nature.

Solitude : l’histoire d’une rebelle contre l’esclavage

La petite Solitude vit et grandit avec sa mère dans des camps de Marrons, esclaves révoltés ou échappés. Encore un mot que l’on doit à l’espagnol. Entre pays au passé esclavagiste quoi de plus normal ! Donc Marron vient de l’espagnol cimaron qui signifie se sauver, s’enfuir. Il s’applique à l’origine aux animaux puis s’étend, comme les empires coloniaux et esclavagistes, aux esclaves fugitifs. On les appelle les Marrons ou Negmarrons. Aux côtés de ces rebelles en Guadeloupe, Solitude participe aux luttes pour l’abolition.

Abolit, abolit pas… quand l’esclavage revient dans les colonie, Solitude se rebelle

, les émeutes et la rébellion de la Révolution française ne se limitent pas à la métropole. Les colonies s’agitent également. Et la Guadeloupe n’y échappe pas. Le régime de la Terreur a aussi des effets aux Antilles. Les familles de planteurs les colons, les esclavagistes, le clergé sont la cible des révoltés. Nombreux fuient pour ne pas être exécutés. Ici, les résistants, ce sont des esclaves regroupés en communautés marrones.

Le , la France abolit l’esclavage et fait de tous les hommes peuplant les colonies des citoyens français jouissant des mêmes droits. Mais pour les planteurs et l’aristocratie sucrière guadeloupéens, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne s’applique pas aux Noirs.

Bonaparte rétablit l’esclavage en 1802. L’empire à besoin de pépètes ! Il envoie alors le général Richepanse et 4000 soldats du corps expéditionnaire de la force coloniale pour rétablir l’ordre sur l’île de la Guadeloupe. Il s’oppose alors aux officiers libres noirs et mulâtres. Ces derniers sont menés par le colonel d’infanterie martiniquais Louis Delgrès. Cet intellectuel abolitionniste lance un appel à la résistance et publie une proclamation intitulée À l’Univers entier, le dernier cri de l’innocence et désespoir.

Solitude rejoint les rebelles à Pointe-à-Pitre. Le 23 mai 1802, la jeune femme est arrêtée, lors de l’attaque du camp Palerme par le général Gobert. Solitude est condamnée alors qu’elle est enceinte. L’histoire ne dit pas de qui. Mais dans son livre, pour André Schwartz-Bart, le bébé est un garçon, et son père Maïmoun, un révolté déporté d’Afrique. L’histoire ne dit pas non plus de quel supplice il s’agit : pendaison, la guillotine, la roue, le bûcher, la fusillade…

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@lesilesdegudeloupe/Guillaume Aricique

Solitude mais pas que … La contribution des femmes à l’abolition de l’esclavage trop longtemps invisibilisée

La redécouverte de figure comme Solitude est très importante pour les jeunes générations. Elle participe à redonner leur place à toutes ces héroïnes de l’histoire. En mai 1999, une statue dédiée à Solitude s’installe dans la commune des Abymes en Guadeloupe. Le 26 septembre 2020, la mairie de Paris inaugure un jardin portant son nom dans le 17ème arrondissement. Solitude est même la première femme noire à avoir une statue à Paris.

Résistance contre l’esclavage, Solitude et les autres… on en parle ? 

Par exemple, connaissez vous Toto? Non pas celui des blagues ! Toto est le surnom de la compagne de Louis Delgrès. Marthe-Rose, elle aussi participe à la révolution aux Antilles. Comme Solitude, on la condamne à mort. Elle fait aussi partie des  trois cents résistants retranchés. Comme eux, elle sera suppliciée avant Solitude.

Solitude est donc une figure historique incarnant a posteriori  la résistance et la révolte des esclaves contre le rétablissement de ce qu’aujourd’hui, grâce au combat de la député Christiane Taubira, nous appelons crime contre l’humanité : l’esclavage. Etre condamnée à mort, enceinte, à trente ans, pour s’être rebellée et revendiquer sa condition humaine, en fait une héroïnes des temps modernes.

« On a vu que les femmes et les enfants arrêtés sur les habitations avaient été envoyés à Palerme. Ces prisonniers d’un genre tout nouveau étaient au nombre de quatre-vingts. Leur existence, depuis leur arrestation, avait été affreuse. Il ne se passait pas d’instant qu’ils n’entendissent débattre la question de leur vie ou de leur mort. Le mulâtre Jean-Christophe insistait pour qu’on les fusillât, disant faussement que ce seraient de justes représailles ; que là où les blancs dominaient, c’était le sort qu’ils faisaient subir aux femmes de couleur. Les négresses et les mulâtresses surtout se montraient acharnées contre les femmes blanches. La mulâtresse Solitude, venue de la Pointe-à-Pitre à la Basse-Terre, était alors dans le camp de Palerme. Elle laissait éclater, dans toutes les occasions, sa haine et sa fureur. Elle avait des lapins. L’un d’eux s’étant échappé, elle s’arme d’une broche, court, le perce, le lève, et le présentant aux prisonnières : « tiens, dit-elle, en mêlant à ses paroles les épithètes les plus injurieuses, voilà comme je vais vous traiter quand il en sera temps ! ». Et cette malheureuse allait devenir mère ! Solitude n’abandonna pas les rebelles et resta près d’eux, comme leur mauvais génie, pour les exciter aux plus grands forfaits. Arrêtée enfin au milieu d’une bande d’insurgés, elle fut condamnée à mort ; mais on dut surseoir à l’exécution de la sentence. Elle fut suppliciée le 29 novembre après sa délivrance. »
Lacour, extrait de son livre Histoire de la Guadeloupe (éditions 1837-1858)

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